Patrick Beauduin, de grande gueule à leader au grand coeur


Édition du 16 Avril 2016

Patrick Beauduin, de grande gueule à leader au grand coeur


Édition du 16 Avril 2016

Par Olivier Schmouker

Patrick Beauduin. [Photo : Jean Vachon]

Le publicitaire belge Patrick Beauduin est arrivé au Québec en 1994 et y a fait d'emblée sa marque au sein de l'industrie des communications. Il a dirigé la création chez BCP Canada et Cossette, entre autres, et est devenu directeur général de la radio de Radio-Canada en 2010. Il volait de succès en succès jusqu'au jour où, comme il le dit lui-même, il «s'est pris une claque dans la gueule».

Lors du dévoilement de la grille horaire qu'il avait concoctée pour la rentrée de 2011, l'animateur vedette Jacques Languirand, frustré, a fait un esclandre devant les 200 invités. Au-delà de l'insulte, M. Beauduin a alors saisi ce qu'il n'avait jamais compris durant toute sa carrière, à savoir qu'il était, en vérité, un... piètre leader !

Il n'avait jamais su être à l'écoute des autres, son ego étant «gonflé à l'hélium». Il n'avait jamais su être authentique, en raison de sa «perpétuelle intranquillité». Il n'avait jamais su piloter une équipe, faute d'avoir su ce qu'était «être bon». Etc.

En 2013, il est parti de Radio-Canada et a entamé un lent cheminement personnel vers ce qu'il appelle sa «renaissance». Un cheminement que M. Beauduin, actuellement chargé de cours au programme de MBA de l'établissement français Kedge Business School, retrace dans son livre Le long parcours d'une grande gueule (Guy Saint-Jean Éditeur, 2016). En voici quelques extraits marquants commentés par Rémi Tremblay, président de la Maison des leaders, qui le connaît bien : il leur arrive fréquemment d'animer ensemble des groupes de réflexion sur le leadership.

De la loi de la jungle à la coopération

Patrick Beauduin : «Et quand je voyais dans les yeux de mes "adversaires" les larmes poindre sous l'effet de mes tirades assassines, je découvrais une émotion bien troublante : le plaisir de la douleur chez l'autre, celui de la vengeance, celui du coup pour coup, celui de la loi de la jungle où les plus forts sont ceux qui ont le dernier mot.

«Et même si cette émotion n'était là que l'indirecte conséquence d'une ixième agression de ma petite personne, cela me confortait qu'en ce bas monde, "c'est ainsi que les hommes vivent".» (p. 29)

Rémi Tremblay : «Nous avons encore une vision darwinienne de la vie en général, et de nos interactions avec les autres en particulier, qui veut que l'amélioration de notre sort passe nécessairement par la compétition. Pourtant, les avancées en génétique ont infirmé cette idée depuis belle lurette : la survie des espèces passe, en vérité, par la coopération.

«Cette approche gagnant-perdant nous a confinés dans un étroit esprit de compétition. Ce qui nous mobilise, c'est la peur de perdre, si bien qu'insidieusement nous gérons par la peur. Et ce, à l'aide de phrases toutes faites comme "Innover ou mourir" et autres "Si on ne les bouffe pas, ce sont eux qui nous boufferont".

«Heureusement, il y a des leaders qui prennent conscience, un beau jour, des limites d'un tel schéma de pensée. Ils commencent à voir leurs concurrents comme des alliés potentiels. Ils cherchent le dialogue, et non la confrontation. Ou encore, ils nouent des alliances au lieu de couper des ponts.

«À l'image de Patrick Beauduin, leur conscience s'élargit à mesure que leurs peurs s'estompent. Ils se sentent plus libres d'être eux-mêmes. Et ils parviennent à faire taire leur ambition personnelle pour laisser toute la place à l'ambition collective.»

Rémi Tremblay.

De se servir à servir

Patrick Beauduin : «Bref, je courais les projets, m'impliquais à qui mieux mieux sans vraiment avoir conscience que mon ego trouvait là le plus riche des terreaux, ce terreau qui nourrit le sentiment de domination des futurs chefs d'entreprise. Et comme chacune de ces idées me donnait l'occasion de prendre la parole, donc de prendre le pouvoir, je découvrais le plaisir des projecteurs, du microphone tendu, sinon celui des applaudissements [...] Prendre toute la place, c'était concentrer le regard des autres sur moi, c'était induire que le pouvoir me revenait, c'était devenir un chef.» (p. 38)

Rémi Tremblay : «L'un des plus grands chocs de notre vie survient le jour où, tout bébé, nous réalisons que nous sommes séparés du monde, que nous ne faisons plus un avec l'univers. Tout à coup, il y a moi et les autres. C'est alors qu'apparaît l'ego.

«Au départ, l'ego se satisfait de combler nos besoins primaires (manger, être en sécurité, etc.). Puis, il se dit qu'il doit faire plus, notamment nous faire grandir ; il part alors en quête de reconnaissance, de pouvoir, de richesse. Nous tenons alors à devenir quelqu'un, une personne unique, pour ne pas dire exceptionnelle. Et nous allons en chercher la confirmation dans le regard des autres.

«Du coup, inconsciemment, nous développons une relation utilitaire aux autres, voire à l'organisation où nous oeuvrons. Tout devient une occasion de servir notre ambition jamais satisfaite.

«Néanmoins, certains leaders arrivent à outrepasser leur ego, et à se mettre au service des autres : de leurs collègues, de leurs clients, du bien commun... Et nous avons un urgent besoin de tels leaders ! Des leaders comme Barack Obama, davantage préoccupé par le bien de son peuple que par le sien. Des leaders qui ont le sens de la communauté.

«Au Québec, l'air de rien, nous en avons pléthore, surtout parmi les jeunes leaders. Le hic, c'est qu'ils ne se manifestent pas fort. Ils ne cherchent pas les podiums, ils ne courent pas les honneurs. Ils servent avec bienveillance et intelligence. À nous, dès lors, de prendre le temps de les repérer, et de nous arranger pour leur voir prendre davantage de responsabilités.»

De décider à discerner

Patrick Beauduin : «Cette capacité de décider que je prenais hier encore pour du courage n'était en fait qu'une fuite, un renoncement à l'idée que les grandes choses se construisent d'abord grâce au collectif. Je prenais conscience que le courage sans cette sagesse qu'est l'écoute de l'autre n'est que folie égocentrique et que le milieu de la pub était le terreau parfait pour nous faire croire en cette chimère.

«Je vivais le langage qui ne blesse plus, j'incarnais le regard qui aime. J'écoutais enfin. Ouvert. [...] Je découvrais que les choix pouvaient souvent mieux s'imposer à tous dans le partage, le dialogue.» (p. 105)

Rémi Tremblay : «Nous prenons toujours de bonnes décisions, d'accord, mais rarement la meilleure ! C'est que nous avons grandi dans un monde où les autres décidaient pour nous (nos parents, nos professeurs, nos supérieurs, etc.). Et puis, nous sommes devenus nous-mêmes parents ou patrons, et nous avons dû assumer la tâche de prendre des décisions. Notre réflexe a été simple : imiter les modèles qui ont été les nôtres, qui, la plupart du temps, tranchaient seuls, sans débat.

«C'est ainsi que de nos jours, nombre de leaders bâtissent leur propre solitude. Ils prennent des décisions unilatéralement. Et ils croient leur entreprise performante, alors qu'en vérité la survie de celle-ci tient du miracle, tant leur processus décisionnel est inadéquat.

«La bonne nouvelle, c'est qu'il existe une autre voie, celle du discernement. Elle apparaît lorsque le leader sait véritablement vivre l'instant présent, tous sens éveillés. Lorsqu'il est à l'écoute de ses équipes, de ses clients, de ses marchés, et surtout de lui-même.

«Le discernement permet de passer du débat au dialogue. Il nécessite de l'humilité, puisque la meilleure décision naît toujours de la réflexion commune, de l'échange d'idées. Puisque la meilleure décision est à l'image d'un fruit, qui a besoin de temps et d'amour pour mûrir.»

De juger à accompagner

Patrick Beauduin : «Le secondaire m'avait appris la notion de pouvoir qui s'accompagnait de punitions, de sanctions, sinon d'abus : un pouvoir somme toute assez traditionnel. Je découvrais sur les bancs de la faculté un autre pouvoir, celui des autorités académiques qui savent devant ceux qui ne savent pas, devant ceux qui ignorent. Et nous - les ignorants - n'avions plus qu'une voie de sortie : apprendre pour quitter cette masse anonyme, apprendre en espérant rejoindre un jour ces pontes de la connaissance.

«Nous apprenions sans trop penser que ce pouvoir se construisait sur le mépris et que la distance imposée par le corps professoral pouvait aussi construire des forteresses d'autorité.» (p. 37)

Rémi Tremblay : «Un boss doit juger, évaluer, réaligner, et au besoin punir. Quel beau programme ! Mais qui a décrété ça ? À la Maison des leaders, je vois passer nombre de dirigeants qui, à mesure qu'ils prennent conscience de l'étroitesse de cette vision du leadership, adoptent une autre position. À l'image de ce qui s'est produit pour Patrick Beauduin. Par exemple, ils arrêtent de juger les autres pour s'ouvrir à eux, à leurs qualités comme à leurs défauts. Ils découvrent aussi les vertus du pardon et les vices de la punition.

«À mes yeux, le rôle fondamental du leader est d'accompagner avec clarté et compassion. D'amener l'autre à réfléchir par lui-même plutôt qu'à exécuter nos ordres. De l'aider à déployer son plein potentiel plutôt que d'en faire une pâle copie de nous-même.

«Moi, j'aime bien être aimé pour ce que je suis. Pas vous ? Eh bien, sachez que c'est la même chose pour les autres.

«À noter que cette approche n'empêche en rien de prendre des décisions difficiles, comme celle de licencier quelqu'un. Bien au contraire. Lorsqu'on agit avec discernement, les enjeux nous apparaissent plus aisément, tant ceux qui concernent le bien de la personne dont on évalue la pertinence au sein de l'équipe que le bien commun. Et le choix à faire nous paraît dès lors avec toute son évidence.»

Titre : Le long parcours d'une grande gueule

Auteur : Patrick Beauduin

Éditeur : Guy Saint-Jean Éditeur

Nombre de pages : 144

CV

Patrick Beauduin

Début des années 1990 : Il cofonde l'agence belge Kadratura et y dirige le service de création. De plus, il signe l'adaptation télévisée de la bédé Gaston Lagaffe de Franquin.

1994 : Il émigre au Québec pour diriger le service de création de l'agence BCP Canada.

Années 2000 : Il dirige le service de création de l'agence québécoise Cossette et signe, entre autres, la campagne «Pop ton art» de Mentos, nommée campagne canadienne de la décennie aux prix Marketing de Toronto.

2010 : Il devient directeur général de la radio de Radio-Canada.

2013 : Il quitte Radio-Canada.

2016 : Il est aujourd'hui chargé de cours au programme de MBA de gestion de la marque de la Kedge Business School, en France.

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