La parole aux employés !

Publié le 13/05/2011 à 16:15, mis à jour le 13/05/2011 à 16:15

La parole aux employés !

Publié le 13/05/2011 à 16:15, mis à jour le 13/05/2011 à 16:15

Par Premium

Dans un monde où un client déçu peut, grâce à un seul tweet dévastateur, torpiller une marque, les entreprises ont tout intérêt à miser sur leurs employés pour informer et fidéliser la clientèle dans les médias sociaux.

Auteurs : Josh Bernoff et Ted Schadler, Havard Business Review

Vous avez peut-être entendu parler de la malheureuse expérience qu’a vécue le musicien Dave Carroll avec le transporteur aérien United Air Lines. Des préposés aux bagages ayant brisé sa guitare au cours d’un voyage, l’artiste a réclamé un dédommagement, ce qu’on lui a refusé. Outré, Carroll a diffusé sur YouTube une vidéo accrocheuse qu’il a réalisée sur le manque de respect de United face à sa clientèle. Résultat : 10 millions d’internautes ont visionné cette très mauvaise publicité pour l’image du transporteur.

Le geste de Dave Carroll n’a rien d’exceptionnel. Heather Armstrong, une blogueuse populaire auprès des mères, très déçue du mauvais fonctionnement de sa laveuse Maytag et furieuse contre le fabricant qui offrait un service à la clientèle exécrable, a recommandé aux internautes qui la suivent sur Twitter (plus de un million de personnes) de ne plus acheter d’appareils Maytag.###

Les partisans de Greenpeace, pour leur part, ont inondé la page Facebook de Nestlé de plaintes concernant ses politiques d’approvisionnement, qui, selon eux, est la source de graves dommages à l’environnement. Et cette liste pourrait se poursuivre encore et encore. En fait, aujourd’hui, il suffit d’avoir un ordinateur ou un cellulaire pour causer instantanément des torts considérables et durables à une marque ou à une entreprise.

Mais si, grâce aux médias sociaux, des clients en colère peuvent avoir un tel impact négatif sur une entreprise, les employés de cette dernière sont aussi en mesure d’utiliser les mêmes moyens pour obtenir des résultats très utiles. Par exemple, Rob Sharpe, responsable de la

formation-ventes chez Black & Decker, a encouragé les vendeurs à mettre en ligne des vidéos qui présentent des moyens de mieux faire leur travail. Et Paul Vienick, à l’époque où il était vice-président d’E*Trade Financial, a mis sur pied un service, E*Trade Pro Mobile, qui lui a permis de fidéliser une vaste clientèle grâce une ingénieuse utilisation des cellulaires.

Autrement dit, on peut miser sur ses employés pour résoudre les problèmes des clients et pour attirer et fidéliser une nouvelle clientèle. Bien sûr, cela pose des défis. Permettre aux employés d’utiliser à leur guise certains outils technologiques, de prendre spontanément des décisions dont les conséquences peuvent être lourdes, de concevoir de nouveaux services interactifs, ou encore d’exprimer publiquement leur opinion au nom de l’entreprise, tout cela, demanderont certains, n’est-il pas hasardeux ? Pourtant, il faut s’ajuster aux nouvelles réalités, et vite !

Le système Twelpforce de Best Buy

Best Buy, qui, comme toutes les entreprises, est sensible aux plaintes que ses clients diffusent sur le Web, gère la situation d’une façon intéressante, entre autres grâce à son système Twelpforce, qui permet de consulter les commentaires des clients publiés sur Twitter, et d’y répondre. Quelque 2 500 employés de la chaîne ont adhéré à ce système : ceux du service à la clientèle, le personnel de vente en magasin et les préposés de la Geek Squad (qui offrent de l’assistance technique par téléphone).

Voici un exemple concret des avantages de Twelpforce. L’an dernier, Josh Korin a acheté un iPhone et une assurance pour protéger son appareil dans un magasin Best Buy de Chicago. Quand il a eu des problèmes avec son téléphone et qu’il s’est présenté en magasin, on lui a proposé de le remplacer par un BlackBerry. Mais ce n’était pas du tout ce qu’il souhaitait : s’il avait payé une assurance, c’était pour avoir un iPhone fonctionnel en cas de pépin ! M. Korin a donc parlé de l’affaire sur Twitter ; et Coral Biegler, une représentante du service à la clientèle, lui a vite répondu : dès le lendemain, M. Korin a reçu un nouvel iPhone. Satisfait, il a mis en ligne des commentaires élogieux sur Best Buy, sa conjointe l’a imité, et 3 000 autres personnes leur ont emboîté le pas, toujours sur Twitter.

Twelpforce est le fruit du travail de trois employés de Best Buy. Gary Koelling, un expert des médias sociaux du service du marketing, en a eu l’idée ; Ben Hedrington, un expert en technologie, l’a concrétisée ; et John Bernier, un directeur du marketing, a pris le projet en charge. L’équipe a réussi à convaincre la haute direction de l’appuyer. Il faut dire que Barry Judge, le chef du marketing, était déjà ouvert à ce genre de projet.

Aujourd’hui, Barry Judge a son propre blogue, sur lequel il présente (entre autres) les pubs télé de l’entreprise avant qu’elles ne soient diffusées sur les ondes. Une initiative utile puisqu’une des pubs qu’il avait mise en ligne n’a jamais été diffusée à la télé, à la suite des commentaires négatifs de nombreux internautes.

Le concept HERO

Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces exemples ? Dans une entreprise, comme nous venons de le voir, les personnes qui innovent grâce à la technologie peuvent être très utiles ; c’est pourquoi nous les appellerons HERO (« Highly Empowered and Resourceful Operative », que l’on pourrait traduire librement par « autonome, débrouillard et efficace »), un acronyme qui renvoie à une image qui illustre bien ce que sont ces employés qui savent utiliser des médias sociaux comme Twitter et Facebook. Mais il y a un hic. Cette façon de faire bouscule des habitudes bien ancrées, en particulier chez les responsables des technologies de l’information (TI) et parmi la haute direction.

En effet, traditionnellement, ce sont les services des TI qui, les premiers, ont accès aux nouveautés technologiques ; mais, dans le cas des médias sociaux, ils ont été dépassés par des HERO qui ont commencé à utiliser ces outils sans attendre leur aval. Quant aux cadres supérieurs ou intermédiaires, s’ils sont bien sûr en général favorables aux progrès technologiques, ils craignent toutefois les risques qui y sont associés ; parfois, ils ont donc le réflexe de refuser les suggestions des HERO. Du coup, plusieurs entreprises freinent énergiquement tous les projets liés aux médias sociaux : les TI, parce qu’ils voient d’un mauvais œil une partie du pouvoir leur échapper, et la direction parce qu’elle craint l’utilisation que les employés pourraient en faire — bref, pour limiter les risques et éviter la pagaille.

Mais, heureusement, il est possible d’adopter une autre approche, et ce, au plus grand bénéfice de tous : celle-ci exige que les HERO, les TI et la direction s’entendent sur trois principes qui guideront la gestion de l’innovation technologique.

1. Les HERO acceptent d’innover sans tout chambouler. Les employés doivent proposer des innovations qui s’harmonisent avec la stratégie de l’entreprise. Et une fois qu’un projet est lancé, les HERO qui l’ont conçu s’engagent à partager leurs nouvelles connaissances avec les autres — à commencer par ceux qui pourraient en bénéficier pour concevoir d’autres innovations.

2. La direction accepte d’encourager l’innovation et de gérer les risques. Les dirigeants doivent faire savoir qu’ils sont ouverts aux innovations suggérées par des employés, non seulement en paroles, mais aussi très concrètement en reconnaissant le mérite de ceux qui mettent sur pied des projets réussis, et en s’abstenant de sanctionner les échecs. Pour que les HERO travaillent de façon productive, les dirigeants doivent aussi leur communiquer, régulièrement et clairement, leurs objectifs stratégiques. Enfin, la direction doit travailler avec les TI pour s’assurer de bien comprendre les risques associés à chaque projet d’un HERO, afin de le modifier au besoin, et même d’y mettre fin si les risques apparaissent démesurés par rapport aux avantages potentiels.

3. Les TI acceptent d’appuyer l’élaboration et le déploiement des projets des HERO. Les responsables des TI doivent conseiller les HERO et les soutenir. Par exemple, chez PTC, un fournisseur de logiciels de conception assistée par ordinateur, au Massachusetts, le service du marketing a lancé l’idée de créer une communauté de clients en ligne, et a obtenu le budget nécessaire pour le faire. Les TI ont alors évalué les risques et les ont clairement exposés à la direction, pour que celle-ci puisse prendre une décision éclairée ; les hauts dirigeants ont ainsi pu donner le feu vert en toute quiétude.

Black & Decker se met à la vidéo

Revenons à Black & Decker, dont nous avons parlé plus haut. Rob Sharpe, responsable de la formation-ventes, devait trouver le moyen de former en continu les centaines de représentants de l’entreprise, qui doivent convaincre de grandes chaînes comme Home Depot et de petits quincailliers d’acheter une multitude de produits complexes. Le marché étant hautement concurrentiel, il ne pouvait plus plus se contenter des traditionnelles présentations PowerPoint et autres trucs du genre : il fallait innover. M. Sharpe s’est alors inspiré de YouTube.

Son raisonnement était simple. « Quand il s’agit d’apprendre, explique-t-il, je suis un visuel, comme beaucoup de personnes qui travaillent dans notre secteur. » Il a donc lancé un projet-pilote : quelques dizaines de représentants ont reçu chacun une caméra vidéo et un logiciel de montage facile à utiliser ; on leur a demandé de faire de petites vidéos sur ce qui, selon eux, pourrait être utile à leurs collègues, puis de les mettre ensuite en ligne sur l’Intranet. La première vidéo qui a été lancée mettait en lumière les faiblesses d’un produit d’un concurrent : tout le monde a alors compris l’intérêt du projet et, rapidement, les vidéos se sont multipliées. Les représentants ont même commencé à se lancer des défis.

Que ce soit pour vanter les caractéristiques des produits ou pour partager des techniques de vente efficaces, les vidéos sont ainsi devenues un outil de formation usuel. « Nous recevons désormais de 15 à 20 nouvelles vidéos par mois, qui présentent des commentaires sur nos produits ou sur la façon dont les clients les utilisent sur les chantiers, indique Rob Sharpe. Les cours de 45 minutes, c’est fini dans mon service. Ce n’est pas ce dont les représentants ont besoin ni ce qu’ils veulent. C’est beaucoup plus intéressant de voir, par exemple, des collègues discuter d’un nouveau produit et de l’évaluation qu’ils en font. »

Les résultats sont impressionnants. Les vidéos les plus populaires sont consultées par plus de la moitié de l’équipe des ventes ; la formation de base, qui se faisait autrefois en deux semaines, n’en prend plus qu’une aujourd’hui. Sans compter que la haute direction, le service du marketing et celui des relations publiques ont vite été conquis eux aussi. Même le service des TI (qui se préoccupait de la sécurité d’informations confidentielles ainsi publiées et de l’espace requis sur le serveur informatique), réticent au départ, est devenu un ardent défenseur du projet.

Vail Resorts réoriente son marketing

Chez Vail Resorts, qui exploite plusieurs centres de villégiature, dont cinq centres de ski, on a réalisé que la stratégie publicitaire traditionnelle — dans le magazine Ski et d’autres publications qui restent longtemps en kiosque — était de moins en moins efficace, notamment parce que les skieurs ne font leurs réservations que quelques semaines, voire quelques jours, à l’avance. Il fallait donc revoir le message et l’adapter en fonction d’éléments plus actuels : les chutes de neige récentes, les promotions des concurrents, les événements locaux, etc. Rob Katz, le PDG de l’entreprise, a alors décidé de repenser le plan de marketing, en misant davantage sur des médias comme les journaux et les sites Web, et en s’intéressant à Facebook et à Twitter, où plusieurs skieurs vont chercher leur information.

Vail a donc décidé d’intégrer les médias sociaux à sa nouvelle stratégie de marketing. Et, désormais, cinq employés à temps plein envoient des tweets, interviennent sur des blogues et répondent en ligne aux questions des clients. De plus, on tourne régulièrement des vidéos sur les pistes de ski, que l’on met ensuite en ligne sur le site Web de l’entreprise — en plus d’autres vidéos qui sont souvent réalisées par… les skieurs eux-mêmes ! Vail utilise ainsi ses clients pour en attirer d’autres.

Rob Katz a lui-même recours à Twitter, sous le pseudonyme @rickysridge. Un jour, il a reçu un message d’un client qu’il ne connaissait pas, et qui avait eu un problème avec un coupon-repas. Le PDG de Vail lui a répondu, et s’est assuré qu’on lui donne ce à quoi il avait droit. Or, ce client n’était pas n’importe qui, c’était Bob Lefsetz, un blogueur très populaire dans le domaine de la musique, qui est suivi sur Twitter par plus de 13 000 personnes. Alors, après l’intervention personnelle de Rob Katz, le blogueur a vanté la qualité des services de Vail.

Et l’entreprise a ainsi évité un événement très fâcheux, du style de la vidéo du musicien Dave Carroll.

On peut tirer quatre leçons du cas de Vail :

Le PDG et la haute direction ont clairement établi les priorités de l’entreprise (le passage à de nouveaux médias comme véhicules de la publicité).

Ils ont encouragé l’expérimentation — à l’intérieur de limites permettant de protéger l’image de la marque.

Ils n’ont pas pénalisé l’échec, pourvu qu’on en apprenne quelque chose.

Ils ont décloisonné les activités, pour permettre aux HERO de partager leurs idées et leurs découvertes ; et de communiquer avec des employés capables de les aider dans leurs projets.

Les HERO, ces modèles à suivre

Les entreprises qui veulent favoriser l’innovation ont tout intérêt à adopter le concept HERO. Toutefois, c’est un changement qui ne peut se faire du jour au lendemain, parce qu’il nécessite de transformer la culture d’entreprise. Pour lancer le mouvement, les cadres, partout dans une entreprise, peuvent d’abord mettre de l’avant leurs propres projets HERO.

Mais, qu’on soit dirigeant ou simple employé, il y a une marche à suivre pour devenir HERO. Bien sûr, il faut d’abord avoir en tête une solution technologique à un problème. Ensuite, la première étape consiste à évaluer cette idée en se posant quelques questions : quels services seront impliqués dans ce projet ? Quelles difficultés celui-ci présente-t-il sur le plan des moyens technologiques à utiliser ? Quel budget faut-il prévoir ? En deuxième étape, il faut évaluer la valeur ajoutée que le projet créera : réduction des coûts, hausse des revenus, pistes prometteuses à explorer. Tant qu’on n’évalue pas à la fois l’effort requis et la valeur ajoutée potentielle, on ne peut pas savoir si le projet en vaut la peine. Pour cela, il est utile d’observer ce qui se fait déjà ailleurs avec l’outil que l’on projette d’utiliser, et, si possible, d’en discuter avec des gens qui tentent de relever un défi similaire ; on apprend ainsi une foule de choses utiles. L’autre étape cruciale est de convaincre la haute direction que le projet est prometteur et profitable ; il faut alors à la fois trouver des appuis pour influencer sa décision et avoir le plus de visibilité possible.

Et vous, que ferez-vous ?

Avec les technologies facilement accessibles, simples d’utilisation et peu coûteuses d’aujourd’hui, les dirigeants d’entreprise sont devant une alternative : s’opposer à la volonté des employés d’utiliser ces outils pour créer des liens avec les clients et régler des problèmes de façon créative, ou bien reconnaître que ces employés peuvent trouver des solutions à divers problèmes, dont ceux que soulèvent des clients.

Dans le premier cas, il faut verrouiller les systèmes, demander au service des TI de bloquer l’accès à certains sites et s’assurer que personne n’enfreint les interdictions. Étant donné le nombre incalculable de téléphones intelligents, de services Web gratuits et d’ordinateurs personnels, c’est une bataille presque perdue d’avance.

Ceux qui choisissent plutôt la deuxième option trouveront des moyens de stimuler, de canaliser et de maîtriser l’esprit inventif de leurs employés, et récompenseront les projets les plus profitables. Ils géreront bien sûr les risques qui en découlent, pour accélérer la réactivité de leur entreprise tout en veillant à sa sécurité. Aujourd’hui, l’innovation technologique vient de tous les échelons et de tous les services des entreprises. Les organisations qui en profitent le mieux sont celles qui se structurent de manière à ce que leurs employés les plus créatifs deviennent des HERO.

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