L'autoroute de la pensée

Publié le 18/03/2010 à 15:57, mis à jour le 07/10/2013 à 14:38

L'autoroute de la pensée

Publié le 18/03/2010 à 15:57, mis à jour le 07/10/2013 à 14:38

On va de Montréal à Québec par les voies rapides, mais de Québec à Saint-Glin-Glin par les routes secondaires. Idem dans notre cerveau. Certaines décisions peuvent se prendre à la vitesse grand V, grâce à l’intuition. Mais d’autres méritent un long détour par la réflexion. Le blogueur Jonah Lehrer distingue les unes des autres.

Depuis Platon, on considère le processus décisionnel comme étant soit rationnel, soit émotionnel : ou nous réfléchissons soigneusement, ou nous y allons d’instinct. Mais de récentes découvertes suggèrent que le cerveau ne fonctionne pas ainsi. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

On a longtemps perçu les humains comme des êtres essentiellement rationnels qui devaient réprimer leurs émotions pour prendre de bonnes décisions. Mais plus les chercheurs examinent le fonctionnement du cerveau, plus ils conviennent que ce n’est pas forcément le cas. Antonio Damasio, entre autres, a découvert que les personnes qui sont incapables de ressentir des émotions deviennent pathologiquement indécises. On s’aperçoit que nos émotions, en réalité, sont profondément empiriques, qu’elles reflètent de l’information pertinente venue du monde réel et qu’on aurait tort de les ignorer. Il est absurde d’opposer les perceptions selon lesquelles « raison + logique = bon » et « émotion + passion = mauvais ». La réalité est beaucoup plus complexe.

Vous avez dit que « l’intuition intelligente résulte d’une pratique délibérée». Cette affirmation n’est-elle pas contradictoire ?

En fait, j’ai essayé de trouver la réponse à une question clé : « Quand faut-il suivre son instinct ? » Réponse : on peut se fier à ses émotions quand elles interviennent dans des domaines où on a de l’expérience. Avec la pratique, le cerveau émotionnel devient de plus en plus habile à déterminer quelles données il doit considérer et lesquelles il doit écarter. En ce sens, nos émotions les plus « intelligentes » découlent d’une pratique délibérée et d’une expérience accumulée. Cela nous permet d’utiliser des raccourcis très utiles, même nécessaires, pour évaluer rapidement une situation donnée.

Auparavant, on supposait qu’une personne devenait experte dans un domaine parce qu’elle en avait une connaissance explicite. Mais nous découvrons maintenant une tout autre réalité : la plupart des experts font preuve d’une grande intuition et d’un instinct plus vif comparativement aux novices. Ils font davantage confiance à leurs émotions qu’au traitement rigoureux de l’information, car ils ont réfléchi depuis longtemps, voire des années, au sujet en cause. Le moment venu, les experts peuvent donc agir très rapidement — d’une façon automatique, en un sens. Ce sont les sentiments, et non le cortex préfrontal, qui captent la sagesse de l’expérience.

Vous avez découvert que certaines conditions court-circuitent régulièrement le cerveau émotionnel, ce qui entraîne de mauvaises décisions. De quoi en particulier devrions-nous nous méfier ?

Prenez par exemple le hasard. Notre cerveau n’arrive pas à bien aborder les systèmes aléatoires, qu’il s’agisse de machines à sous ou du marché boursier. Cela s’explique aisément : le cerveau est une machine à créer des configurations. Au lieu de se dire : « Je dois cesser de vouloir comprendre », il hallucine et voit des configurations, puis pèche par excès de confiance. Ainsi, les joueurs assis au casino se convainquent souvent d’avoir une stratégie qui leur porte chance, alors qu’en fait, seul le hasard entre en jeu.

Autre exemple : l’aversion à l’égard de la perte. Après des décennies de recherche, à commencer par celles de Daniel Kahneman et d’Amos Tversky à la fin des années 70, on constate que les gens traitent les gains et les pertes d’une façon très différente, les pertes (réelles ou potentielles) ayant sur nous un impact beaucoup plus fort. Ce tic humain irrationnel nous entraîne dans toutes sortes de folies. Ainsi, lorsque des investisseurs évaluent leur portefeuille d’actions, ils ont souvent tendance à vendre leurs actions une fois qu’elles ont acquis de la valeur, poussés par l’idée d’éviter de la sorte une perte future. Mais au bout du compte, ils se retrouvent coincés avec un portefeuille d’actions essentiellement composé de titres à la baisse : les actions vendues ont en moyenne un rendement de 3,5% supérieur à celles que l’on conserve dans le portefeuille. Absurde, non ?

Vous décrivez la Bourse comme « un exemple classique de système aléatoire ». Le fonctionnement interne de Wall Street n’est-il pas meilleur que celui d’une machine à sous ?

Il existe suffisamment de preuves pour établir que Wall Street constitue un véritable marché aléatoire, et que toute l’information du monde ne vous permettra pas de prédire le mouvement futur d’une action à partir de son évolution passée. S’agit-il d’un phénomène totalement aléatoire ou seulement stochastique ? Le débat reste ouvert, mais je crois que l’investisseur moyen aurait intérêt à considérer Wall Street comme une machine à sous et à ne pas tenter de se montrer plus malin que les autres. Le plus sage consiste à choisir un fonds indiciel à prix modique, puis à attendre patiemment. Si on boursicote, on perd à long terme ; en revanche, l’histoire démontre que si on choisit un fonds indiciel à prix modique et qu’on attend, on obtient un rendement positif. Ce que je voulais dire, en comparant Wall Street à une machine à sous, c’est que dans ces domaines, il ne faut pas chercher à raisonner pour prendre une décision. C’est souvent de la folie ! Cela s’applique aux investisseurs amateurs aussi bien qu’à la plupart des gestionnaires de fonds communs de placement, qui se démènent pour battre le S&P 500. C’est une illusion dangereuse et coûteuse que d’essayer de choisir telle ou telle action pour battre le marché.

Le leurre de la certitude est fondamentalement intégré dans notre cerveau. Qu’est-ce que cela entraîne sur notre prise de décision ?

C’est si bon d’être certain ! La confiance réconforte, mais elle a des répercussions : notre désir de certitude nous amène souvent à écarter de l’information qui pourrait contredire nos convictions, et c’est alors qu’on prend de mauvaises décisions.

Regardez comment a surgi le désastre économique actuel : des tas de gens ont cru que le papier commercial qu’ils achetaient et vendaient ne présentait aucun risque financier. Après tout, Moody’s lui avait accordé une cote triple A… Mais voilà, cette certitude les a poussés à négliger toutes sortes de preuves indiquant qu’il y avait un risque énorme. C’est à ce moment-là que s’est produite la « dissonance cognitive ».

Des décennies de recherche le montrent : puisque les gens n’aiment pas tenir compte de l’information qui contredit leurs convictions profondes, ils ont tendance à l’ignorer délibérément. C’est pourquoi les conservateurs regardent Fox News, et les libéraux, MSNBC. Ça fait tout simplement partie de la nature humaine.

L’inconvénient, c’est que notre désir de certitude nous amène souvent à négliger de l’information pertinente. En fait, les états d’incertitude sont profondément troublants et nous rendent anxieux, comme on le constate à présent dans l’économie. Les gens ignorent si le prix des maisons continuera à chuter ou s’ils auront un emploi le mois prochain. C’est une époque de grande incertitude, ce qui la rend très stimulante pour les neuro-économistes et les neuroscientifiques.

Vous conseillez de penser moins aux choses qui nous tiennent à cœur et davantage aux choses terre-à-terre. Pourquoi ?

Nous découvrons que le cerveau rationnel est rempli de talent prométhéen — il peut tout accomplir, de la pensée abstraite à la logique, en passant par la maîtrise de soi —, mais nous oublions trop souvent ses limites, sa faiblesse sur le plan de la capacité de traitement de l’information. Par exemple, si on lui donne plus de sept éléments d’information, il se met en mode court-circuit et sélectionne les faits. Il est important de reconnaître que, même si le cerveau rationnel caractérise la nature humaine, nous ne pouvons l’utiliser pour prendre des décisions qui exigent de traiter une mer de données. Le meilleur moment pour exploiter notre cerveau rationnel, c’est quand nous devons prendre une décision plus facile — là où nous pourrions être mal guidés par un a priori fortement ancré, comme l’aversion à l’égard de la perte ou quelque autre bizarrerie émotionnelle.

Quant aux décisions plus difficiles, celles qui exigent de traiter plus d’informations, on a pu démontrer très clairement qu’elles profitent d’un processus de pensée plus inconscient, plus émotionnel, plus instinctif. Tout simplement parce que l’inconscient parvient plus facilement à assimiler des tonnes de données, à soupeser convenablement l’importance relative de toutes ces variables, puis à créer un sentiment qui nous permet de trouver la bonne solution. Bref, la prise de décision ne repose sur aucune recette secrète : elle se fonde sur la vigilance.

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