Les deux vitesses de la pensée

Publié le 30/05/2013 à 12:12, mis à jour le 03/06/2013 à 12:12

Les deux vitesses de la pensée

Publié le 30/05/2013 à 12:12, mis à jour le 03/06/2013 à 12:12

Par Premium

Si l’intuition est un atout indispensable pour les dirigeants qui doivent prendre des décisions rapidement, elle peut aussi induire en erreur. Pourquoi ne pas miser sur l’intelligence collective ?

Les recherches les plus récentes ont montré que toutes les décisions, même celles qui paraissent les plus « raisonnées », sont en grande partie fondées sur l’intuition. Or, si l’intuition et l’expérience sont essentielles à la prise de décision, elles peuvent aussi être des sources d’erreurs de jugement. Est-il possible de dépasser les biais cognitifs, qui viennent souvent fausser la donne, en développant sa vigilance ? Selon Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002 et auteur de Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée (Flammarion, octobre 2012), les dirigeants peuvent concentrer leurs efforts et limiter les erreurs en apprenant à reconnaître les situations inadaptées au jugement intuitif et en faisant appel à l’intelligence collective.###

Bien qu’il semble peu scientifique d’attribuer nos décisions à de petites voix intérieures, Daniel Kahneman utilise la métaphore de deux sous-personnalités fictives (système 1 et système 2) pour faciliter la compréhension du processus décisionnel.

Ainsi, selon lui, le système 1 est « la cause principale de nos erreurs, mais aussi de nos réussites (plus nombreuses) ». Le système 1, rapide et intuitif, exerce une influence constante sur notre façon de penser. Synthèse des expériences et des émotions que nous avons vécues, il est efficace pour retrouver des informations manquantes et pour produire des réactions appropriées. Il est également capable de faire des prédictions précises à court terme. En revanche, sa tendance à tout simplifier est excessive. Le système 1 n’a pas les compétences nécessaires en logique et en statistiques, il est impulsif et facilement influencé par les émotions. En somme, le système 1 est sujet à de multiples biais cognitifs. S’il peut prendre les décisions quotidiennes sans grandes conséquences, tout se complique quand il lui faut analyser rigoureusement une situation.

Le système 2, quant à lui, a pour responsabilité de contrôler le système 1. Il corrige ses erreurs et se charge de résoudre les problèmes complexes qui nécessitent une pensée analytique. Son processus cognitif est maîtrisé, mais il demande un effort qui peut causer des négligences. « La loi du moindre effort s’applique autant à la réflexion qu’à l’effort physique. Si plusieurs approches [de prise de décision] permettent d’atteindre le même but, c’est la méthode la moins énergivore qui sera la plus populaire. » C’est pourquoi le système 2 délègue le plus souvent possible sa mission au système 1. Daniel Kahneman montre néanmoins qu’on peut réduire la quantité d’énergie mentale requise pour une tâche, même complexe. L’auteur se réfère aux recherches sur le flow, l’état mental dans lequel des efforts cognitifs soutenus sont réalisés de manière intuitive.

Aveugle et inconscient

D’après Daniel Kahneman, l’esprit possède deux caractéristiques majeures : il est souvent aveugle devant l’évidence et incapable de prendre conscience de son propre aveuglement. Généralement, nos décisions ne sont pas fondées sur nos expériences passées, mais sur le souvenir que nous en avons ; et ce phénomène nuit à notre capacité de faire des choix rationnels. Daniel Kahneman détermine deux pièges principaux que notre mémoire nous tend :

1. La négligence : la mémoire traite une expérience avec une vue d’ensemble, elle conserve un aperçu trop vague d’un problème passé et ne rend jamais compte de sa totalité.

2. La règle « pic-fin » : la mémoire est fortement influencée par le moment culminant d’une expérience et par sa fin. La plupart des décideurs surestiment leur capacité de jugement.

Les dirigeants peinent à remettre en cause leurs décisions, car ils sont convaincus qu’elles reposent sur une analyse rationnelle. Or, la fréquence (et la récurrence) des erreurs décisionnelles vient justement du fait que l’intuition joue un rôle déterminant dans les choix. Daniel Kahneman cerne les biais cognitifs suivants, qui sont présents même chez des experts en logique et en statistique :

• La recherche de cohérence : « Le système 1 vise une interprétation cohérente des stimuli externes, mettant au point des scénarios très convaincants mais la plupart du temps erronés et trop simplistes ».

• La sur-rationalité : le système 1 sous-estime considérablement le rôle du hasard. Il élabore des scénarios logiques pour expliquer la cause des événements, des scénarios dont les dirigeants tirent des conclusions aléatoires.

• L’entêtement : les dirigeants sont engagés personnellement dans les projets qu’ils dirigent. Résultat : quand les affaires vont mal, la peur de l’échec et du jugement des autres peut les mener à réinvestir à perte au lieu d’abandonner un projet voué à l’échec.

MISEZ SUR LA SAGESSE COLLECTIVE

Pour contrecarrer les biais cognitifs qui sont en jeu dans le processus décisionnel, Daniel Kahneman suggère que même les plus grands leaders comptent sur l’intelligence de la foule.

Prenons par exemple les réussites les plus importantes : elles sont généralement attribuées à de grands dirigeants suivis par un « troupeau de moutons ». Ainsi, la simplification à outrance de la réalité par le système 1 se traduit par une surestimation de l’impact des qualités individuelles du dirigeant sur la performance de l’entreprise et par une sous-estimation de la contribution collective des employés. Selon l’analyse statistique la plus optimiste de Daniel Kahneman, les meilleurs leaders ne contrôleraient pourtant que 30 % des facteurs qui expliquent la réussite de leur entreprise.

Comme le montrent Brook Manville et Thomas Davenport dans leur livre Judgment Calls: 12 Stories of Big Decisions and The Teams That Got Them Right, le monde des affaires raffole des success stories dans lesquelles des hommes comme Jack Welsh ou Steve Jobs sont portés aux nues et vénérés comme des demi-dieux. L’idée selon laquelle le génie de Jack Welch serait responsable de l’augmentation de plus de 5 000 % de la capitalisation boursière de GE pendant son mandat de PDG, entre 1981 et 2001, est sans doute plus séduisante que le tableau, plus complexe, d’une multitude de facteurs entremêlés, d’opinions contradictoires et de hasard. Cependant, une transition s’opère aujourd’hui. Nous passons de l’ère du « grand dirigeant » à celle de la « grande entreprise ». Compter sur le génie d’une seule personne montre ses limites dans un environnement volatil et chaotique. Le monde s’éloigne de la mentalité simpliste du génie individuel pour embrasser une vision plus collective et plus équilibrée des responsabilités au sein de l’entreprise. Ce changement d’opinion se reflète dans l’importance nouvelle accordée à la sagesse de la foule, notamment avec l’essor des outils 2.0 de collaboration et d’analyse de données en entreprise.

Brook Manville et Thomas Davenport parlent de transition de l’ère des « grands leaders » à celle des « grandes entreprises », un phénomène qui bouleverse la mission des dirigeants. Ces derniers passent du statut de décideur solitaire à celui d’« architecte social », responsable d’organiser l’intelligence collective afin de faciliter un processus décisionnel plus participatif.

Par exemple, réputée pour son management hiérarchique et autoritaire, EMC, une entreprise spécialisée dans le stockage de données qui compte 55 000 collaborateurs, a évolué en 2007 vers un style de prise de décision plus collaboratif en lançant son intranet appelé EMC/One1. En permettant à toutes les parties prenantes d’accéder au pouvoir décisionnel, le groupe a :

• Éliminé le cloisonnement entre les différents services ;

• Accédé à une manne d’opinions et de connaissances diverses indispensables à la prise de bonnes décisions ;

• Accru la motivation de ses collaborateurs.

Les dirigeants sont toujours indispensables dans le processus décisionnel, aussi collectif soit-il. Comme l’expliquent les auteurs de Judgement Calls : « Les compétences organisationnelles des leaders sont nécessaires, mais aujourd’hui l’environnement leur impose d’évoluer. C’est en tant que catalyseurs, ouverts aux autres, capables d’orienter leurs collaborateurs dans un débat collectif fructueux que l’entreprise a besoin d’eux. » Leurs nouvelles responsabilités consistent à :

• Réunir les bons participants pour multiplier les points de vue ;

• Créer un environnement propice au débat, encourageant l’expression de toutes les opinions indépendamment de la position hiérarchique ;

• Faciliter la formulation des idées et mettre en valeur les meilleures d’entre elles pour les soumettre au débat.

La NASA, une organisation habituée à une gestion autoritaire qui garantit les pleins pouvoirs de ses dirigeants, a ignoré les signaux d’alarme de ses ingénieurs quant à la date de lancement de la navette Challenger en 1986. L’histoire a confirmé leurs craintes quand la navette a explosé en vol une minute après son décollage, tuant tout l’équipage. Ce drame a entraîné une prise de conscience au sein de l’agence gouvernementale : l’habituel mépris envers les employés de « seconde classe » a fait place à l’écoute de l’ensemble du personnel et à une remise en question du processus décisionnel unilatéral. Tous sont désormais formés à :

• Combattre l’auto-satisfaction et l’arrogance ;

• Reconnaître que toute personne peut avoir tort, quelles que soient ses qualités intellectuelles ou sa position hiérarchique ;

• Détecter toute défaillance et apprendre de ses erreurs ;

• S’exprimer librement ;

• Écouter l’ensemble des collaborateurs, y compris les plus compétents.

Le Big Data

Les entreprises qui ont adopté le Big Data ont une performance supérieure de 26 % à la moyenne de leur secteur, notamment parce qu’elles peuvent prendre leurs décisions en se fondant sur des critères plus solides. Selon Thomas H. Davenport et Brook Manville, « de plus en plus d’entreprises tirent profit de la technologie et des outils analytiques. Ce progrès leur permet de prendre des décisions plus fiables et plus durables ».

• L’analyse de données permet aux dirigeants de se concentrer sur ce qui est important : de nouvelles méthodes d’analyse (souvent peu onéreuses, comme Google Analytics) permettent d’organiser, de synthétiser et de classer par ordre de priorité les informations essentielles à la prise de décision.

• Les nouveaux outils de communication tels que les réseaux sociaux facilitent la transition vers un modèle plus démocratique et plus participatif du processus décisionnel.

• Développer les compétences analytiques de ses collaborateurs : trop d’entreprises se contentent d’une poignée d’experts en analyse de données et d’une armada d’employés non formés.

• Développer les compétences en communication des services informatiques : de nombreux services qui n’utilisaient pas l’analyse de données jusqu’alors sont susceptibles d’en avoir besoin aujourd’hui. Problème : ils ne savent ni pourquoi ni comment s’en servir.

• Faciliter l’accès à l’information : l’intranet est une mine d’informations pour les employés, mais il est rarement perçu comme tel, faute de communication. « Plus de 56 % des employés déclarent ne pas savoir où trouver l’information dont ils ont besoin pour mener à bien leur travail quotidien. »

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