La lumière du candidat, l'ombre du recruteur


Édition du 11 Mai 2019

La lumière du candidat, l'ombre du recruteur


Édition du 11 Mai 2019

CHRONIQUE. Derrière chaque grand homme ou grande femme se cache un conjoint, une conjointe ou un partenaire. Celui qui le supporte, le fait briller, le console et le pousse à se dépasser. Et, derrière chaque grand PDG se cache un recruteur.

Recruter un PDG est un exercice difficile, mais ô combien gratifiant! Avoir la possibilité de contribuer à faire grandir une entreprise est, certes, très stimulant, mais y révéler le talent est encore plus satisfaisant.

Récemment, je recevais un candidat pour un poste de PDG. Au-delà de ses compétences et de ma certitude d'avoir en face de moi la personne de la situation, j'avais quelqu'un qui me livrait toute sa fragilité. La peur de paraître trop ou pas assez, la crainte d'être jugé. Malgré une profonde ambition et sa motivation pour relever le défi, l'individu était animé d'une espèce de syndrome de l'imposteur. «Croyez-vous qu'il me manque quelque chose ?» La question est tombée là, au beau milieu de l'entrevue. Je regarde mon candidat et je prends une pause avant de lui répondre : «Oui, juste une petite chose : la conviction profonde que vous êtes taillé pour le rôle et une intime confiance en vos capacités.»

Les leaders doutent aussi, ce ne sont pas des machines de guerre. Ce sont des êtres humains animés par des émotions et des doutes. Eux aussi parfois se remettent en question, surtout quand l'enjeu est gros. Jouer sa carrière en quelques heures au sein d'une salle de conférence est un exercice qui requiert autant de courage que d'humilité. Oser s'exposer, prendre le risque de ne pas être choisi. Derrière une façade de décideur se cache souvent un être sensible. «Allez-vous m'aider et me coacher ? J'ai besoin de votre aide.» Avouer sa fragilité, c'est faire 50 % du chemin. Ne reste plus qu'à accompagner la personne dans sa préparation. C'est ce que font les entraîneurs sportifs et les agents d'artistes.

Si on dit souvent que les PDG sont des sociopathes, insensibles et narcissiques, pour ma part, je rencontre souvent des individus plus fragiles qu'ils ne le pensent malgré l'apparence d'une force inébranlable et de conviction profonde en leur valeur. Ils ont aussi peur d'être rejetés et ils ont besoin d'être sécurisés. Si cette dernière condition est une composante des sujets narcissiques, force est de constater que le vrai narcissique n'a aucune capacité autant à se remettre en question qu'à faire preuve d'empathie, se croyant tout puissant, ce qui est tout le contraire du PDG que l'on veut recruter.

C'est la beauté de mon métier: voir au-delà du talent, révéler le potentiel et aider les individus à se mettre en valeur pour faire sortir le meilleur d'eux-mêmes le temps d'un processus de sélection. Bien sûr, il y a ceux qui n'ont tellement pas de doutes, leur ego tellement gonflé à bloc, qu'ils ne voudront jamais se faire accompagner. Généralement, ils finissent bon deuxièmes. Cultiver sa zone d'ombre est essentiel pour des patrons capables de composer avec l'ambiguïté pour prendre les meilleures décisions d'affaires.

Le grand psychanalyste Carl Jung avançait que l'ombre nous constitue tout autant que la lumière. Elle intègre les différentes facettes de notre personnalité, défauts compris. L'être parfait n'existe pas, le PDG parfait non plus et encore moins l'entreprise. C'est la capacité de l'individu à naviguer dans un contexte d'affaires donné qui fait que le leader réussira. Le style de PDG d'une entreprise en mode croissance ne convient pas à une situation de maintenance et encore moins à celle de redressement. Le meilleur candidat n'est pas toujours celui qu'on croit. Ce qui peut paraître pour une faiblesse n'est peut-être que la clé du succès futur à condition d'apprendre à transformer la peur en moteur de croissance.

Les recruteurs doivent voir au-delà des besoins de leurs clients. Innover, c'est accepter la part de l'ombre du candidat pour viser plus loin que ses envies et révéler tout son potentiel et ses talents. Croire en lui plus que lui-même malgré les critiques et le bruit parfois inévitable qui entourent une nomination. Savoir rester inébranlable devant l'adversité qui secoue un monde des affaires en proie aux fake news, aux ouï-dire et aux qu'en-dira-t-on, pour que la valeur intrinsèque de l'individu triomphe de la médiocrité des jaloux.

Le recruteur est un révélateur, un amplificateur qui met en lumière le talent. C'est ce qui lui permet de sortir des profils standards et des usual suspects pour innover dans l'art de sélectionner les meilleurs.

À propos de ce blogue

Nathalie Francisci est présidente exécutive pour le Québec chez Gallagher. Elle oeuvre en recrutement de cadres depuis 25 ans. Entrepreneure, experte en gestion des talents, elle est reconnue comme l’une des références au Québec. Femme d’affaires engagée, elle siège sur plusieurs CA. Conférencière et chroniqueuse, ses interventions font la différence par l’énergie et style direct qui s’en dégagent. Passionnée par nature, elle n’oublie jamais qu’elle travaille avec des gens, pour des gens. Elle partagera avec vous ses réflexions et expériences sur l’univers du recrutement et de la gestion des talents pour faire réfléchir autant les individus que les organisations. Nathalie Francisci a été Finaliste au Concours des Mercuriades en 2001, elle a reçu le Prix «Nouvelle Entrepreneure du Québec» en 2001 et «Entrepreneure – petite entreprise» en 2007 décerné par le RFAQ et elle a remporté le Prix Arista en 2008. Elle porte les titres de CRHA et de IAS.A.

Nathalie Francisci
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