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Une nouvelle méthodologie permet de lancer une entreprise à la vitesse qu’impose le marché d’aujourd’hui. Elle favorise l’expérimentation, la rétroaction et un design itératif.

Auteur : Steve Blank, Harvard Business Review

Qu’il s’agisse d’une entreprise en technologies, d’une petite entreprise ou d’un projet au sein d’une grande société, lancer une nouvelle entreprise a toujours constitué un défi dont le résultat est imprévisible. Selon la formule consacrée depuis des décennies, on rédige un plan d’affaires, puis on le présente à des investisseurs, avant de former une équipe, de lancer un produit et d’en vendre le plus possible. Quelque part au cours de cette séquence d’événements, on risque fort de rencontrer un obstacle fatal. Les statistiques jouent contre nous : comme le montre une récente étude de Shikhar Ghosh, de la Harvard Business School, 75 % des démarrages d’entreprise échouent.

Cependant, récemment, une nouvelle réalité est venue faire contrepoids, une approche qui rend le processus de démarrage moins risqué. Appelée « démarrage lean », cette méthodologie favorise l’expérimentation aux dépens d’une planification complexe, la rétroaction du client plutôt que l’intuition, et un design itératif plutôt qu’un concept initial complet. Même si cette méthodologie n’existe que depuis quelques années, ses principes — le « produit de base solide » et le « rajustement » — se sont rapidement enracinés dans le monde du démarrage d’entreprise, au point que les écoles de commerce ont déjà commencé à adapter leur programme pour les enseigner.

L’erreur du plan d’affaires parfait

Selon les stéréotypes traditionnels, le fondateur d’une nouvelle entreprise doit d’abord élaborer un plan d’affaires : un document statique qui décrit la taille du marché, le problème auquel on s’attaque, et la solution proposée par la nouvelle entité. En général, ce plan comprend des prévisions de revenus, de profits et de fonds de roulement sur cinq ans. Un plan d’affaires est principalement un exercice de recherche que l’entrepreneur réalise dans l’isolement, derrière son bureau, avant même de concevoir un produit. On présume alors qu’il est possible d’évaluer la plupart des inconnues auxquelles l’entreprise sera confrontée, avant d’amasser de l’argent et de réaliser le nouveau concept. En fait, ces plans relèvent généralement de la pure fiction, et les imaginer est presque toujours une perte de temps.

Au moment où l’entrepreneur, fort d’un plan d’affaires convaincant, obtient de l’argent des investisseurs, il amorce alors la conception du produit. Des concepteurs consacrent des milliers d’heures à en faire le designer et à le préparer pour la mise en marché, avec très peu de commentaires des clients potentiels, sinon aucun. Ce n’est qu’après la conception et le lancement du produit que l’entreprise obtiendra une rétroaction significative. Et trop souvent, après des mois sinon des années d’élaboration, les entrepreneurs apprennent à la dure que les clients n’ont pas besoin de la plupart des caractéristiques présentées par leur produit ou qu’ils n’en veulent tout simplement pas.

Après avoir passé des décennies à observer des milliers d’entreprises en démarrage suivre ce processus « traditionnel », nous avons appris au moins trois choses :

1. Les plans d’affaires survivent rarement au premier contact avec la clientèle.

2. À part les spécialistes du capital de risque, personne n’a besoin d’un plan qui s’étale sur cinq ans pour prédire des faits parfaitement inconnus.

3. Les entreprises en démarrage ne sont pas de plus petites versions des grandes sociétés.

Les entreprises existantes réalisent un modèle d’affaires, alors que les entreprises en démarrage en cherchent un. Elles ne se déploient pas selon un plan directeur. Celles qui finissent par réussir passent rapidement d’un échec à l’autre, profitant chaque fois de l’occasion pour s’adapter, se transformer et améliorer leurs idées initiales tout en apprenant de la clientèle. Cette nuance est au cœur de l’approche du démarrage lean. Elle module la définition même d’une entreprise en démarrage : une organisation temporaire conçue pour rechercher un modèle d’affaires qu’on peut reproduire et déployer à plus grande échelle.

La méthode du démarrage lean suit trois grands principes :

1. D’abord, plutôt que de s’engager dans des mois de planification et de recherche, les entrepreneurs acceptent l’idée que, dès le premier jour, ils ont élaboré un ensemble d’hypothèses non vérifiées — principalement des estimations plausibles. Plutôt que de rédiger un plan d’affaires complexe, ils résument leurs hypothèses dans un cadre de travail, une « grille de modèle d’affaires ». Essentiellement, il s’agit d’un schéma sur la façon dont l’entreprise crée de la valeur pour elle-même et pour sa clientèle.

2. Ensuite, pour vérifier leurs hypothèses, les entreprises qui optent pour le démarrage lean « vont sur le terrain » en vertu d’une approche appelée « développement de la clientèle ». Elles partent à la rencontre d’utilisateurs, d’acheteurs et de partenaires potentiels, à qui elles demandent des commentaires sur tous les éléments du modèle d’affaires, y compris les caractéristiques du produit, son prix, ses canaux de distribution et les stratégies d’acquisition abordables pour le client. L’accent est mis sur l’agilité et sur la vitesse : ces nouvelles entreprises créent rapidement une « base de produits solides » et obtiennent aussitôt une rétroaction de la clientèle. À partir de ces réponses, les entrepreneurs revoient leurs hypothèses, puis reprennent le même cycle, vérifiant l’attrait des produits modifiés et apportant de petits ajustements (design itératif) ou des changements plus importants (le rajustement) aux concepts qui ne fonctionnent pas.

3. Enfin, ces entreprises en démarrage pratiquent ce qu’on appelle le développement agile, un concept qui a vu le jour dans l’industrie du logiciel. Le développement agile implique que l’on travaille en parallèle avec le processus du développement de la clientèle. Contrairement aux cycles de développement traditionnels d’un produit, qui s’étendent sur un an et qui présupposent qu’on connaisse les problèmes du client et ses besoins en matière de produits, le développement agile évite les pertes de temps et le gaspillage de ressources grâce au développement progressif du produit à l’aide de modifications successives. C’est ce procédé qui permet aux entreprises en démarrage de concevoir une « base de produits solides » qu’elles mettent à l’essai.

Quand Jorge Heraud et Lee Redden ont démarré Blue River Technology, ils étaient mes étudiants à Stanford. Ils voulaient concevoir des tondeuses à gazon robotisées pour les sites commerciaux. Après avoir parlé à plus de cent clients en dix semaines, ils ont découvert que leur clientèle-cible initiale — les terrains de golf — ne s’intéressait pas à leur solution. Cependant, ils en ont ensuite discuté avec des agriculteurs et ont constaté qu’il existait une forte demande pour un moyen automatisé d’éradiquer les mauvaises herbes sans utiliser de produits chimiques. Ils ont donc cherché à répondre à ce besoin, et en moins de dix semaines, Blue River avait conçu et testé un prototype. Neuf mois plus tard, l’entreprise naissante a obtenu plus de trois millions de dollars en capital de risque. L’équipe s’attendait à ce que son produit soit prêt à être commercialisé au cours des neuf mois suivants.

Créer une économie entrepreneuriale fondée sur l’innovation

Auparavant, en plus du taux d’échecs, cinq facteurs ont limité la croissance du nombre d’entreprises en démarrage :

1. Le coût élevé qu’il fallait assumer avant de joindre un premier client, et le coût encore plus élevé d’une erreur de conception du produit.

2. Les longs cycles de développement de la technologie.

3. Le nombre restreint de personnes ayant le goût du risque inhérent à la fondation d’une entreprise en démarrage, voire au fait d’y travailler.

4. La structure de l’industrie du capital de risque, selon laquelle un petit nombre de firmes devaient toutes investir des sommes importantes dans une poignée d’entreprises en démarrage pour espérer obtenir un bon rendement du capital investi.

5. La concentration de la véritable expertise sur la façon de démarrer une entreprise, qui se retrouve surtout sur les côtes Est et Ouest des États-Unis. (Il s’agit d’un obstacle moins important en Europe et dans d’autres régions du monde, mais le phénomène existe aussi outremer.)

L’approche du démarrage lean s’attaque aux deux premiers facteurs en aidant les nouvelles entreprises à mettre en marché des produits que les clients veulent vraiment, plus rapidement et à bien moindre coût qu’avec les méthodes traditionnelles, ainsi qu’au troisième facteur en diminuant les risques associés au démarrage. Cette approche s’est développée au moment où d’autres tendances commerciales et technologiques brisent les barrières de la création d’une entreprise en démarrage. La combinaison de toutes ces forces transforme le paysage entrepreneurial.

Une nouvelle stratégie pour l’entreprise du 21e siècle

Il est de plus en plus évident que les pratiques du démarrage lean ne conviennent pas seulement aux jeunes entreprises technologiques.

Les grandes sociétés ont passé les 20 dernières années à augmenter leur efficacité en réduisant leurs coûts. Le simple fait de se concentrer sur l’amélioration des modèles d’affaires existants ne suffit plus. Presque toutes les grandes sociétés comprennent maintenant qu’elles doivent composer avec un nombre croissant de menaces externes en innovant constamment. Afin d’assurer leur survie et leur croissance, elles doivent inventer sans cesse de nouveaux modèles d’affaires. Ce défi nécessite de toutes nouvelles structures organisationnelles et des compétences entièrement nouvelles.

À titre d’exemple, l’unité Entreposage d’énergie de GE utilise cette approche pour transformer sa façon d’innover. En 2010, Prescott Logan, directeur général de la division, a compris que la nouvelle batterie conçue par son unité avait le potentiel de révolutionner l’industrie. Plutôt que de planifier la construction d’une nouvelle usine, l’augmentation de la production et la mise en marché du nouveau produit (que l’on nommera Durathon) selon les méthodes traditionnelles, Prescott Logan a appliqué les techniques du démarrage lean. Il a d’abord cherché un modèle d’affaires et appris à connaître la clientèle. Son équipe et lui ont rencontré des douzaines de clients potentiels à l’échelle internationale afin d’explorer des marchés potentiels et de proposer d’autres applications. Il ne s’agissait pas de démarchage : les membres de l’équipe n’avaient pas de document PowerPoint à présenter et se contentaient plutôt de prendre connaissance des problèmes des clients et de leurs frustrations à l’égard des batteries existantes. Ils ont examiné en profondeur pour comprendre comment les clients achetaient leurs batteries industrielles, à quelle fréquence ils les utilisaient et dans quelles conditions d’exploitation. Forts de ces données, ils ont pris un virage important en ce qui a trait à la clientèle cible. Ils ont éliminé le segment qu’ils visaient à l’origine ─ les centres de données ─ et en ont découvert un autre : les services publics. De plus, ils ont réduit le très vaste segment des clients en télécommunications pour se concentrer uniquement sur les fournisseurs de téléphonie cellulaire dans les pays en développement dotés de réseaux électriques peu fiables. En fin de compte, GE a investi 100 millions de dollars pour construire une usine de fabrication de batteries d’envergure mondiale à Schenectady, dans l’État de New York, qui fut inaugurée en 2012. Selon les dossiers de presse, la demande de ces nouvelles batteries est si forte que GE a déjà pris du retard dans les commandes.

Les premiers cent ans de formation en gestion ont mis l’accent sur l’élaboration de stratégies et d’outils qui encadraient les procédés et l’efficacité des entreprises existantes. Désormais, nous bénéficions d’un premier ensemble d’outils conçus pour chercher de nouveaux modèles d’affaires qui conviennent aux entreprises en démarrage. Et cela survient juste à temps pour aider les sociétés existantes à s’adapter à la réalité des bouleversements constants. Au 21e siècle, les travailleurs sentiront de plus en plus la pression associée aux forces qui provoquent des changements rapides, quel que soit le genre d’organisation dans laquelle ils évoluent — entreprise en démarrage, PME, grande société ou entité gouvernementale. L’approche du démarrage lean les aidera à y faire face, à innover rapidement et à transformer le monde des affaires tel que nous le connaissons.

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