Les joies et les périls de l'amour au bureau

Publié le 05/02/2009 à 00:00

Les joies et les périls de l'amour au bureau

Publié le 05/02/2009 à 00:00

Par François Rochon

Chantal (nom fictif) termine sa journée au pub St-Paul avec des collègues. La scène est classique, mais pour Chantal, ce énième "5 à 7" changera le cours de sa vie. Une partie du moins.

En s'assoyant sur ce tabouret libre, elle ne se doute pas qu'elle tombera amoureuse de son voisin. Les coups de foudre, on ne les voit pas venir. Fini les "bonjour" polis dans l'ascenseur! Désormais, les lundis matins seront synonymes de papillons dans l'estomac. C'était il y cinq ans exactement. Aujourd'hui, cette conseillère en communication interne d'un média montréalais fait vie commune avec son collègue.

Il n'est pas exceptionnel de s'amouracher d'un collègue. Une personne sur deux a déjà ressenti de l'attirance pour un camarade de travail.

Le bureau, un aphrodisiaque?

Par contre, il est plus rare que ces aventures aboutissent à une relation durable. C'est du moins l'avis d'Alain Samson, auteur de Sexe et flirts au bureau. Selon la thèse de l'auteur, s'il y a autant d'attirance entre collègues, c'est parce que le milieu de travail serait "aphrodisiaque". Généralement, on y est toujours au mieux, bien mis, maquillée ou rasé de près, parfumé...

Ajoutez les affinités naturelles, un sentiment d'accomplissement commun et des déplacements prolongés pour affaires, et tout concourt à éveiller l'intérêt d'une personne vis-à-vis d'un collègue, particulièrement si elle est célibataire ou si son couple vacille. C'était le cas de Chantal, dont la relation battait de l'aile.

Cependant, cela fait-il du bureau le meilleur endroit pour faire des rencontres? "Non", répond catégoriquement le psychologue et médiateur Marc Pistoriou. Selon lui, il ne faut jamais entretenir de relation amoureuse, sexuelle ou intime avec un ou une collègue de travail. La majorité de ces relations se terminent par un malaise, une distance, sinon, un drame. C'est qu'au bureau, on ne voit qu'un côté de la médaille. "Et cela n'a rien à voir avec l'intimité", rappelle-t-il.

Entre ces mises en garde et la réalité du monde du travail, il y a un pas que certains franchissent. Les conséquences ne sont pas toujours désastreuses, pour autant que chacun clarifie ses attentes, prenne du temps pour soi, et... que la relation dure.

Partage d'expériences

Martine Hudon, 28 ans, travaille pour une PME en informatique quand Normand Charbonneau, 44 ans, se joint à l'équipe. Au départ, il n'y a aucun atome crochu entre eux. Mais à force de se côtoyer...

Tout commence par une blague: Normand annonce son récent célibat, et la patronne de Martine de lancer, en riant, qu'il "irait bien avec Martine". Les invitations se multiplient, en vain. Cinq mois plus tard, Martine cède. "J'avais des réticences. Nous sommes une petite équipe, et j'avais peur des lendemains qui déchantent", dit la jeune femme.

Durant trois mois les amoureux se font discrets. Ils élaborent des scénarios de fins de semaine bidon à raconter le lundi. Leurs collègues ne sont pas dupes: le matin, les deux collègues arrivent souvent ensemble, de bonne humeur. Le chat sort du sac quand ils décident de faire coïncider leurs vacances.

Julie Desgagnés, 30 ans, et Éric Legros, 29 ans, s'y connaissent sur l'art du secret. Ils sont tombés amoureux sur leur lieu de travail, une PME de programmation Web fondée par Éric. "Nous nous trouvions des projets à mener ensemble", raconte-t-il.

Après quatre mois de fréquentations secrètes ponctuées de déjeuners sur l'herbe au parc La Fontaine, Julie et Éric dévoilent leur amour à leurs collègues. La réaction? "Ils se sont sentis menacés", dit Julie. Normal: cette nouvelle associée risquait d'avoir accès, sur l'oreiller, à de l'information privilégiée.

Un certain risque

C'est vrai, ces unions dérangent souvent. "Il faut essayer d'être le plus discret possible", conseille Yolanda Sabetta, travailleuse sociale spécialisée en thérapie conjugale et familiale. D'abord, parce qu'au début on n'est pas sûr que la relation durera. Et puis, les autres ne tarderont pas à percevoir conflits d'intérêts et favoritisme.

Le pari est encore plus risqué avec deux personnes de niveau hiérarchique différent, un cadre et une employée, par exemple. Dans ce cas, l'estime de soi de l'employée risque d'être mise à rude épreuve. L'équilibre de la relation de couple aussi, ajoute Catherine Bégin, professeure de psychologie à l'Université Laval: "Cela peut engendrer de la confusion dans les rôles en dehors du bureau". Sans oublier le risque d'une mise à pied si jamais l'affaire tournait mal. Pas étonnant que les entreprises redoutent l'amour au bureau: le climat de travail peut en pâtir.

Après avoir divulgué leur union à leurs vingt collègues voici deux ans, Martine Hudon et Normand Charbonneau se sont assis avec la direction. Inquiète, celle-ci les avait convoqués pour s'assurer que l'information confidentielle ne franchirait pas les limites de leurs services respectifs, et qu'il n'y aurait pas de favoritisme. Après tout, Martine s'occupait de ressources humaines...

Du positif

S'il demeure essentiel d'être discret et intègre, il n'y a pas que des inconvénients à travailler avec son conjoint. Diane Coutlé et Christian Paré partagent leur bureau avec 40 professionnels du placement, à Westmount. Ancienne fonctionnaire, Diane a pris, voilà six ans, un congé sans solde pour aller épauler son mari, que son adjointe avait quitté du jour au lendemain. "Dès le début, ma motivation a été d'améliorer notre qualité de vie", explique la mère de deux adolescents. Elle a finalement quitté son emploi au gouvernement pour devenir l'adjointe de son mari. Et son horaire allégé bénéficie à toute la famille.

La deuxième année de leur tandem professionnel, le revenu familial de Diane Coutlé et Christian Paré a doublé. "Elle prenait son travail plus à coeur que mon adjointe précédente", explique Christian. Il faut dire qu'entre-temps, ces deux entrepreneurs dans l'âme sont passés du modèle patron-employée à celui de coassociés, en fondant Aisance, Services Financiers. Ainsi, madame, douée côté productivité, gère l'agenda de monsieur, qui rencontre la clientèle le jour et un soir sur dix. "En fait, c'est moins qu'avant", confie ce dernier, heureux du changement.

Attention danger

Sophie Lalonde et Scott Delgaty ont cinq enfants. Ces deux conseillers financiers se sont rencontrés lors d'un congrès. Ils partagent le même local exigu chez CIBC Wood Gundy, et le même style de gestion quant aux avoirs de leurs clients. Mais là s'arrêtent les similitudes. Sophie est extravertie et bonne communicatrice. Plus expérimenté et aussi plus discret, Scott est en mesure de mieux expliquer certains sujets spécifiques. Alors, chacun table sur ses forces. Elle prospecte la clientèle, lui met en valeur ses temps grises à bon escient... "Il faut avant tout être un couple fort", indique Scott Delgaty. On dirait une entreprise familiale dans une entreprise.

D'ailleurs, au Québec, une PME sur trois est dirigée par un couple. Évidemment, démarrer une entreprise est déjà une aventure en soi. Mais le plaisir croît, semble-t-il, quand l'amour fait partie de l'aventure. "À deux, il est plus facile d'affronter les difficultés, par exemple des négociations houleuses avec le propriétaire de l'immeuble", souligne Julie Desgagnés. Mais il faut faire la part des choses. Catherine Bégin a rencontré un couple d'entrepreneurs qui avaient l'impression de travailler tout le temps. "Ils fuyaient l'intimité", dit-elle.

Ce danger guette tous les couples qui travaillent ensemble. Normand Charbonneau et Martine Hudon se voient 24 heures sur 24. Pour se rendre à leur bureau - à aires ouvertes -, ils prennent matin et soir la même voiture. Leurs soucis quotidiens montent à bord et se faufilent dans leurs temps libres. "On essaie de ne pas trop en parler", confie Martine.

Diane Coutlé sort avec des copains, suit des cours, bricole, tricote. Chacun a une vie en dehors du travail. "C'était déjà comme cela avant qu'on travaille ensemble", dit la leader reconnue du couple. C'est ça, le défi du travail en couple: garder du temps pour soi. "Autrement, on s'épuise et on n'a plus rien à partager avec l'autre", prévient Nicole Côté, psychologue [aucun lien avec notre chroniqueuse]. On risque aussi de s'isoler de son réseau, de devenir dépendant, de perdre son identité.

Point de rupture

L'aventure n'est pas faite pour tout le monde. Une artiste, hier encore intime avec son ex-partenaire, ne lui parle plus sans la présence de son avocat. Et rien que d'y penser la met en rage. "Quand on travaille avec son conjoint, on lui fait confiance, mais c'est une erreur", affirme l'échaudée.

Car c'est lors d'une rupture que les choses se corsent. Souvent, l'un des conjoints doit quitter l'entreprise. Pour les coentrepreneurs qui divorcent, tout vole en éclats: maison, argent, sans parler des considérations d'ordre juridique. "Certains perdent ainsi toutes leurs sources de stabilité", dit Catherine Bégin. Les salariés, eux, peuvent toujours changer de service, ou mieux, d'employeur. En effet, quelle souffrance de voir son "ex" à longueur de journée! "On se rappelle les bons souvenirs qu'on partage avec l'autre", souligne Yolanda Sabetta. Pour tourner la page et faciliter le deuil amoureux, il faut installer une distance physique.

Dans certains cas, il est possible de rompre tout en continuant à respirer le même air que son ex. Prenez Richard Labbé et Isabelle Massé, tous deux 32 ans et journalistes à La Presse. Ils ont vécu ensemble cinq ans. À la fin, les fiancés se chicanent pour un oui ou pour un non. Ils rompent en 2002. "Elle était toujours là, aux alentours. Impossible d'avoir un peu de recul", se souvient Richard Labbé. En plus, Isabelle fait les yeux doux à un autre collègue quelques mois plus tard. Son patron donne à Richard sa bénédiction pour qu'il puisse travailler à partir de chez lui pendant cet épisode difficile. Esseulé dans un condo chargé de souvenirs, il se sent malheureux. "Mais le temps guérit tout", dit-il deux ans plus tard, dévisageant une grande brune qui vient d'entrer dans le café où nous discutons.

"Nous n'avions pas d'enfants, et nous étions tous deux indépendants financièrement", deux atouts, croit Isabelle. Aujourd'hui, les anciens conjoints entretiennent une relation amicale, comme auparavant. Ils travaillent côte à côte, s'appellent par leur sobriquet et prévoient même partir en voyage ensemble bientôt. "Mon nouveau chum n'est pas jaloux", précise Isabelle. Il s'agit peut-être d'une exception.

Quiconque est attiré par un collègue peut méditer les propos de Marc Pistoriou, qui affirme que les gens qui transgressent les limites d'une relation professionnelle sont dans une certaine détresse sur les plans affectif et émotif. De telles relations doivent s'établir en-dehors des frontières du travail, insiste le psychologue. Sa consoeur Nicole Côté parle de disponibilité émotive plutôt que de détresse. "Mais il faut y penser à deux fois avant de succomber à la tentation."

GUIDE DE SURVIE DU TRAVAIL EN COUPLE

- S'abstenir d'aborder des sujets personnels durant les heures de bureau et, de même, limiter les conversations d'ordre professionnel en dehors du travail.

- Interagir en professionnels au travail; laisser la "bulle" du couple à la maison, et se mêler aux autres.

- Prendre du temps pour soi, sans son partenaire.

- Être indépendant financièrement.

- Coucher toute entente sur papier.

Des cas spéciaux

Aux conjoints qui sont en en affaires ensemble, Robert Williamson, notaire chez Prud'Homme, Fontaine, Dolan, conseille de signer un mandat en cas d'inaptitude, un testament ainsi qu'une solide convention qui stipulera leurs droits à titre d'actionnaires ou d'associés. Advenant un conflit, à défaut d'une entente à l'amiable, une convention de ce type prévoit les modalités de règlement de litige.

Évidemment, c'est lorsque tout va bien que l'on signe une telle entente, précieuse en cas de séparation professionnelle ou personnelle, de divorce, de fraude, de décès ou d'invalidité de l'un des deux partenaires. Elle peut comporter des clauses de modalités de paiement (si l'un des partenaires quitte l'entreprise) et de non-concurrence, entre autres, "mais ces clauses doivent être raisonnables, sinon un juge pourrait éventuellement les annuler", note Robert Williamson.

Important: il faut déterminer le pourcentage des profits de chaque partenaire. Sylvie Tremblay, notaire chez Tremblay, Cossette, Gaudreau et Associés, effectue cette étape du processus de création d'entreprise avec le couple et son comptable. "Cela permet de déterminer le type d'intervention le plus approprié, parce qu'il n'y a pas deux couples pareils."

Pour une protection personnalisée, consulter un avocat ou un notaire recommandé par une connaissance.

On peut obtenir une liste de juristes spécialisés en droit d'entreprise en appelant la Chambre des notaires au (514) 879-1793 ou au 1 800 668-2473, ou le Barreau du Québec au (514) 954-3400 ou au 1 800 361-8495.

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