Les cadres intermédiaires, ces incompris

Publié le 21/01/2011 à 17:22, mis à jour le 21/01/2011 à 17:22

Les cadres intermédiaires, ces incompris

Publié le 21/01/2011 à 17:22, mis à jour le 21/01/2011 à 17:22

Par Premium

Durement touchés par le contexte économique actuel et par les restructurations d’entreprises, essouflés par leurs nombreuses responsabilités et enfermés dans des impasses professionnelles, les cadres intermédiaires sont en crise. Que faire face à leur malaise sans cesse croissant ?

Les cadres intermédiaires, trop souvent mis à mal par leur organisation, traversent une crise irréfutable. D’où leur cynisme et leur prise de distance face à l’entreprise. Selon Paul Osterman, il importe de leur accorder le soutien, la reconnaissance et la place qu’ils méritent. Plus encore, il est urgent de leur donner les moyens de progresser au sein d’une organisation dont ils constituent un maillon indispensable.

De plus en plus considérés par les employés comme des bureaucrates inutiles, les cadres intermédiaires souffrent d’une dévalorisation de leur travail ainsi que d’un stress important dû aux modifications de leurs fonctions. « Le middle management reste associé aux licenciements massifs, à l’exécution de tâches institutionnelles, de même qu’aux impasses professionnelles », rappelle Paul Osterman. Pourtant, ses travaux, basés sur des interviews menées entre 2004 et 2005 auprès d’une centaine de gestionnaires, montrent une tout autre réalité : les cadres intermédiaires représentent toujours une force de travail nombreuse, compétente et attachée à son environnement professionnel. Quels sont les nouveaux enjeux liés à l’évolution de la fonction des cadres intermédiaires ? Comment tirer parti de leurs atouts et revaloriser leur rôle au sein de l’entreprise ?

Trop de responsabilités… ou pas assez

Paul Osterman dénonce l’émiettement des responsabilités du cadre intermédiaire, qui l’éloigne de sa fonction première : faire le lien entre les employés et la haute direction. La profession s’est en effet fragmentée en une multitude de tâches plus ou moins cohérentes. L’auteur cite à titre d’exemple un guide utilisé par l’entreprise AT&T dans les années 1940 : « Les fonctions du gestionnaire sont, premièrement, de garantir la communication, deuxièmement, de s’assurer que chaque employé exerce correctement ses fonctions, troisièmement, de définir et de formuler les objectifs de performance. » Or, de nos jours, le cadre intermédiaire est tour à tour chef d’équipe, fournisseur d’informations, contrôleur, chef comptable, agent de liaison, porte-parole, entrepreneur, médiateur des conflits, chef des ressources humaines ou négociateur. Autant de tâches qui n’ont rien à voir avec ses fonctions de base. « Les gestionnaires sont censés diriger les équipes et gérer les procédures. Je crois qu’aujourd’hui nous ne sommes plus que des presse-citrons », renchérit un cadre de TechCo. Le cadre intermédiaire doit passer constamment d’une tâche à l’autre, en un mot, être polyvalent !

Or, cette polyvalence est à double tranchant. Car, bien que gratifiante, elle engendre un sentiment de dispersion qui peut mener au :

burnout — les responsabilités se multiplient ou s’alourdissent (par exemple lorsque le nombre de cadres intermédiaires diminue dans l’entreprise), ce qui entraîne plus de pression de la part des cadres supérieurs et un surcroît de stress.

boreout — les tâches se multiplient, mais les vraies responsabilités sont moins grandes qu’avant, ce qui entraîne démotivation et déresponsabilisation.

Une carrière freinée à long terme

Confrontés aux évolutions organisationnelles, les cadres intermédiaires souffrent par ailleurs d’une révision à la baisse de leurs perspectives de carrière. Si les statistiques ne mettent pas en évidence une réelle précarisation de leur statut, la progression est devenue difficile dans un contexte où chaque entreprise cherche à faire des économies : licenciements, gel des salaires, mais aussi coupes dans les plans de retraite et les budgets de formation. L’ancienneté ne paie plus et les espoirs d’arriver au sommet de l’organigramme s’amenuisent. De surcroît, l’amertume est accrue par les risques de licenciement : l’inflation des niveaux hiérarchiques au fil des années (d’où la logique : plus un gestionnaire supervise de cadres, mieux il est payé et a donc intérêt à s’entourer d’une équipe nombreuse) a fortement contribué à discréditer les cadres intermédiaires. Assimilés à des bureaucrates inutiles, ils deviennent des cibles toutes désignées pour les licenciements.

Un engagement accru

Déstabilisés par la restructuration des entreprises et mis à l’écart des décisions stratégiques, les cadres intermédiaires devraient se sentir désinvestis, n’est-ce pas ? Pourtant, selon Paul Osterman, leur sens de l’engagement est resté intact et leur travail leur apporte même plus de satisfaction aujourd’hui qu’il y a 25 ans.

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Rien n’est moins sûr, précise l’auteur : « Alors que les cadres intermédiaires restent motivés par leurs tâches et liés à leurs collègues, ils sont de plus en plus cyniques et distants face à l’organisation. » Les entreprises doivent donc prendre conscience de la valeur des cadres intermédiaires et repenser leur rôle au sein de l’entreprise — dès maintenant !

Une loyauté à réorienter

Ralentissement économique et, par conséquent, diminution des niveaux hiérarchiques sont autant de sources de frustration pour les cadres intermédiaires qui voient leur évolution stagner. Cependant, l’auteur met en évidence un attachement solide des cadres à leur poste de travail et surtout à leurs collègues. Nombre d’entre eux s’estiment très attachés à leur équipe. La loyauté des gestionnaires reste donc forte, mais ambivalente : elle se porte sur le poste et sur l’équipe plus que sur l’entreprise !

Pour Paul Osterman, cette loyauté peut varier selon trois critères et entraîner des conséquences plus ou moins désastreuses :

1. Les perspectives d’évolution. Si les chances d’avancement semblent minces, voire inexistantes, le cadre révise ses ambitions à la baisse et cherche une compensation en privilégiant sa vie privée, au détriment de ses fonctions.

2. La confiance dans la haute direction. Si des restructurations ou des fusions-acquisitions propulsent un outsider à la tête de l’entreprise et que ce nouveau PDG ne suscite pas l’adhésion, la loyauté des gestionnaires envers les dirigeants s’effrite.

3. Les craintes de licenciement. Dans un tel contexte, les cadres se tournent vers l’extérieur, ils sont plus attentifs aux occasions qui pourraient surgir au sein d’une entreprise concurrente.

Redonner du sens au rôle de cadre intermédiaire

D’après The Truth About Middle Managers, dePaul Osterman, Harvard Business Press, février 2009.

Alors que la plupart des cadres intermédiaires ont une vision étroite de leur rôle, il importe de redonner du sens à leur fonction. Comment ? En actionnant deux leviers. Un premier qui leur offre la possibilité de bâtir une carrière à long terme, et un second qui atténue le sentiment d’iniquité et d’injustice qu’ils ressentent à l’égard de la haute direction.

1-Offrir aux cadres intermédiaires des perspectives de carrière

Les cadres intermédiaires se concentrent sur leurs tâches quotidiennes alors que leur rôle doit englober des missions stratégiques, observe Paul Osterman. Plutôt que de transformer le fonctionnement de l’entreprise, il propose de les aider à se réapproprier leur mission en incitant les organisations à :

1. Voir le middle management comme une profession indépendante

Le but ? Développer la spécificité des cadres intermédiaires au sein de l’entreprise. À défaut de se sentir liés à leur entreprise, ils développeraient ainsi un attachement particulier à leur profession et trouveraient la valorisation que leur entreprise ne peut pas toujours leur accorder.

2. Aider les cadres intermédiaires à bâtir leur carrière au sein même de l’entreprise

Paul Osterman conseille de mettre l’accent sur la mobilité transversale en insistant sur la formation interne et en organisant des rencontres avec la haute direction. L’objectif final est d’amener les cadres intermédiaires à prendre conscience du rôle stratégique qu’ils sont censés jouer dans l’organisation.

3. Valoriser le travail des cadres intermédiaires

À l’instar des artisans, Paul Osterman recommande d’associer le travail des cadres intermédiaires à leurs compétences et à la maîtrise d’un savoir théorique. Concrètement, il s’agit de prendre en compte quatre spécificités : le travail du cadre intermédiaire doit être intéressant ; il doit permettre de mettre à profit son savoir-faire au quotidien et de le développer ; il doit apparaître comme une fin autant qu’un moyen ; ses responsabilités doivent être intimement liées à son identité.

2-Lutter contre le sentiment d’injustice

Parallèlement, la réappropriation de la mission des cadres intermédiaires passe par un renforcement de l’éthique au plus haut de la hiérarchie.

1. Récompenser les dirigeants à leur juste valeur

Si les cadres intermédiaires acceptent de travailler dur et de prendre des risques quand leur entreprise traverse une mauvaise passe, ils éprouvent d’autant plus de ressentiment à l’égard de leurs dirigeants qui s’en tirent avec des parachutes dorés, des primes déraisonnables ou divers avantages en nature. Pour Paul Osterman, en partageant efforts et récompenses de manière vraiment équitable entre les différents niveaux hiérarchiques, l’entreprise remobilisera l’ensemble de ses collaborateurs, cadres intermédiaires en tête.

2. S’intéresser aux parties prenantes (stakeholders) et pas uniquement aux actionnaires

La question précédente soulève également celle de l’objectif premier de l’entreprise : maximiser la richesse des actionnaires, ou optimiser la satisfaction de l’ensemble de ses parties prenantes ? Puisque aujourd’hui les employés investissent beaucoup dans leur entreprise, répond Paul Osterman, cette dernière doit mettre en place une politique de récompense adaptée aux efforts consentis, comme elle le fait pour les actionnaires.

Même si le cadre intermédiaire paie en ce moment un lourd tribut à la crise économique, il serait dangereux d’occulter ses besoins et ses attentes, car sa contribution est indispensable au fonctionnement de l’entreprise. Réfléchir à l’engagement, à la remobilisation de cette force vive doit impérativement être pris au sérieux. Mais, attention, la revalorisation des cadres intermédiaires ne passe pas uniquement par des compensations financières ! Ceux-ci attendent surtout de leurs supérieurs la redéfinition de leur statut et d’intéressantes perspectives de carrière. Pourquoi ne pas penser à une « communauté d’intérêts » ? s’interroge alors Paul Osterman. Une communauté qui constituerait une solution pragmatique et durable pour redonner aux cadres intermédiaires toute la place qu’ils méritent.

Jim Burke

Comment accorder plus de temps aux cadres intermédiaires

D’après une interview de JIM BURKE, fondateur de James C. Burke Associates et consultant en management et en développement organisationnel.

« Sans un vrai investissement — intellectuel et affectif — des cadres intermédiaires, une organisation ne peut pas déployer tout son potentiel », affirme Jim Burke. Or, sans reconnaissance professionnelle et personnelle, point d’engagement… La crise du middle management doit se comprendre à la lumière de la nature humaine ! Pour exceller, les cadres intermédiaires ont un besoin réel et pressant de relations de travail de qualité.

Jim Burke insiste sur la valeur stratégique du cadre intermédiaire, balayant du même coup le cliché de l’employé inutile pour l’entreprise. Leur position médiane dans le schéma organisationnel met les cadres intermédiaires à proximité de tous les acteurs de l’organisation : ils échangent avec l’équipe dirigeante, qui s’appuie sur eux pour mettre en œuvre les décisions, ils savent comment les directives sont comprises par ceux qui doivent les appliquer, et leur proximité avec les autres cadres intermédiaires leur permet d’élaborer des solutions interfonctionnelles. Cette situation centrale en fait des acteurs essentiels : sans leur adhésion, aucun changement stratégique ou opérationnel ne peut être vraiment implanté et suivi avec efficacité ! Leur motivation et leur enthousiasme doivent donc être réellement pris en compte par la haute direction. En outre, il est nécessaire de dépasser la seule perspective des promotions hiérarchiques, affirme Jim Burke.

Stimuler le goût du défi

Prendre le cadre intermédiaire le plus qualifié de l’équipe et le nommer chef de projet sur une mission ciblée peut s’avérer très positif. « Quand un nouveau défi — projet ou problème — fait surface dans une réunion de direction, le cadre supérieur doit avoir le réflexe de se demander qui, parmi les cadres intermédiaires, est le mieux placé pour répondre aux exigences du projet et piloter un groupe de travail chargé d’élaborer une solution », précise Jim Burke.

Valoriser la contribution individuelle

L’établissement de relations de qualité entre haute direction et middle management a un impact positif significatif sur les performances. Et l’inverse se vérifie également. « L’impression chez un cadre intermédiaire que la direction n’estime pas sa contribution à sa juste valeur ouvre la porte à une relation de dépendance hostile. Le cadre continuera à faire son travail, mais cessera toute forme de participation créative ou tiendra à ses collaborateurs et à ses collègues ou subordonnés des discours critiques ou démotivants — avec des conséquences néfastes sur l’innovation, l’amélioration des processus, le moral et la fidélisation des employés », ajoute l’expert.

Accorder du temps de qualité

« Rien de tel que consacrer du temps à un collaborateur pour qu’il se sente valorisé », affirme Jim Burke. Par exemple, General Electric a découvert en sondant ses employés que cadres et subordonnés se considéraient unanimement plus heureux et productifs quand le nombre d’entretiens individuels augmentait. L’entreprise a donc encouragé la régularité des échanges personnalisés entre les cadres et les collaborateurs directs. Je recommande aux cadres supérieurs et intermédiaires d’échanger régulièrement sur leurs attentes mutuelles en ce qui concerne les tâches à accomplir et les comportements à adopter. Grâce à ce processus, le middle management peut se sentir impliqué dans les décisions de la haute direction. »

Aller toujours jusqu’au bout

Un scénario classique : la direction attribue à un cadre intermédiaire la responsabilité d’implanter un nouveau projet, puis s’en détourne entièrement au profit de nouvelles priorités. Résultat prévisible ? Le cadre intermédiaire se sent manipulé, tranche Jim Burke. « Vous savez, les gestionnaires ne sont pas dupes quand l’équipe de direction ne les implique que pour la forme, quand leur avis est sollicité sans réelle intention d’en tenir compte. Cela entraîne un sentiment d’exclusion, qui peut aboutir au manque de

respect pour le PDG, l’équipe de direction et la stratégie de l’entreprise. » En choisissant l’évitement ou le manque d’implication réelle, une entreprise peut espérer de bonnes performances, mais jamais les meilleures performances possible. Refuser la facilité est sans aucun doute le bon choix, d’autant plus quand l’identification du problème est déjà en soi un grand pas vers la solution.

Notre partenaire

Cette synthèse du livre The Truth About Middle Managers a été préparée par Business Digest, une firme qui aide les gestionnaires et les dirigeants à mieux comprendre leur environnement d’affaires et son évolution. Pour plus d’info : www.business-digest.fr.

À la une

Budget fédéral 2024: l'art de se tirer dans le pied

17/04/2024 | Daniel Dufort

EXPERT INVITÉ. Le gouvernement de Justin Trudeau «s’autopeluredebananise» avec son «budget mémorable».

Gain en capital: pas une surprise

17/04/2024 | Dany Provost

EXPERT INVITÉ. «Combien d’impôt ça va vous coûter de plus?»

L'industrie technologique mécontente des mesures sur les gains en capital

Mis à jour le 17/04/2024 | La Presse Canadienne

L'industrie technologique est mécontente des mesures sur les gains en capital.