La forme ne l'emporte pas sur le fond

Publié le 04/12/2008 à 11:00

La forme ne l'emporte pas sur le fond

Publié le 04/12/2008 à 11:00

Par lesaffaires.com

De reporter à la présidence d'une société de relations publiques. Une réflexion de Luc Beauregard.


Luc Beauregard est président du conseil et chef de la direction du Groupe Conseil RES PUBLICA, une société de holding qui détient entre autres le cabinet de relations publiques National

Après mes études au Collège Stanislas, j'ai envoyé une lettre à une dizaine de journaux de Montréal sollicitant un emploi. Cette démarche naïve de collégien allait orienter toute ma vie. J'ai été aussitôt recruté pour un petit boulot de pigiste au Petit Journal pour interviewer l'homme de la rue. Coïncidence, quelques mois après, Jean-Louis Gagnon vide la moitié de la salle de rédaction de La Presse pour fonder Le Nouveau Journal. Je reçois immédiatement un appel de La Presse qui a rouvert en catastrophe ses dossiers de demandes d'emploi. Mon C.V. est là, tout frais. Me voilà journaliste à La Presse.

Je suis resté huit ans à La Presse, pendant lesquels j'ai été reporter, responsable de la page 3, responsable de la «une», correspondant à Ottawa puis chef de pupitre. J'ai ensuite participé à la création d'une firme de relations publiques lorsque La Presse m'a offert de revenir dans son giron en devenant président et éditeur du Montréal-Matin, un quotidien en faillite qu'elle venait d'acheter. Après trois ans de réorganisation marquée de luttes épiques avec 14 syndicats, je suis retourné aux relations publiques comme consultant solo loin des chicanes internes stériles. J'ai commencé comme sous-locataire d'une firme de recrutement de cadres dont je partageais la cafetière et l'appareil à photocopier.

Ce plan de carrière visant à demeurer un consultant solo a été un échec, en quelque sorte, puisque je dirige aujourd'hui une entreprise de relations publiques qui compte 400 employés répartis dans trois réseaux1 qui offrent des services à des grandes sociétés de divers secteurs (par exemple, l'énergie, les mines, la santé, la finance, l'immobilier et le détail).

Au fil des années, mon grand défi de tous les instants a été de me partager entre l'exercice de ma profession et la gestion continue de l'entreprise, entre les besoins et les crises des clients et mes préoccupations comme chef d'entreprise. Mes trente-deux ans d'expérience à côtoyer des chefs d'entreprise ou d'organisme m'amènent à poser un certain regard sur le leadership, un vocable flou qui n'a pas son équivalent en français, et un concept fuyant puisqu'il motive des milliers de chercheurs à le cerner.

L'IMPORTANCE DE PRENDRE LES BONNES DÉCISIONS ET DE LES FAIRE CONNAÎTRE

Certains théoriciens du leadership dépeignent les traits d'un bon leader d'une façon qui rejoint assez mes propres observations sur le terrain. J'aime beaucoup les réflexions de Jim Collins (2001) dans son ouvrage Good to Great où il démontre que les entreprises qui ont le plus de succès à long terme sont dirigées par des «leaders de niveau 5», humbles, modestes, effacés mais ambitieux pour leur entreprise et non pour eux-mêmes et entièrement dédiés à produire des résultats durables, des chevaux de trait et non d'exhibition, qui regardent par la fenêtre pour distribuer les mérites et dans le miroir pour se décerner les blâmes.

Un des grands principes de base des relations publiques, remontant à presque un siècle, est le fait de prendre les bonnes décisions et de les faire connaître (do it right and let it be known). Les deux parties de la phrase sont également importantes. Un bon dirigeant d'entreprise doit d'abord bien faire ses devoirs, c'est-à-dire bien s'entourer, bien ausculter son environnement socio-économique, élaborer un bon plan et veiller à sa réalisation. Il doit s'assurer dans le quotidien de prendre les bonnes décisions, qu'il s'agisse de dossiers de harcèlement, d'opérations financières ou de relations communautaires. Mais il ne suffit pas de prendre les bonnes décisions. Il faut aussi les faire connaître. Ce ne sont pas les concurrents ou les groupes de pression qui vont le faire à sa place. Le dirigeant a le droit et le devoir de faire connaître ses décisions et surtout ses réalisations, qui valent mieux que des mots.

Les comptes rendus quotidiens des pages d'affaires sont truffés d'exemples de «péteurs de bretelles» qui, comme on dit à Calgary, sont des «cow-boys de salon» (all hat, no cattle). La réalité a tôt fait de les rattraper et ils disparaissent généralement vite de la scène (Jean-Marie Messier, l'ex-patron de Vivendi, par exemple). Beaucoup trop de dirigeants, à mon avis, cherchent à se grandir au moyen de leur titre de chef d'entreprise au lieu de grandir la fonction qui leur est confiée. À l'inverse, des dirigeants disparaissent faute d'avoir fait valoir leurs décisions et leurs réalisations. Ils n'ont pas bâti une banque de crédibilité apte à les soutenir dans les moments difficiles.

Comme consultant en relations publiques, je passe certainement 90 % de mon temps à discuter du fond des choses avec mes clients plutôt que de pure communication, tant il est vrai que la meilleure communication est d'abord l'action.

L'IMPORTANCE D'ENTRETENIR DE BONNES RELATIONS AVEC TOUTES LES PARTIES PRENANTES

Une des grandes responsabilités du dirigeant aujourd'hui est de s'assurer que l'entreprise est en harmonie avec toutes ses parties prenantes et de gérer les risques liés à sa réputation. D'abord, il doit informer ses troupes, les amener à comprendre ses décisions et les mobiliser pour en garantir une solide mise en oeuvre. On ne vit plus dans des structures militaires. Désormais, on a affaire à une main-d'oeuvre éduquée et à des groupes d'intérêts structurés. Dicter ne suffit plus pour rassembler. Un leader doit apprendre à convaincre ses troupes en leur expliquant les fondements de ses décisions, à leur indiquer la direction clairement, à les séduire presque. Chose certaine, il doit faire adhérer rationnellement son équipe aux décisions prises. Même si ce type de leadership se montre plus exigeant que le mode traditionnel de direction où l'on ne fait qu'affirmer, l'éclatement des vieilles structures hiérarchiques et les attentes des employés solidement formés aujourd'hui l'exigent. Ensuite, il faut maintenir des relations basées sur la confiance mutuelle avec les autres intervenants qui peuvent influer sur les activités et sur la performance de son entreprise : les communautés locales, les organisations non gouvernementales, les gouvernements, etc.

Contrairement à ce que l'on peut penser, les champions dans ce domaine, en raison même de leurs activités, sont les sociétés actives dans les domaines de l'énergie, du tabac, de l'alcool et du jeu. Elles ont compris qu'il était dans leur intérêt d'engager et de maintenir le dialogue dans la mesure du possible et, à cette fin, se sont dotées de ressources et de données qui soutiennent leurs actions et sont de nature à susciter l'adhésion. Y a-t-il un meilleur expert de l'environnement au Québec qu'Hydro-Québec? Il n'en va pas autrement pour les pétrolières dans l'Ouest. Le plus grand fabricant de cigarettes du Canada clame haut et fort qu'il ne faut pas fumer; il combat le tabagisme chez les jeunes et le commerce illicite du tabac qui non seulement prive les pouvoirs publics de revenus substantiels, mais aboutit dans les cours d'écoles. C'est une des entreprises les plus avancées au Canada en matière de responsabilité sociale et de durabilité.

Non seulement il faut faire ses devoirs, c'est-à-dire offrir de bons produits et services en harmonie avec son environnement socio-économique, mais encore il faut s'assurer que cela sera su. Une panoplie de moyens de communication est à la disposition des entreprises pour ce faire. Les capacités personnelles du chef d'entreprise en matière de communication ne sont pas absolument essentielles, mais elles constituent un puissant levier puisqu'il incarne l'entreprise. Une bonne
nouvelle, cela doit s'apprendre. La communication est devenue en fait l'outil par excellence des nouveaux leaders. J'estime que beaucoup de chefs d'entreprise consacrent environ la moitié de leur temps à la fonction «relations publiques» dans son sens propre, c'est-à-dire à la communication et aux relations avec leurs divers publics.

Puisque, désormais, on ne peut diriger une grande organisation à force de diktats, puisqu'il faut amener les parties prenantes à partager les orientations de l'entreprise, puisque le leadership doit se modeler sur l'explication des décisions, sur la séduction de l'esprit, l'aptitude personnelle du dirigeant à bien communiquer s'avère un atout majeur.

À l'heure où la télévision nous a habitués à des présentations sophistiquées, le leader doit savoir habilement synthétiser sa pensée à ses employés, à la communauté locale, aux actionnaires ou aux gouvernements. Le chef d'entreprise doit être en mesure de commenter avec aplomb son rapport trimestriel avec les analystes financiers. Paul Tellier était un as en la matière.

Mais au-delà de son éloquence personnelle, la contribution la plus importante du dirigeant de nos jours, c'est sa capacité d'assurer de bonnes relations avec tous ces publics. Chaque jour, il doit effectuer des choix stratégiques, en fonction de la législation, des rapports qu'on lui présente, du marché, des occasions d'affaires, des politiques gouvernementales, etc. Laurent Beaudoin n'exerce pas un leadership en tenant des propos flamboyants. Il n'est pas le meilleur des orateurs. L'ex-grand patron de Bombardier, qui vient de céder la fonction de chef de la direction à son fils Pierre, n'aime pas lire des discours et se tient loin des caméras. C'est plutôt un homme qui exerce son charisme en personne, auprès d'auditoires plus restreints. Son leadership est axé sur le contenu. Laurent Beaudoin sait percer les enjeux rapidement, faire valoir les bons arguments et a la capacité de rendre clair le message. Tout comme Rémi Marcoux, qui, de même, n'est pas un homme de grands discours. C'est un vieux sage, prudent, qui mesure ses coups et qui ne cherche pas la gloire. Il gère son entreprise avec beaucoup de crédibilité. Alain Bouchard est un homme qui sait établir des relations avec les gens en parlant avec son coeur. Jean Coutu, pour sa part, a un charisme certain auprès du grand public.

C'EST DANS LES CRISES QU'ON VOIT LA FIBRE DES DIRIGEANTS

Mon métier n'existerait pas si les choses étaient toujours claires et faciles. La vraie vie se situe dans les zones grises où les choix sont difficiles à faire. La loi est plus facile à suivre que les préceptes de l'éthique. Rien ne met plus le leadership au défi que les situations de crise où il faut prendre rapidement des décisions difficiles. J'ai vécu et je vis continuellement ces situations torturantes pour les leaders. Faut-il faire quelque chose ou s'abstenir? S'il faut révéler quelque chose, jusqu'où faut-il aller?

Comme ancien journaliste, je suis frappé par le fait que souvent les dirigeants ne voient pas les conséquences ultimes de leurs décisions sur l'opinion publique. Ils pensent s'en tirer avec une esquive dans le journal du lendemain sans voir que la suite des choses risque d'être encore pire. Pour régler les crises, il faut la plupart du temps aller à la racine du mal, ce qui est souvent contre nature. Si bien que la vraie nouvelle n'est plus la crise elle-même, mais elle devient le cover-up, la tentative pour étouffer l'affaire, pour camoufler la crise. Tirer le sparadrap tout d'un coup ne fait mal qu'une fois. Le manque de transparence fait durer le supplice. C'est dans les crises qu'on voit la fibre des leaders.

UN LEADERSHIP CONSTRUIT SUR LA SUBSTANCE PLUTÔT QUE SUR L'IMAGE

On ne peut parler de leadership sans qu'il soit question de communication et d'image. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre d'un conseiller en communication comme moi, je ne crois pas que la forme l'emporte sur le fond, que la communication l'emporte sur le réel. Pour moi, le réel est la meilleure forme de communication. C'est pour cela que les politiciens font souvent si piètre figure.

La plupart de nos politiciens d'aujourd'hui sont des disciples de Réal Caouette qui disait : qu'importe qu'on parle en bien ou en mal de moi, pourvu qu'on en parle! On les voit dans une sorte de course à la notoriété à tout prix. Avoir sa photo dans le journal tous les jours ou paraître à la télé devient une sorte de drogue. Peu importe qu'ils aient une bonne ou une mauvaise presse, cela leur procure leur énergie quotidienne. Ils cherchent à occuper l'espace médiatique pour donner le sentiment d'être des acteurs importants de la scène politique et d'avoir du poids dans le gouvernement.

Cette situation amène actuellement une malheureuse dérive dans le processus démocratique. La politique se fait désormais en forme de combats de coqs à coups de SMS et de points de presse improvisés sur des sujets de bas étage. Au cours de la campagne électorale provinciale de 2007, on n'a assisté à aucun débat sur les véritables enjeux : la pauvreté relative de la province, le développement économique, l'investissement, l'éducation, le décrochage, les universités, la fiscalité. C'est pour ces raisons que le peuple en général a une surdose de politiciens qui ne disent rien sur les vrais sujets.

Sur le plan de la communication, à mon avis, un homme politique canadien se détache du peloton, et c'est le premier ministre Stephen Harper, qui a tendance à mesurer la fréquence de ses interventions publiques et à choisir ses sorties, ce qui en accroît la portée. Pierre Elliott Trudeau agissait de même. Jack Layton, le chef du Nouveau Parti démocratique, qui s'exprime sur tout et déchire ses vêtements à tout moment, me semble un bel exemple à l'opposé de Stephen Harper. On ne sait pas très bien quelles idées il peut avoir, si ce n'est qu'il est le pourfendeur des gouvernements en place et le grand défenseur de la saveur du mois des gens de gauche, comme Gilles Duceppe, qui n'a plus de raison d'être.

Au Québec, avec André Boisclair, on a eu la démonstration que le fond l'emporte sur la forme. Cet homme est un excellent orateur, mais, arrivé trop tôt à la direction de son parti, il n'a pas eu la chance de faire mûrir une pensée cohérente. Placé en permanence devant les micros et les caméras pendant sa campagne à la direction puis pendant les élections, il a été happé par l'obligation de devoir s'exprimer sur tout. Prêt quant à la forme, il ne l'était pas quant au contenu. Le leader en était réduit à changer d'idée au gré des circonstances. Un peu comme Mario Dumont actuellement et son parti, l'Action démocratique.

Si l'ancien premier ministre britannique Tony Blair avait un talent de communicateur hors pair qui lui a permis de «vendre» la guerre en Irak à ses concitoyens, l'avenir dira si Nicolas Sarkozy aura été l'homme de substance qu'il promettait d'être avant son élection ou s'il n'aura été qu'un président bling-bling.

Le contenu n'apparaît pas soudainement, sans efforts. Les individus qui souhaitent diriger avec substance sont des gens responsables qui travaillent fort. Entêtés, c'est l'accumulation des gestes qu'ils exécutent et des décisions qu'ils prennent quotidiennement qui fait d'eux des leaders de substance. Ils se révèlent dans l'action, la constance et le bon jugement. C'est ainsi qu'ils deviennent des êtres cohérents, qui savent comment mener leur barque. Un peu comme l'artiste qui peint une toile. Au premier coup de pinceau, on ne sait pas de quoi aura l'air l'oeuvre finale, mais tranquillement on voit naître son contenu. La meilleure façon de construire l'image d'un leader consiste à bâtir sur la substance et sur la transparence.

NOTE
1. Pour plus d'informations, consulter le site Internet de la firme
à l'adresse : http://www.respublica.ca/respublica-fr.html.
RÉFÉRENCE
Collins, J. (2001), Good to Great, HarperCollins.

Cet article a été publié dans la revue Gestion à l'automne 2008.

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