«Les affaires reprennent, mais pas ma santé mentale...»

Publié le 10/05/2022 à 11:00

«Les affaires reprennent, mais pas ma santé mentale...»

Publié le 10/05/2022 à 11:00

Par Olivier Schmouker

Quand, soudain, rien ne va plus... (Photo: Towfiqu Barbhuiya pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Je suis le propriétaire d’une PME d’une dizaine d’employés qui œuvre dans le secteur culturel. Les affaires reprennent enfin, pour de bon, semble-t-il. Et pourtant, ma santé ne s’en porte pas mieux: des vagues de fatigue emportent avec elles toute mon énergie pendant plusieurs jours, ou encore des idées noires tournent dans mon crâne et m’empêchent de trouver le sommeil. J’ai toujours peur qu’une catastrophe survienne sans prévenir. Je me sens stressé, anxieux, angoissé. En permanence. Comment retrouver un peu de paix dans mon esprit?» – Gabriel

R. — Cher Gabriel, sachez que vous n’êtes pas le seul à être en proie à ces tourments. Relief, un organisme qui vient en aide aux Québécois pour faire face à l’anxiété, à la dépression et à la bipolarité, a vu ses demandes d’aide bondir de 30% depuis le début de la pandémie. Et la demande a été si forte de la part des entrepreneurs qu’il a créé en septembre dernier le programme Relief Affaires, qui vise à appuyer les dirigeants d’entreprise soucieux d’une meilleure santé mentale, pour eux-mêmes comme pour leurs employés.

C’est que, chaque semaine au Canada, 3% des employés s’absentent du travail pour des raisons de santé mentale, selon le cabinet-conseil Deloitte. Ce qui représente un gouffre financier: 70% des coûts d’invalidité d’une entreprise sont aujourd’hui attribuables aux problèmes de santé mentale.

D’où mon idée, Gabriel, de vous faire part de trois témoignages d’entrepreneurs qui traversent les mêmes difficultés que vous. Des témoignages poignants, qui se sont produits la semaine dernière lors du webinaire «L’humain derrière l’entreprise» organisé par la Fédération des chambres de commerce du Québec et le cabinet-conseil Raymond Chabot Grant Thornton. Des témoignages, me semble-t-il, on ne peut plus inspirants.

 

1. Pierre Marc Tremblay, propriétaire, restaurants Pacini

Du jour au lendemain, la pandémie a changé la donne pour la chaîne de restaurants Pacini: fermeture de 25% des restaurants et mise à pied «temporaire» de quelque 800 employés. «Les pertes se sont aussitôt chiffrées en millions de dollars», a raconté le propriétaire Pierre Marc Tremblay, la gorge nouée.

Les crises sanitaire et économique ont eu un effet dévastateur sur sa vie personnelle. Sa mère est décédée des suites de la COVID-19. Son couple a divorcé. Son corps s’est mis à souffrir du zona et d’une prostatite aiguë. «Le stress était sans fin et se traduisait par des réactions physiques insoutenables», a-t-il confié.

Au fur et à mesure que les mois passaient, Pierre Marc Tremblay ressentait une pression de plus en plus écrasante sur ses épaules. À lui en casser les reins. À lui en briser le moral. «Alors, je me suis mis à pleurer», a-t-il lâché, le souffle court.

Les pleurs l’ont libéré. «Ils m’ont aidé à me changer les idées, à laver mes plaies, à passer à autre chose», a-t-il dit.

Les pleurs lui ont donné le cran de parler ouvertement de ses souffrances aux autres. «J’avais peur d’aborder le sujet avec mon équipe de gestionnaires. J’avais peur de m’effondrer devant eux, alors que j’étais censé être le leader infaillible. J’avais peur, et j’avais tort d’avoir peur, car ils m’ont aussitôt soutenu, comme jamais auparavant», a-t-il expliqué, en soulignant que cela lui avait donné «la force nécessaire pour faire face à la tempête».

Selon le propriétaire des restaurants Pacini, l’entreprise ne serait sûrement pas aussi bien repartie aujourd’hui, en 2022, s’il ne s’était pas ainsi ouvert à ses lieutenants, en 2020.

 

2. Tommy Roberge, président, Escaléra

Le cauchemar de Tommy Roberge a commencé en 2014. Cette année-là, le président d’Escaléra voulait étendre à l’Alberta les activités de son entreprise de construction générale établie à Québec. Il s’est installé à Calgary avec sa petite famille, histoire d’y «conquérir des parts de marchés» pendant que ses enfants deviendraient «parfaitement bilingues». Mais voilà, tout s’est mis à aller de travers à la maison-mère «dès qu’[il] a eu le dos tourné»: «Des choses bizarres se sont produites et rapidement la boîte s’est mise à perdre de l’argent», a-t-il dit, en indiquant que «le chiffre d’affaires a brutalement chuté de 12 M$ à 2,5 M$».

La situation est partie en vrille, à l’entreprise comme à la maison. Il a dû multiplier les voyages aller-retour entre Québec et Calgary afin de «guerroyer pour redresser les affaires», ce qui a pris «des mois et des mois». Pendant ce temps, sa petite famille s’est sentie abandonnée: «Ma plus jeune m’en a tellement voulu qu’elle… qu’elle… qu’elle ne m’a plus parlé pendant trois années», a-t-il révélé, des sanglots dans la voix.

«Je n’avais plus rien. Je n’arrivais plus à payer mon monde. Je n’arrivais plus à communiquer avec mes proches. La charge émotionnelle était insoutenable!»

Un beau jour, Tommy Roberge roulait vers un chantier pour y régler un énième problème. La route était longue. La route était interminable. Il a remarqué qu’un camion venait en sens inverse à toute allure, et l’idée lui a traversé l’esprit de donner un brusque coup de volant vers le bolide. Pour en finir. «J’ai vu l’image de mes enfants apparaître sur mon pare-brise, c’est ce qui m’a sauvé», a-t-il confié, en larmes.

Le président d’Escaléra a eu un déclic salvateur à la suite d’un courriel. Une demi-heure après avoir rédigé et envoyé un message à son contact à la Banque de développement du Canada (BDC) pour lui signifier qu’il ne voyait pas comment se sortir du pétrin financier dans lequel il se trouvait, des policiers ont déboulé dans son bureau. Parce qu’ils craignaient qu’il ne commette un acte irréparable. «J’ai alors compris que je n’étais pas tout seul, que je pouvais compter sur des gens autour de moi pour m’aider à sortir la tête de l’eau», a-t-il dit.

Son idée a alors été d’arrêter de broyer du noir à son sujet pour, à la place, venir en aide aux autres! Un contremaître n’allait pas bien à La Malbaie? Il sautait dans sa voiture et prenait tout le temps nécessaire pour lui remonter le moral. Ses employés de bureau mangeaient seuls devant l’écran de leur ordinateur? Il a imposé à tous de manger ensemble pour jaser de tout et de rien. «Ce qu’il fallait, pour moi, pour les autres, c’était des élans de solidarité, des instants remplis d’humanité», a-t-il résumé.

 

3. Paul Le Brun, PDG, Brault & Bouthillier

90%. La pandémie a fait s’effondrer les ventes de Brault & Bouthillier, un spécialiste des jeux éducatifs établi à Montréal, de 90%. «Les vannes se sont taries en un clin d’œil», a dit le PDG Paul Le Brun.

Résultat? Les activités ont tourné au ralenti, les salaires ont accusé le coup et les employés venaient le voir dans son bureau pour lui confier, traumatisés, qu’ils n’arrivaient plus à boucler les fins de mois. «Pour la première fois, je me suis senti impuissant. Extrêmement seul. Pis, jugé en mal», a-t-il dit.

La pression a été telle qu’il a fini par craquer. «Moi qui étais triathlète, j’ai donné mon 110% pour surmonter les difficultés. Mais la tâche s’est révélée épuisante, et les résultats, décevants. J’ai fini par me réfugier dans l’alcool», a-t-il raconté, en ajoutant qu’aujourd’hui encore il avait «des problèmes d’alcoolisme».

Paul Le Brun a fini par réaliser que les mauvaises nouvelles le minaient plus que tout. Il s’est donc attaché à «trouver du positif» au travail et dans la vie en général. Car cela procure «une toute nouvelle énergie». Car, lorsqu’on touche le fond, cela permet de donner «le petit coup de pied nécessaire et suffisant pour remonter à la surface».

Le truc, c’est de «se presser d’attendre», a indiqué Paul Le Brun. Ça consiste à y aller un pas à la fois, sans se précipiter. «Personne ne devient marathonien en courant 42,2 km dès la première course, a-t-il expliqué. Il faut y aller par étapes: franchir la barre des 30 km, ça prend au moins six mois d’entraînement.»

À chacun ses étapes. Cela peut revenir à «oser parler» de ses difficultés et de ses incapacités. À «afficher sa vulnérabilité». Le cas échéant, à «pleurer» devant les autres. Selon le PDG de Brault & Bouthillier, «il en ressort toujours quelque chose de beau», que ce soit le soulagement de démolir ainsi «l’image erronée du PDG super-héros» ou le plaisir de découvrir que «les autres sont merveilleux d’empathie».

Voilà, Gabriel, les trois témoignages dont je voulais vous faire part. On peut les résumer aux trois conseils pratiques suivants, à la portée de chacun de nous, me semble-t-il:

— S’ouvrir. Oser afficher sa vulnérabilité, car s’ouvrir aux autres ouvre leur cœur.

— Agir. Venir en aide à autrui, car cela permet, par la même occasion, de se faire du bien à soi-même.

— Changer. Transformer le négatif en positif, une étape à la fois.

En passant, l’écrivain français Christian Charrière a dit dans Le Maître d’âme: «Nous sommes dans les broussailles ; croît en nous l’herbe mauvaise, qu’il faut arracher par poignées pour découvrir le paysage qui nous entoure».

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