Entrevue n°275 : Sanjay Khosla, ex-pdg de Kraft Developing Markets


Édition du 06 Février 2016

Entrevue n°275 : Sanjay Khosla, ex-pdg de Kraft Developing Markets


Édition du 06 Février 2016

Par Diane Bérard

«Les entreprises doivent fuir la séduction de la multitude et adopter la sagesse du choix» - Sanjay Khosla, ex-pdg de Kraft Developing Markets.

Sanjay Khosla a dirigé les activités internationales de Kraft de 2007 à 2013. Il en a tiré la conviction qu'il vaut mieux viser juste que viser large. Et que la croissance ne passe pas nécessairement par la multiplication des projets et des produits. Son livre à succès, Fewer, Bigger, Bolder, décrit cette philosophie. Sanjay Khosla est aujourd'hui conseiller principal au Boston Consulting Group et sera conférencier à l'événement Vision PDG, le 17 février prochain.

Diane Bérard - Sous votre direction, les revenus internationaux de Kraft (aujourd'hui Mondelez) sont passés de 5 à 16 milliards de dollars américains en cinq ans. Et vous avez obtenu cette croissance en donnant carte blanche aux employés...

Sanjay Khosla - En effet, je suis un fervent défenseur de la carte blanche. Celle qui permet de viser la lune et vous assure d'avoir le carburant suffisant pour vous y rendre.

D.B. - Comment fonctionne la stratégie de la carte blanche ?

S.K. - Vous libérez vos employés des contraintes associées à la rareté des ressources pour leur permettre d'innover. Vous leur permettez de «voir grand», d'être créatifs, d'expérimenter. Au début, ils croient que vous êtes fou ! Puis, ils entrent dans un état de panique intense devant tant de liberté. Certains demeurent sous le choc. Ils sont incapables d'avancer. Vous savez alors que vous avez donné carte blanche à la mauvaise équipe. Les autres se mettent en action. Ils se disent qu'ils doivent obtenir des résultats. Et s'ils se contentent de répéter ce qu'ils font déjà, les résultats ne justifieront pas la liberté et les ressources qu'on leur a accordées. Alors, ils innovent.

D.B. - Jusqu'où va la liberté accordée aux employés ?

S.K. - D'abord, vous choisissez votre pari. Sur quoi votre organisation veut-elle miser ou que veut-elle redresser ? Puis, vous repérez la bonne équipe. Ensuite, au lieu de lui attribuer un budget et des ressources, vous lui donnez un but. Et vous demandez à cette équipe de rédiger un plan de match et d'établir les ressources qui lui seront nécessaires. Le but est divisé en plusieurs cibles et étapes clés. Vous vous assurez de faire le suivi adéquat.

D.B. - Parlons de la marque Oreo. Comment l'équipe responsable de l'international a-t-elle résolu le problème de la stagnation des ventes ?

S.K. - Oreo était une marque iconique aux États-Unis, mais pas dans les autres pays. C'était un cas typique de déséquilibre entre le «furieusement local» et le «nonchalamment global». Dans le premier cas, vous perdez toute économie d'échelle en suradaptant votre produit au marché local. Dans le second cas, vous perdez l'intérêt du consommateur en lui imposant un produit trop générique. Oreo était nonchalamment globale. Les Chinois, par exemple, trouvaient les biscuits trop gros et trop sucrés. Notre équipe locale a testé de nouvelles saveurs. La moitié d'entre elles ont raté la cible. Mais pour les saveurs chouchous, comme le thé vert, nous avons rapidement augmenté la production. Grâce aux initiatives des équipes locales, les ventes internationales d'Oreo ont été multipliées par cinq en six ans. Elles ont atteint 1 G$ US.

D.B. - Parfois, la carte blanche que vous accordez à vos employés reste... blanche.

S.K. - C'est vrai, cette stratégie ne fonctionne pas toujours. Mais si cela survient, il ne faut pas blâmer les employés. C'est la responsabilité des dirigeants de stopper l'expérimentation à temps.

D.B. - je crois que vous l'avez expérimenté à la dure.

S.K. - Oui, en Amérique latine avec la marque Royal. J'ai vraiment cru à cette gamme de produits nutritifs. Mais on tardait à obtenir des résultats. La gamme était trop vaste, et les marges, trop minces. On me répétait de laisser tomber. Je n'ai pas écouté. Et je n'ai pas effectué un suivi suffisamment serré. Kraft a accordé trop de ressources, nous avons persisté trop longtemps. J'ai finalement reconnu mon erreur, mais j'aurais dû le faire plus tôt.

D.B. - Vous avez demandé à l'équipe qui a échoué de raconter son histoire au reste de l'entreprise. Pourquoi ?

S.K. - Je savais que leur parcours serait plus utile au groupe que n'importe laquelle de nos histoires à succès. Il a fallu beaucoup de courage à ces employés pour monter sur la scène. Mais ce n'a pas été en vain. Six mois plus tard. Lorsque les participants évoquaient cet événement, c'est la prestation de l'équipe Royal qu'ils citaient.

D.B. - Le service des finances ne doit pas apprécier la méthode de la carte blanche.

S.K. - Vous ne pouvez pas appliquer la stratégie de la carte blanche à une grande échelle. Sinon, elle détruira votre processus budgétaire. Il faut choisir les problèmes que vous croyez pouvoir gérer ainsi.

D.B. - Maintenant que vous êtes consultant, vous mettez vos clients en garde contre «la séduction de la multitude». De quoi s'agit-il ?

S.K. - Combien d'organisations s'épuisent à faire une multitude de petites choses et de petits projets ? Elles lancent plus de produits, cherchent à conquérir plus de clients. Et elles saupoudrent, saupoudrent et saupoudrent... Il faut trancher. Les entreprises doivent fuir la séduction de la multitude et adopter la sagesse du choix.

D.B. - S'il ne faut pas saisir toutes les occasions d'affaires qui se présentent à nous, alors comment choisir ?

S.K. - Fiez-vous aux critères du modèle 3M : le momentum, le matériel et les marges. Est-ce le bon moment pour votre organisation d'exploiter cette occasion d'affaires ? Ce projet aura-t-il un impact suffisamment important sur l'entreprise ? Et sera-t-il assez rentable ?

D.B. - Vous résumez cette stratégie en trois mots : moins nombreux, plus gros, plus audacieux (fewer, bigger, bolder). Dites-nous-en plus.

S.K. - Prenons le cas de Kraft. Nous avons plus de 100 marques. Après les avoir toutes examinées, nous en avons retenu 10, dans 10 marchés. Pour chaque marque, nous avons gardé les cinq catégories les plus porteuses. Les autres marques n'ont pas été éliminées, mais les ressources qu'elles monopolisaient ont été redéployées vers les nouvelles priorités de la stratégie 10-10-5.

D.B. - Qui a la responsabilité et l'autorité de choisir les priorités de la stratégie «moins nombreux, plus gros, plus audacieux»?

S.K. - On décide en groupe, composé de représentants des différentes marques, produits ou services. Je propose la formule d'un atelier de deux jours. Avant celui-ci, chacun des participants compile des données précises sur la performance de sa marque. Sans ces données, l'exercice est inutile. En atelier, les participants - le groupe optimal compte une vingtaine de personnes - suivent le processus 3M décrit précédemment. Pour chaque produit, on se pose les questions suivantes : y a-t-il une occasion d'affaires particulière en ce moment ? Est-ce qu'en le favorisant, ce produit peut avoir un impact important sur la vitalité de l'entreprise ? Comment la rentabilité de ce produit se compare-t-elle au reste de l'offre de l'entreprise ?

D.B. - Que faites-vous de la politique au bureau ? Certains gestionnaires tenteront toujours d'imposer leurs priorités...

S.K. - En effet, on n'y échappe pas. C'est pourquoi il faut partager la prise de décision à plusieurs, afin de ne pas se laisser influencer. Et puis, pour un gestionnaire, le jugement collectif est probablement plus facile à accepter, parce qu'on le sent plus neutre.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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