La leader qui rassemble les autres leaders

Publié le 25/11/2011 à 00:00, mis à jour le 01/12/2011 à 13:53

La leader qui rassemble les autres leaders

Publié le 25/11/2011 à 00:00, mis à jour le 01/12/2011 à 13:53

Michèle Thibodeau-DeGuire met en pratique sa formation d'ingénieure afin de trouver des solutions concrètes pour récolter des fonds et les redistribuer. [Photo : Gilles Delisle]

La pdg de Centraide du Grand Montréal a fait grandir son organisation en développant constamment son réseau d'influence. Elle qui s'est retrouvée au front lors des tragiques incidents de l'École Polytechnique sait qu'il faut faire face aux crises en serrant les rangs, comme elle s'y emploie aujourd'hui pour aider les laissés-pour-compte de la société.

René Vézina - Vous êtes devenue ingénieure civile, à une époque où peu de femmes choisissaient ce métier. Comment cela s'est-il passé ?

Michèle Thibodeau-Deguire - J'étais la seule fille parmi 1 500 garçons, à Polytechnique, il y a 50 ans... Cela vous amène à développer certaines habiletés pour vivre dans un milieu où on est une minorité visible. Il faut devenir amis avec les gens parce qu'on n'a pas le choix. Pour moi, ils étaient tous comme des grands frères. Par la suite, comme ingénieure, je me suis rapidement engagée dans l'Association des anciens élèves et diplômés de l'École Polytechnique. J'adorais voir comment fonctionnaient les comités. Je ne me sentais pas très bonne pour faire les choses moi-même, mais j'ai beaucoup observé les gens que je trouvais bons. Et c'est ainsi que j'ai appris.

R.V. - Est-ce que vous aviez déjà le réflexe de prendre le leadership ?

M.T.D. - Absolument pas. J'ai toujours manqué de confiance en moi et j'étais plutôt portée à me tenir à l'écart.

R.V. - Vous avez dû changer, car le Québec vous a nommée déléguée générale à Boston, en Nouvelle-Angleterre, dans les années 1980...

M.T.D. - Dans un premier temps, j'ai eu très peur. Il n'y avait jamais eu de femme déléguée. Si cela n'avait pas été de mon mari qui m'a dit : «Tu ne peux pas refuser une opportunité comme ça», je n'y serais pas allée. Ce n'est pas dans notre nature de femme de laisser mari et enfants pour aller travailler ailleurs. Quand je suis arrivée à Boston, je me suis demandé ce que je faisais là. Mais il m'est venu une image. J'ai imaginé que Napoléon avait dit : «Donnez-moi les médailles et je gagnerai les batailles.» Je ne sais pas si ce sont ses mots exacts, mais cela me convenait, et je me suis dit : «J'ai le titre. Il ne me reste qu'à faire le travail.» Je me rendais compte que plus j'étais entourée de gens prêts à partager leurs connaissances, plus on était forts tous ensemble.

R.V. - Au fil des ans, est-ce que votre façon de traiter avec les gens a évolué quand vous vous êtes retrouvée en situation d'autorité, comme à Boston ?

M.T.D. - Pour moi, l'autorité se mérite. Quand les gens vous reconnaissent comme leur leader, dans le fond, ils voient en vous quelqu'un en qui ils peuvent avoir confiance.

R.V. - Faisons un saut dans le temps jusqu'en 1991, année où vous arrivez à la tête de Centraide du Grand Montréal, dans un milieu très différent de celui que vous avez connu jusque-là. Qu'est-ce qui vous a incité à accepter ce travail ?

M.T.D. - C'est un chasseur de têtes qui m'a convaincue ! Dans le cadre de mon poste précédent, comme adjointe au président de l'École Polytechnique, je me suis rendu compte que j'avais de l'intuition. Mais je ne savais absolument pas dans quoi je m'embarquais à Centraide. Comme pour chaque nouveau poste que j'ai accepté au cours de ma vie, d'ailleurs. Et dans le cas de Centraide, je me suis souvenue de l'événement de Polytechnique, que j'avais vécu quelques années auparavant. J'avais alors eu à jouer un rôle de leader pour rassembler les gens. Quand cette tragédie est arrivée, le président et le directeur de l'école étaient en Europe. J'étais alors aux relations publiques. J'ai compris que, dans une situation de crise, les gens s'unissent. Ils oublient leurs différences. Tout le monde veut aider. Quand on m'a proposé la présidence de Centraide, je me suis dit, en prenant conscience des problèmes de notre société : «Dans le fond, il faut rallier les gens, leur faire comprendre qu'il y a une crise, que quelque chose de grave se passe et qu'il faut faire quelque chose.» Les gens sont naturellement bons, ils veulent aider. Le défi était de faire comprendre ce qui se passait.

R.V. - Des événements de Polytechnique, avez-vous tiré des leçons qui ont marqué la suite de votre vie ?

M.T.D. - C'est sûr. Mais toutes les étapes de ma vie m'ont permis de grandir. Il y a tellement de choses qui arrivent. Nous sommes la somme de tout ce que nous avons vécu.

R.V. - En tant qu'ingénieure de formation, comment travaillez-vous avec vos équipes, chez Centraide ?

M.T.D. - Deux points ont été déterminants pour ce travail dans ma formation d'ingénieure. Le premier, c'est qu'un ingénieur sait que, tout seul, il ne peut rien faire. Il lui faut travailler en équipe. Et le deuxième : un ingénieur ne pellette pas de nuages, il cherche des solutions. Un constat que j'ai fait en arrivant chez Centraide, c'est que j'avais deux tâches principales : récolter des fonds et les redistribuer. Pour ramasser de l'argent, il me fallait aller chercher les gens qui avaient le plus d'habiletés en philanthropie. Je me suis adressée à des membres de la communauté juive pour qu'ils m'aident à m'organiser. Et du côté de la répartition des dons, je me suis dit que cela me prendrait un curé ! Pourquoi ? Dans notre culture, on a tendance à faire confiance aux religieux. Il y avait justement un chanoine qui travaillait pour nous. Je lui ai demandé de prendre en charge les allocations. Il fallait que je sois bien entourée. J'ai toujours eu conscience que je ne savais pas grand-chose. Je peux calculer la capacité de charge maximale d'un pont les yeux fermés. Mais comprendre vraiment comment on peut aider les plus démunis, c'était difficile pour moi. Le grand danger, quand on veut bien faire, c'est d'aggraver le problème qu'on veut résoudre. Pour cette raison, j'ai voulu m'entourer de gens expérimentés dans le domaine : des anthropologues, des sociologues, des philosophes, des économistes, aussi bien dans l'équipe que je montais qu'avec les bénévoles qui se sont associés à nous. Car Centraide, ce n'est pas seulement les gens qui y travaillent, mais tous les bénévoles qui y sont associés. Et c'est cette grande diversité de personnes qui fait sa richesse.

R.V. - Comment faites-vous pour inspirer ces gens ?

M.T.D. - Je ne leur demande jamais de faire quelque chose que je ne peux pas faire moi-même. Il n'y a pas de petites tâches. Je peux les remplir toutes et je le fais. Essentiellement, je me sens au service des gens, parce que Centraide, c'est un outil qui aide à rassembler du monde.

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