Le pari de Starbucks

Publié le 24/08/2013 à 16:09

Le pari de Starbucks

Publié le 24/08/2013 à 16:09

Par Premium

Le chef de la direction de Starbucks, Howard Schultz, vise une croissance disciplinée, tant dans les marchés émergents que dans les marchés développés.

Une entrevue réalisée par Allen Webb, McKinsey Quarterly

Bloc à droite sur l’auteur : Howard Schultz a fait de Starbucks une multinationale du café en quelques années, après en être devenu propriétaire en 1987. En 1999, il publie un premier livre Pour Your Heart Into It: How Starbucks Built a Company One Cup at a Time. L’année suivante, soit en 2000, il quitte son poste. Il est appelé à la rescousse huit ans plus tard, lorsque l’entreprise traverse une période difficile. Il mène alors plusieurs réformes dont le mémorable coup d’éclat du 26 février 2008 quand les employés des 7 100 Starbucks aux États-Unis demandent à tous les clients de quitter les lieux simultanément pour la tenue d’une gigantesque opération au cours de laquelle les serveurs doivent réapprendre à préparer l’expresso.###

En 2011, Howard Schulz publie le livre How Starbucks Fought for Its Live without Losing Its Soul* (Comment Starbucks a sauvé sa peau sans perdre son âme). Le magazine économique Fortune l’a consacré « homme d’affaires de l’année » en 2011.

En 2008, lorsque Howard Schultz est revenu chez Starbucks à titre de chef de la direction, il a rapidement conclu que la croissance était devenue anarchique et qu’une transformation de la culture et de la stratégie opérationnelle de l’entreprise s’imposait. Les marchés émergents ont un rôle important à jouer dans la stimulation de la croissance future. Il en va de même de la transition de Starbucks vers ce qui sera — c’est du moins ce qu’Howard Schultz espère — la première société à exceller, tant comme détaillant que comme fournisseur de biens de consommation courante, dans les supermarchés et autres réseaux de grande diffusion.

McKinsey Quarterly : En 2008, quels éléments vous ont semblé anarchiques ?

Howard Schultz : Lorsque nous avons examiné certains des magasins non rentables, j’ai été horrifié d’apprendre que certains étaient ouverts depuis moins de 18 mois. Ce sont ceux-là que nous avons dû fermer, en fin de compte. Quand on pense à l’argent investi et aux radiations que nous avons dû faire, on ne peut y voir qu’un manque de discipline dans le processus de prise de décision. Par ailleurs, je crois qu’il y a eu des moments, durant cette période de quête de croissance à tout prix, où nous prenions des décisions qui étaient largement motivées par le cours de l’action. C’est une voie dangereuse.

McKinsey Quarterly : Vous avez cessé, peu de temps après votre retour, d’annoncer les ventes des magasins comparables. Pourquoi avoir pris cette décision ? Et quelles en ont été les conséquences ?

Howard Schultz : Eh bien, la distinction est subtile entre essayer de gérer l’entreprise le mieux possible pour respecter notre responsabilité fiduciaire, et parallèlement, offrir aux analystes une transparence parfaite, à laquelle ils ont droit. Et je dis une « distinction subtile » parce qu’on ne veut pas commencer à prendre des décisions en se basant sur un ratio cours-bénéfice ou sur le cours de l’action. Toutefois, lorsque ce ratio et le cours atteignent un certain niveau, on commence à croire que l’entreprise en vaut autant. Et on en vient au point où l’on gère en fonction du maintien ou de l’augmentation de cette valeur.

La plupart des détaillants et des entreprises de restauration traînent un boulet, à savoir une mesure que Wall Street a créée il y a très longtemps : le calcul de la croissance des magasins ouverts depuis plus d’un an. Pour savoir si une entreprise est solide, on peut certes y arriver en isolant une unité et en comparant sa croissance sur 12 mois, mais ce n’est pas la seule façon de s’y prendre. Quoi qu’il en soit, Wall Street s’est entiché de cette méthode. En conséquence, la plupart des détaillants et des restaurants annoncent chaque mois les ventes de magasins comparables. Il en résulte d’importantes fluctuations des cours boursiers sur une base mensuelle.

À mon retour, j’ai cru que nous étions devenus liés à l’interne aux chiffres d’affaires des magasins comparables, et nous avons commencé à prendre des décisions qui généraient des revenus supplémentaires et qui n’étaient peut-être pas compatibles avec la valeur de la marque. Je voulais débarrasser les exploitants de ce boulet.

J’ai donc annoncé un jour que nous allions mettre fin à la pratique d’annoncer les ventes mensuelles des magasins comparables. On aurait pu s’attendre au pire, mais cela n’a pas été le cas. Par contre, à l’époque, comme les rendements n’étaient pas au rendez-vous, j’ai été accusé de manquer de transparence et d’essayer de cacher des choses. Toutefois, ce que je visais, c’était de faire en sorte que le personnel gère l’entreprise en ayant en tête l’élément essentiel : le client.

McKinsey Quarterly : Que vouliez-vous dire exactement quand vous avez affirmé que vous souhaitiez trouver un autre mode de croissance pour Starbucks ?

Howard Schultz : Il s’agit là d’un tournant majeur. Je crois que nous avons trouvé une occasion superbe de faire quelque chose de vraiment nouveau. Bien que de nombreuses entreprises du pays et du monde entier aient réussi à bâtir un réseau de magasins de détail à l’échelle nationale, comme Starbucks l’a fait — Gap, Costco, Wal-Mart, Coach, Zara — et bien qu’il y ait de nombreuses sociétés de biens de consommation courante —Pepsi, Coke, Kellogg, Campbell —, aucune société n’a su bâtir des canaux de distribution complémentaires en intégrant le réseau de détail et les canaux de distribution omniprésents — dans notre cas, des épiceries et des pharmacies.

Selon notre nouveau modèle, Starbucks peut créer et offrir de nouveaux produits et de nouvelles marques dans ses propres magasins. Nous avons lancé le café instantané VIA dans nos magasins. Le café instantané représente un marché mondial de 24 milliards de dollars qui n’a connu aucune innovation depuis plus de 50 ans. Et aucune croissance. Si nous avions pris VIA et que nous l’avions placé sur les tablettes des épiceries sans plus, sa disparition aurait été inévitable. Toutefois, nous pouvions lier VIA au lien émotif que nous avons avec nos clients dans nos magasins. C’est ce que nous avons fait pendant six à huit mois, et le succès enregistré dans nos magasins a largement dépassé nos attentes. En conséquence, il nous a été très facile de convaincre l’industrie, car tout le monde se l’arrachait.

Nous pouvons appliquer des modèles élaborés dans nos magasins à des canaux de distribution, les intégrer ensuite en profitant de la capacité et de la discipline que nous avons acquise dans les médias sociaux et numériques. À l’heure actuelle, une transaction sur cinq dans nos magasins se fait au moyen d’une carte Starbucks, et la croissance est rapide.

McKinsey Quarterly : Passons à un autre sujet. Parlons du potentiel de Starbucks dans les marchés émergents.

Howard Schultz : Pour ce qui est du total de magasins, c’est en Chine que se trouvent les meilleures perspectives.

Comme la plupart des marques occidentales, nous avons fait notre incursion en Chine en 1999, en nous installant dans les deux plus grandes villes, Shanghaï et Beijing. Au cours des deux dernières années, il est ahurissant de constater ce que nous avons réussi à faire dans les marchés secondaire et tertiaire — ces marchés comptent de cinq à dix millions de personnes.

Un représentant du gouvernement m’a dit qu’actuellement, il y a en Chine 140 villes dont la population atteint le million d’habitants. Nous n’avons pas de plan d’implantation pour ces 140 villes, mais nous croyons fermement que nous sommes prêts, tant en matière de discipline que de processus, à réaliser un plan d’expansion massif en Chine, tout en tirant des leçons des erreurs commises aux États-Unis.

McKinsey Quarterly : Alors, comment choisissez-vous ?

Howard Schultz : Nous avons toute une équipe, une équipe immobilière — c’est-à-dire une équipe locale — qui travaille avec notre personnel ici à Seattle. Comme vous pouvez l’imaginer, au cours des 40 dernières années, nous avons bâti un modèle très perfectionné en matière de démographie, et nous savons exactement où installer nos magasins. Et mettant à profit le succès que nous avons connu en Chine ces dernières années, nous cartographions maintenant ces statistiques et ces indicateurs d’une façon telle que cela nous assure une très bonne compréhension, avec une prévisibilité exceptionnelle des marchés présents.

McKinsey Quarterly : Vous dites souvent dans votre livre* que vous ne voulez pas répéter en Chine l’expérience vécue aux États-Unis. Comment pensez-vous y arriver ?

Howard Schultz : Nous étendons maintenant à chaque marché international toutes les leçons apprises au fil des ans pour ce qui est de la façon d’exploiter nos magasins et d’améliorer l’expérience client. Par contre, dans le cas de la Chine, étant donné qu’il s’agit d’une occasion importante, nous offrons à l’équipe chinoise des ressources que les autres marchés n’obtiennent parfois pas. Ainsi, de hauts dirigeants qui gèrent des dossiers importants chez Starbucks se rendent en Chine pour s’assurer que l’équipe chinoise tire profit de tout ce que nous avons appris, de même que des erreurs que nous avons commises. Peut-être est-ce de la paranoïa de ma part, mais j’y passe moi-même un temps fou.

En tant qu’entreprise, nous voulons nous mettre dans la peau de nos clients. Qu’est-ce que cela signifie, surtout en Chine ? Cela veut dire que Starbucks à Seattle ne doit pas concevoir tout ce qui est destiné à Starbucks en Chine. À l’instar des nombreux autres clients du monde, le client chinois ne veut pas d’un Starbucks dilué. Nous voulons toutefois être très respectueux des différences culturelles dans chaque marché, particulièrement en Chine, et plaire au client chinois. Par exemple, la nourriture destinée aux magasins chinois est principalement conçue pour plaire au consommateur chinois.

N’oublions pas que, dans le passé, Starbucks n’agissait pas ainsi. C’était la guerre entre les gens de Seattle qui voulaient proposer un muffin aux bleuets et les gens en Chine qui disaient : « Vous savez, je crois qu’ils préféreraient probablement le sésame noir plutôt que le bleuet ». Et je dirais que cela remonte à l’arrogance du passé, à l’époque où nous croyions pouvoir changer les comportements. Eh bien non, nous ne changerons pas les comportements. En fait, nous allons répondre aux goûts locaux avec beaucoup de respect. Nous avons donc dressé, dans la quasi-totalité des pays où nous faisons affaire actuellement, une liste de produits de base qui répondent exactement aux goûts du consommateur local.

Ce que nous cherchons à faire, c’est de créer l’équilibre entre toutes les caractéristiques d’un Starbucks et une sensibilité profonde pour la culture locale. C’est difficile quand on est présent dans 55 pays à l’échelle mondiale. Notre réussite à cet égard tient au fait que nous décentralisons, et que pour la première fois, nous sommes convaincus que les employés locaux connaissent mieux le marché que ceux de Seattle.

McKinsey Quarterly : Quelle est la plus grande entrave à votre croissance ?

Howard Schultz : C’est le capital humain. Nous voulons attirer des individus d’envergure mondiale dont les valeurs concordent avec la culture de l’entreprise. Et nous voulons nous assurer que la croissance future de Starbucks ne cache d’aucune façon les erreurs du passé.

McKinsey Quarterly : À quel point craignez-vous que la croissance ne redevienne anarchique ?

Howard Schultz : Je n’ai absolument aucune crainte. Lorsqu’on considère la croissance comme une stratégie, elle devient parfois séduisante et entraîne un effet de dépendance. Toutefois, la croissance ne devrait pas être —et n’est pas — une stratégie. C’est un moyen. Ce que j’ai appris au fil des ans, c’est que la croissance et la réussite compensent bien des erreurs. Nous ferons d’autres erreurs, mais nous avons appris une leçon importante. Et à mesure que nous ramènerons la croissance dans l’entreprise, celle-ci sera disciplinée et rentable pour les bonnes raisons — un type de croissance différent.

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