L'illusion de la réussite

Publié le 30/08/2010 à 11:39, mis à jour le 31/08/2010 à 14:29

L'illusion de la réussite

Publié le 30/08/2010 à 11:39, mis à jour le 31/08/2010 à 14:29

Par Premium

Marshall Goldsmith est l'un des meilleurs coaches du monde. Photo : DR.

Plus on réussit, plus on prend confiance en soi et plus on risque d’entretenir l’illusion suivante : « Je me comporte de telle façon. Et ça me réussit. C’est donc parce que je me comporte de cette façon que je réussis tout le temps. » Grave erreur!

Auteur : Marshall Goldsmith | Rotman Magazine

Plus on s’élève dans la hiérarchie d’une organisation, plus on se fait dire qu’on est brillant. Et souvent on finit par le croire…

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Un soir, j’ai entendu un haut gradé partager son expérience avec un collègue enthousiaste, qui venait d’obtenir le grade de général : « Avez-vous remarqué, lui a-t-il demandé, que lorsque vous lancez des plaisanteries, tout le monde éclate de rire et que, quand vous faites une remarque “judicieuse”, chacun hoche gravement la tête? » Le jeune général lui a répondu : « Eh bien, oui. » Le vieux routier a continué en riant : « Permettez-moi de vous donner un conseil. Vous n’êtes pas à ce point amusant, ni à ce point intelligent. Tout ça, c’est à cause de votre étoile de général. Ne laissez jamais votre grade vous monter à la tête. »

Idem, il y a quelques années, une compagnie d’assurances avait fait paraître une publicité où figurait un grizzly qui s’était aventuré dans des rapides. Il avait le cou tendu aussi loin que possible, la gueule grande ouverte, les babines retroussées. Ses mâchoires étaient sur le point de se refermer sur un saumon qui avait exécuté un saut inopportun en remontant la rivière. Sur la publicité, on pouvait lire: « Vous vous sentez probablement comme l’ours. Mais vous pourriez bien être le saumon. »

Cette publicité avait pour but de vendre des assurances-invalidité, mais à mes yeux, elle exprimait avec brio notre propension à nous faire des illusions à propos de nos réalisations, de notre situation et de nos efforts. Bien souvent, nous exagérons l’importance de notre contribution à un projet, et nous surévaluons la rentabilité de celui-ci en ne tenant pas compte de certains coûts, réels ou cachés.

La sourde oreille

Le fait de se croire « brillant » donne de l’assurance. Même si nous ne sommes pas aussi bons que nous le croyons, cette assurance nous aide réellement à être plus performants que nous ne le serions si nous n’avions pas confiance en nous. Les personnes les plus réalistes du monde ne se font certes aucune illusion; en revanche, elles sont déprimées!

Si les illusions qui nourrissent notre assurance nous permettent d’être performants, elles constituent aussi la raison pour laquelle il nous est si difficile de changer. Si quelqu’un nous dit qu’il serait peut-être dans notre intérêt de changer, son initiative risque fort de nous laisser perplexes. On pourrait parler, dans ce cas, d’une réaction à trois temps :

> Nous sommes d’abord convaincus que l’autre fait erreur. Il aura été mal informé ou il ne sait tout simplement pas de quoi il parle.

> Après, quand nous considérons finalement la possibilité que l’autre ne fasse pas erreur – peut-être qu’il dit vrai en ce qui a trait à nos défauts, après tout –, nous nous réfugions dans le déni. Les critiques de cet individu sont peut-être fondées, mais elles n’ont sûrement aucune importance. Sinon, comment expliquer notre remarquable réussite?

> Enfin, en désespoir de cause, il se peut que nous passions à l’attaque. Nous dénigrons le messager et concluons l’affaire ainsi : « Je suis un gagnant. Pourquoi écouterais-je ce type, qui n’est qu’un perdant? »

Tout est finalement une question de croyances, sur lesquelles il convient de se pencher…

Croyance no 1 : j’ai réussi

Ceux qui réussissent ont toujours cette idée en tête : « J’ai réussi. J’ai réussi. J’ai réussi. » Vous pensez peut-être que cela ne s’applique pas à vous. Regardez-y donc de plus près. Comment se fait-il que, à votre réveil, vous ayez suffisamment d’assurance pour foncer au bureau, débordant d’optimisme et d’entrain, prêt à affronter vos concurrents? Ce n’est pas parce que vous vous rappelez régulièrement vos erreurs et échecs. Non, c’est parce que vous faites le tri dans vos souvenirs; vous choisissez de ne vous remémorer que vos réussites les plus éclatantes.

Quand une réalisation découle d’un effort collectif, nous avons tendance à exagérer l’importance de notre contribution à cette entreprise commune. Il m’est arrivé de demander à trois associés en affaires d’évaluer leur contribution individuelle aux profits réalisés par leur entreprise. La somme des réponses représentait plus de 150 % du profit réel : il n’y avait là rien d’étonnant, puisque chaque associé affirmait générer à lui seul plus de 50 % des bénéfices…

Croyance no 2 : je peux réussir

Ceux qui réussissent croient vraiment que, par la seule force qui découle de leur personnalité, leur talent et leur intelligence, ils peuvent imprimer à une situation une orientation favorable. Voilà pourquoi certaines personnes lèvent la main quand le patron demande des volontaires, alors que d’autres se cachent dans un coin dans l’espoir de passer inaperçus.

Ceux qui croient pouvoir réussir voient des opportunités là où d’autres voient des menaces. Ils ne craignent ni l’incertitude ni l’ambiguïté; ils en tirent plutôt profit. S’ils en ont l’occasion, ils parient sur eux-mêmes. Pour eux, l’individu est maître de son destin, et non l’inverse. En d’autres termes, ils n’ont pas l’impression d’être à la merci de forces qui les dépassent, ils considèrent plutôt que leur succès résulte de leur motivation et de leurs compétences, et non de la chance, du hasard ou du destin.

Un jour, six de mes associés voulaient faire une gros coup. Puisque j’étais l’associé principal, ils devaient obtenir mon accord pour ce faire. J’étais fermement opposé à ce projet, que je leur ai décrit comme « une aventure idiote », mais j’ai fini par céder à leurs arguments, à contrecœur. Sept années plus tard, cet investissement « idiot » m’avait procuré un rendement à… sept chiffres! Cette manne est vraiment tombée du ciel : on ne peut l’attribuer à autre chose que la chance. Quand j’ai raconté cette histoire à des amis, ils ont tenté de me persuader que ce coup de pot était en fait une récompense que je méritais en raison de mes longues années de travail assidu. Ces amis font clairement partie de ces personnes qui croient qu’on mérite la chance qu’on a. Bien entendu, cette croyance n’a aucun fondement : c’est comme si l’on avait hérité d’une fortune et qu’on croyait s’être fait tout seul.

Croyance no 3 : je vais réussir

Ceux qui réussissent sont des personnes optimistes. Du coup, ils ont tendance à prendre beaucoup trop d’engagements. Pourquoi? Parce qu’ils croient être en mesure de faire plus de choses qu’ils ne le peuvent vraiment.

La grande majorité des dirigeants d’entreprise avec qui j’ai travaillé ont l’impression, au moment où je les rencontre, de n’avoir jamais été plus occupés au cours de leur carrière. S’ils sont si occupés, ce n’est pas parce que ce sont des perdants, mais parce que ce sont des gagnants. Ils sont submergés d’opportunités.

Supposez que vous fassiez quelque chose de merveilleux au travail. Soudain, plein de personnes veulent s’associer à votre réussite. Non sans logique, elles s’imaginent que, puisque vous avez déjà accompli un miracle, vous pourrez en accomplir un autre, mais cette fois-ci pour eux. Les opportunités s’offrent l’une après l’autre, à un rythme auquel vous n’êtes pas du tout habitué. Puisque vous croyez que vous allez réussir, il est difficile de décliner ces propositions. Le danger? D’être vite débordé, et de voir que ce qui vous a propulsé en haut va vous faire dégringoler tout en bas.

Croyance no 4 : je choisis de réussir

Ceux qui réussissent croient qu’ils ont maîtrisé leur destin. Ils ignorent, en fait, un principe psychologique qui a fait l’objet d’innombrables études : la dissonance cognitive. Ce terme désigne l’hiatus entre ce que nous voulons croire et ce dont nous faisons réellement l’expérience. La théorie sous-jacente est simple : plus nous tenons à croire que quelque chose est vrai, plus nous reconnaîtrons difficilement que ce n’est pas le cas, et ce, même s’il devient évident que notre croyance est erronée.

C’est en raison de la dissonance cognitive que ceux qui réussissent ne se laissent pas ébranler par les difficultés. Mais ce même principe peut leur nuire quand vient le temps de changer de cap. Quand quelque chose ne marche pas, il faut parfois se résoudre à modifier notre approche, et ce, même si l’on a presque tout réussi dans le passé. Il est ainsi très dur pour les gagnants d’abandonner une partie…

Le piège de la superstition

Au regard de ces quatre croyances, on constate qu’elles ont toutes un point en commun : la superstition. « Quoi, superstitieux, moi? penserez-vous. Je suis une personne éduquée et logique. Je ne suis pas du tout superstitieux. » Et pourtant, si…

Être superstitieux, c’est confondre la consécution et la causalité. Le psychologue B. F. Skinner l’a illustré en observant le comportement de pigeons. Si un pigeon affamé découvrait, par pur hasard, quelques miettes de nourriture après avoir fait un quelconque mouvement (en soi dénué de signification), il répétait ce mouvement dans l’espoir d’obtenir de la nourriture. De façon similaire, des dirigeants d’entreprise fort compétents peuvent reproduire des comportements dysfonctionnels, si ceux-ci ont précédé l’obtention d’une somme considérable d’argent, et ce, même s’il n’y a aucun lien de cause à effet entre ces comportements et l’argent gagné. C‘est le piège de la superstition.

Comment s’en extraire? Avant tout, il convient d’analyser vos comportements habituels, ceux qui sont souvent bizarres ou déplaisants pour les autres. Demandez-vous : « Est-ce que j’ai ce comportement parce que je crois qu’il est lié d’une quelconque façon aux bonnes choses qui m’arrivent? », et regardez-le de très près pour voir s’il s’agit ou non d’une croyance superstitieuse qui influence votre vie depuis des années.

Ensuite, faîtes l’effort d’être honnête envers vous-même : reconnaissez que la croyance identifiée, même si elle vous a été favorable jusqu’à présent, risque de vous nuire un jour ou l’autre. Cet effort est loin d’être chose facile. Je coache de hauts dirigeants, des personnes qui volent de succès en succès et qui veulent que cela dure. Ils savent qu’il leur faut évoluer pour cela, et donc procéder à des changements, en combattant leurs croyances superstitieuses. Et pourtant, ils peuvent tous témoigner du fait que cela est difficile, très difficile…

Pour y parvenir, un truc consiste à demander aux personnes qui vous importent le plus comment vous pourriez vous améliorer. Écoutez-les, comprenez ce qu’elles veulent vous dire sans vous brusquer et intégrez ces nouvelles données dans votre façon de réfléchir au problème. Tirez ensuite les conséquences qui s’imposent.

Prenez soin, bien entendu, de ne pas révolutionner vos comportements et de ne surtout pas commencer à agir contre-nature. Par le passé, je suggérais aux dirigeants de cibler deux ou trois comportements à changer. Mais, j’étais jeune et idéaliste, à cette époque-là. Aujourd’hui, je leur suggère de se concentrer sur un seul comportement clé.

Un de mes clients, George Borst, directeur général de Toyota Financial Services, voulait devenir un meilleur leader. Tout allait dans le bon sens, la rétroaction de ses collègues était encourageante, quand il a eu un flash : « Mais c’est sans fin. Si je veux toujours améliorer mon leadership, je vais devoir y consacrer toute ma vie!» Il avait raison. Nous avons alors procédé par étapes précises à atteindre pour assurer une progression constante, sans se laisser décourager par la hauteur des sommets à gravir. L’important est de rester humble, de ne pas se laisser griser par les succès accumulés.

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Marshall Goldsmith est l’auteur de What Got You Here Wont Get You There: How Successful People Become Even More Successful (Hyperion, 2007) et le fondateur de Marshall Goldsmith Partners. L’American Management Association l’a reconnu comme l’un des 50 penseurs ayant le plus influé sur le domaine du management au cours des 40 dernières années, et Forbes l’a cité parmi les cinq coaches de gestionnaires les plus respectés du monde.

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Adapté de

Rotman Magazine

Publication de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto, Rotman Magazine paraît trois fois par an. Son ambition : « Apprendre aux gestionnaires à façonner le monde à leur façon ».

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