L'offensive ontarienne de Jude Martineau

Publié le 22/10/2008 à 18:39

L'offensive ontarienne de Jude Martineau

Publié le 22/10/2008 à 18:39

Par lesaffaires.com
Desjardins Groupe d'assurances générales s'attaque au château fort des courtiers en lançant son modèle de ventes directes en Ontario.

Assaillir une forteresse ne semble pas causer trop de stress à Jude Martineau. Le président et chef de la direction de Desjardins Groupe d'assurances générales (DGAG) met le pied en Ontario en y offrant son assurance de dommages par la vente directe. Il en parle avec un calme olympien, malgré la taille du défi.

L'assureur a annoncé en mars que les Ontariens pourront désormais acheter de l'assurance habitation et de l'assurance automobile dans les succursales de sa filiale Desjardins General Insurance. Plus besoin de passer par un courtier pour se procurer ces produits. La filiale d'assurance de dommages de Desjardins est déjà la plus importante de son secteur au Québec, le numéro deux en assurance de groupe du Canada avec sa marque La Personnelle, et la sixième du pays pour l'assurance directe.

Mais la vigueur de Desjardins au Québec a ses limites. " Nous avons environ une centaine de concurrents et nous détenons plus de 20 % du marché, souligne Jude Martineau. Nous avons atteint un niveau de maturité difficile à dépasser. Dans un secteur aussi segmenté, notre capacité de développement est beaucoup moins grande qu'en Ontario, par exemple, où nous ne détenons que 2 % du marché. "

Premiers pas en Ontario

L'Ontario est une cible naturelle ; DGAG y a effectué ses premiers pas hors Québec au début de la décennie. " En 2000, nous avons procédé à l'acquisition des filiales d'assurance de la Banque CIBC, explique le gestionnaire. À cette époque, la Banque possédait deux filiales présentes dans les mêmes marchés que nous, soit le marché individuel et celui des assurances de groupe. Ce que vous voyez aujourd'hui est le résultat de nos initiatives précédentes. "

De 2000 à 2004-2005, Desjardins a procédé à l'intégration et à l'amélioration de ces filiales pour implanter et développer des systèmes technologiques, en plus de réduire les frais d'exploitation. " Ceux-ci étaient très élevés, environ 34 % des revenus, explique le gestionnaire. Nous les avons ramenés à 19 %. Aucune des deux filiales n'opérait sous la marque Desjardins. Nous avons corrigé cette situation en 2007. "

Afin de mériter sa place au soleil et de renforcer sa notoriété dans une province moins familiarisée avec le mouvement coopératif québécois, Desjardins Groupe d'assurances générales lance une importante campagne de publicité au coût d'une dizaine de millions de dollars, et Jude Martineau est convaincu de la pertinence de cet investissement. " L'Ontario est le plus important marché de l'assurance de dommages du Canada ; il compte pour plus de la moitié. Mais si on le compare au Québec, la distribution directe y est beaucoup moins développée. Ici, plus de 50 % du marché des particuliers se trouve dans les mains des assureurs directs, alors qu'en Ontario la proportion est d'environ 25 %. La capacité de développement y est bien plus élevée. " Cela signifie toutefois qu'en Ontario, trois quarts de l'assurance de dommages environ se trouvent entre les mains des courtiers. Un véritable château fort.

Doubler d'ici cinq ans

Qu'à cela ne tienne : Jude Martineau vise à faire doubler le volume d'affaires hors Québec de DGAG d'ici cinq ans. Le haut dirigeant n'a pas voulu trop s'avancer sur les chiffres qui sous-tendent cet objectif, mais selon les résultats financiers de 2007 du Mouvement Desjardins, les primes brutes de DGAG s'élevaient à plus de 1,4 milliard de dollars. Environ 36 % de son volume d'affaires provenait de l'extérieur du Québec.

L'omniprésence des courtiers sur un territoire ne représente-t-elle pas un obstacle majeur pour un assureur direct comme Desjardins ? Jude Martineau fait le pari que son modèle d'affaires est plus souple. " Nous avons des capacités de segmentation de marché plus élevées que la plupart de nos concurrents. Nos frais d'exploitation sont environ 10 points de pourcentage sous la moyenne de l'industrie. Ces deux éléments sont des avantages concurrentiels qui permettent d'offrir de meilleurs prix à la clientèle. "

Tous modèles confondus, l'Ontario est aussi un territoire des plus occupés sur le plan des assurances. Le PDG en est conscient. " C'est certainement un marché plus difficile, car tous les assureurs importants y sont présents. Certains noms comme State Farm s'y trouvent, mais ne sont pas établis au Québec. Cependant, nous avons confiance que la qualité de notre service nous permettra d'aller chercher une part de marché intéressante. Elle n'atteindra pas 20 %, certes, mais nous récolterons tout de même un bon morceau. "

Toutefois, si l'assurance directe séduisait de plus en plus d'Ontariens, Jude Martineau ne courrait-il pas le risque de voir ses concurrents copier sa recette ? " Développer un nouveau réseau n'est pas chose facile, affirme le grand patron de Desjardins Groupe d'assurances générales. L'assureur qui mettrait sur pied un réseau direct ferait concurrence à son réseau de vente par courtage, ce qui n'est pas intéressant. Les courtiers pourraient réagir de façon négative. La plupart des compagnies choisissent entre les deux types de réseaux. "

Jude Martineau parle d'expérience, car Desjardins a déjà commis l'erreur d'oeuvrer à la fois dans l'univers des courtiers et dans celui de la vente directe. " Nous avons compris qu'il est extrêmement difficile de gérer un réseau parallèle. Chaque fois que vous prenez une décision dans le domaine de l'assurance directe, vous entrez en concurrence avec le volet courtage. Vous avez donc les mains liées. Cela vous empêche de poser certains gestes et vous devenez timide quant au développement. Du coup, cela fait de vous un assureur comme les autres et vous enlève vos avantages concurrentiels. "

Le gestionnaire ne cache pas que certains risques sont difficiles à prévoir, particulièrement en période d'expansion. " Le marché de l'assurance de dommages est cyclique, admet-il. Les primes peuvent grimper pendant trois ou quatre ans. Le niveau de rentabilité s'améliore, mais tout d'un coup, le consommateur est frustré par les prix plus élevés. " Ce qui force une compagnie comme DGAG à réduire ses prix et à se serrer la ceinture afin de ne pas perdre ses clients.

Que pensent des experts du monde de l'assurance de cet assaut de Desjardins Groupe d'assurances générales sur le marché ontarien ?

Une différence majeure : le régime no fault

Michael Goldberg, analyste financier pour le courtier Valeurs mobilières Desjardins, croit que certains facteurs uniques au marché du Québec permettent aux assureurs directs d'y connaître un grand succès. " Une partie de l'assurance automobile au Québec est couverte par le système no fault du gouvernement. Il faut acheter soi-même seulement une partie de son assurance auprès des compagnies. Cela fait toute la différence. " Le régime ontarien est différent, ce qui rend l'achat d'assurance plus complexe et le travail de l'assureur direct plus difficile. " Il y a plus de différences entre les produits, ce qui peut pousser les clients à se tourner vers un courtier pour les acheter ", explique Michael Goldberg.

Gregory Ellis, cofondateur du site de comparaisons et d'information sur l'assurance Kanetix.ca, croit que le succès de Desjardins au Québec pourrait être difficile à reproduire chez nos voisins ontariens. " Il existe beaucoup plus de compagnies d'assurance en Ontario. Les banques ne réussissent pas à vendre ces produits dans les succursales avec autant de succès. Desjardins n'a pas la même base de consommateurs en Ontario, son nom n'y est pas aussi connu et il n'y a pas autant de succursales. Ce ne sera pas facile. Cependant, Desjardins possède beaucoup d'expertise et il peut réussir si ses prix sont concurrentiels. "

La partie sera tout de même serrée, ajoute Gregory Ellis, même quand viendra le moment de séduire les consommateurs. " Les compagnies d'assurance n'ont pas la même marge de manoeuvre qu'au Québec pour modifier les prix, ce qui pourrait empêcher les assureurs directs de gagner des parts de marché. " Bref, cette percée ontarienne ne se fera pas sans une bonne dose de résistance. Jude Martineau pourra toujours se dire qu'" à vaincre sans peine, on triomphe sans gloire ".

Cet article a été publié dans la revue Commerce en mai 2008.

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