L'art de la persuasion

Publié le 11/04/2011 à 12:08

L'art de la persuasion

Publié le 11/04/2011 à 12:08

Par Premium

La persuasion est une arme à double tranchant. Certains la perçoivent comme une manière de manipuler les autres et ne s’en servent jamais. D’autres, plus subtils, la voient comme une façon de séduire…

Auteur : Jay A. Conger Harvard Business Review

Jamais période n’a été aussi favorable pour apprendre à maîtriser l’art subtil de la persuasion. Fini l’époque où les dirigeants géraient par décrets, lançant des ordres à gauche et à droite tout en contrôlant leurs troupes ! Aujourd’hui, il faut savoir gérer à la fois les baby-boomers sur le départ et leurs rejetons, issus des générations X et Y, qui tolèrent mal l’autorité et l’obéissance à l’aveuglette. Qui plus est, l’avènement des communications électroniques et la mondialisation contribuent à l’érosion des hiérarchies traditionnelles au sein des organisations à mesure que les idées et les travailleurs circulent plus librement…

C’est bien simple, les employés d’aujourd’hui ne se contentent plus de demander : « Que dois-je faire ? » mais veulent savoir : « Pourquoi dois-je le faire ? » Pour répondre à cette dernière question, il faut se montrer persuasif. Pourtant, de nombreux dirigeants ne savent pas comment s’y prendre. Pourquoi ? Parce qu’ils ont pour a priori que la persuasion est un art qui ne sert qu’à vendre des produits ou à conclure des contrats. Beaucoup estiment aussi qu’il s’agit d’une forme de manipulation — quelque chose de tordu qu’il vaut mieux éviter.###

Certes, on peut recourir à la persuasion pour vendre ou pour décrocher un contrat, et certains l’utilisent carrément à des fins malveillantes pour arnaquer les autres. Mais quand on s’en sert de manière constructive et qu’on l’exploite pleinement, cela devient un art qui n’a rien à voir avec la tromperie. La persuasion est alors un processus de négociation et d’apprentissage grâce auquel le leader guidera son équipe vers le succès.

Oui, la persuasion implique d’amener les autres à adopter une position qui n’est pas la leur de prime abord, mais pas en les suppliant ni en usant de flatterie. Elle exige plutôt une préparation minutieuse, le recours à des arguments appropriés, la présentation de faits éloquents à l’appui de sa position, ainsi qu’un effort soutenu pour établir une forme de complicité avec les personnes qu’on veut, au final, séduire.

Alors, qu’est-ce qu’une persuasion efficace ? Il s’agit de la mise en œuvre d’une méthode rigoureuse composée d’étapes de préparation et de dialogue.

Se préparer à persuader des collègues peut prendre des semaines, voire des mois de travail. Il faut recueillir le plus d’informations possible sur le projet envisagé. Réfléchir soi-même à celui-ci sous tous les angles imaginables. Penser aux investissements en temps et en argent qui seront nécessaires pour toutes les personnes concernées, etc.

Quant au dialogue, il doit s’amorcer avant et continuer pendant le processus enclenché. Les bons leaders ouvrent le dialogue pour en savoir plus sur les opinions, les préoccupations et les perspectives des autres. Ils estiment que cette démarche va enrichir le projet, et non saper leur idée de départ. Les autres sont ainsi invités à discuter, voire à contester, les mérites du projet initial, puis à proposer d’autres idées. Tout cela peut sembler fastidieux, mais la recherche de l’efficacité implique la confrontation des opinions et l’atteinte d’un compromis. C’est peut-être ce qui explique que les dirigeants persuasifs semblent tous partager un trait commun : ils sont ouverts d’esprit, jamais dogmatiques.

En fait, toute persuasion efficace comporte quatre étapes incontournables. Tout d’abord, le leader doit établir sa crédibilité. Puis il fixe des objectifs susceptibles d’enthousiasmer les autres. Ensuite, il construit un discours attrayant appuyé sur des faits incontestables. Enfin, il noue des liens émotifs avec les autres.

Une question de crédibilité

Le premier défi à relever, c’est d’établir sa propre crédibilité. On ne peut défendre une nouvelle idée ou stratégie sans que son entourage se demande : « Peut-on avoir confiance dans sa vision ? » Une telle réaction est compréhensible. Après tout, les autres prennent un risque en se laissant persuader, c’est-à-dire en envisageant la possibilité de consacrer du temps et des ressources à un projet qui ne vient pas d’eux.

En entreprise, la crédibilité s’appuie sur deux piliers : l’expertise et les relations. Ainsi, une personne est considérée comme experte dans son domaine quand elle a su démontrer un excellent jugement au fil des ans, ou quand elle a toujours fait preuve d’une totale maîtrise de ses dossiers. Quand un publicitaire va de succès en succès durant une décennie, les autres se laissent facilement convaincre par ses arguments quand il propose un nouveau concept. De même, un entrepreneur qui a réussi à lancer sept produits novateurs en l’espace de cinq ans aura un net avantage sur un jeune diplômé récemment embauché quand viendra le temps de faire accepter un projet audacieux.

Quant aux relations, il convient de savoir écouter et travailler dans l’intérêt des autres. Cela requiert de l’intégrité et une grande force de caractère ; il ne faut donc surtout pas être sujet aux sautes d’humeur et aux rendements inégaux. Celui qui est honnête, stable et fiable est reconnu comme étant digne de confiance. D’ailleurs, un dirigeant pour qui les relations avec les autres sont primordiales partagera généreusement le crédit de toute bonne idée avec ses collaborateurs, au lieu de chercher à vanter ses mérites auprès de la haute direction.

Pour savoir si vous êtes un leader crédible, il vous faut vous poser sérieusement les questions suivantes : Mon expertise est-elle suffisante pour que je sois considéré comme un expert dans le domaine concerné par mon projet ? Est-ce que les autres connaissent mon bagage et le respectent ? Et comment vont-ils le percevoir par rapport aux changements que je préconise ?

Puis, pour évaluer sa crédibilité sur le plan des relations, il faut poursuivre les interrogations comme ceci : Les gens que je souhaite persuader me perçoivent-ils comme une personne digne de confiance ? Et seront-ils sur la même longueur d’onde que moi pendant ce projet, que ce soit émotionnellement, intellectuellement ou politiquement ?

Après avoir fait ce travail de recul sur vous-même, le mieux est alors de poser ces mêmes questions à des collègues proches, en qui vous avez toute confiance. Leurs réponses vous permettront d’y voir plus clair en ce qui concerne votre crédibilité réelle au sein de l’organisation.

Dans la plupart des cas, cet exercice permet de se découvrir des faiblesses qu’on ignorait jusqu’alors. Le défi consiste alors à corriger le tir. En règle générale, si c’est l’expertise qui vous fait le plus défaut, vous avez plusieurs options :

Peaufinez votre projet à l’aide de discussions, formelles ou non, avec des personnes compétentes dans le domaine concerné. Vous pouvez aussi, par exemple, demander à être muté dans une équipe au sein de laquelle vous en apprendrez davantage sur le marché ou le produit que vous visez.

Entourez-vous de personnes qui soient capables de vous en apprendre davantage sur le domaine en question, un consultant ou un spécialiste externe, par exemple. L’un comme l’autre peut avoir les connaissances et l’expérience voulues pour vous appuyer dans votre projet. La crédibilité de cet expert se substituera alors à la vôtre.

Exploitez d’autres sources d’informations, comme des publications d’affaires, des livres, des rapports indépendants ou des conférences d’experts. Ainsi, un dirigeant dans le secteur du vêtement a réussi à persuader son entreprise de repositionner une gamme de produits en visant un marché plus jeune, et ce, en s’appuyant sur les articles d’un démographe de renom, publiés dans des revues réputées, ainsi que sur deux études de marché indépendantes.

Lancez des projets pilotes pour démontrer à petite échelle l’étendue de votre expertise et la valeur de vos idées.

Par ailleurs, pour corriger un problème de relations :

Concentrez vos efforts sur des rencontres individuelles avec les principales personnes que vous désirez persuader. Évidemment, le temps n’est pas venu de dévoiler vos intentions; il s’agit plutôt d’évaluer l’étendue des points de vue sur le sujet en question. Si vous en avez le temps et les ressources, offrez même de l’aide à ces personnes sur des questions qui les préoccupent.

Mettez à profit des collègues qui partagent votre point de vue et qui ont déjà de solides relations avec ceux que vous comptez séduire.

Un exemple frappant : le cas bien réel de Tom Smith (nom fictif), nouvellement affecté au poste de directeur de l’exploitation d’une grande banque au Canada, qui voulait persuader la haute direction que l’entreprise était en sérieuse difficulté. Il croyait que les coûts d’exploitation de la banque étaient trop élevés, ce qui risquait de nuire à son positionnement sur un marché toujours plus concurrentiel. La plupart de ses collègues ne partageaient pas son opinion : la banque avait connu beaucoup de succès au cours des dernières années, et ils ne voyaient pas pourquoi cela changerait.

En plus d’avoir été nommé récemment à son poste, Tom Smith avait un autre problème : venu d’un autre secteur, il était considéré comme un « étranger » dans le milieu bancaire. Il avait donc peu de contacts personnels susceptibles de défendre son point de vue et n’était pas perçu comme compétent en matière de finance.

En guise de première étape pour établir sa crédibilité, Tom Smith a engagé un consultant externe très respecté dans l’industrie, histoire de démontrer que la banque ne faisait pas très bonne figure en matière de coûts d’exploitation. Dans une série de présentations auprès de la haute direction de la banque, le consultant a expliqué que les principaux concurrents se montraient très énergiques pour limiter leurs coûts d’exploitation. Ces présentations ont établi clairement qu’en ne réduisant pas ses propres coûts la banque s’exposait à prendre du retard sur les autres. Ces constats ont ensuite été transmis à toute l’organisation sous forme de rapports écrits.

Ensuite, Tom Smith a estimé que les directeurs des succursales devaient jouer un rôle crucial dans sa campagne. En mettant de son côté ces dirigeants respectés et bien informés, il ferait comprendre aux autres employés de la banque qu’il était urgent d’agir. Il y voyait aussi l’occasion d’améliorer son expertise sur les tendances du marché et de valider ses présomptions.

Durant trois mois, il a visité chaque succursale de sa région, l’Ontario, soit 135 en tout. Visite après visite, il a passé du temps avec les directeurs de succursale et écouté leurs opinions sur les forces et les faiblesses de la banque. Il a obtenu, du coup, des renseignements de première main sur les projets de la concurrence et les tendances de la clientèle, et en a profité pour recueillir des suggestions pour améliorer les services et réduire les coûts. Au terme de sa démarche, Tom Smith bénéficiait d’une vision globale de l’avenir de la banque que peu de gens possédaient, y compris au sein de la haute direction. Et il avait noué des dizaines de relations étroites en cours de route.

Enfin, le directeur de l’exploitation a lancé de petits projets à forte visibilité pour démontrer son expertise fraîchement acquise. Ainsi, il a trouvé une solution pour remédier au manque d’intérêt des clients pour certains prêts hypothécaires et à la baisse de moral des employés chargés de les vendre. Il a concocté un programme en vertu duquel les clients n’auraient aucun versement à effectuer durant les 90 premiers jours. Énorme succès ! Et l’image de novice que traînait Tom Smith a aussitôt disparu.

La création d’un terrain d’entente

La crédibilité ne suffit pas. Votre point de vue doit maintenant sembler très attrayant aux yeux des personnes que vous désirez séduire. Mettez-vous à leur place : auriez-vous envie de monter dans un avion dans lequel vous n’avez pas confiance (on entend un bruit bizarre, le pilote paraît fatigué, etc.) ? Ou pensez à l’argument que vous sortez quand vous voulez rapidement convaincre votre enfant de vous accompagner à l’épicerie : il y a des suçons près de la caisse…

Durant sa carrière, Monica Ruffo a été directrice du compte McDonald’s à l’agence de publicité montréalaise Cossette. Le client voulait lancer une campagne à l’échelle du Canada sur les nouveaux prix de ses trios, l’objectif étant de faire passer le message que ceux-ci n’étaient dorénavant pas plus chers que ceux de la concurrence. Le hic ? Les franchisés réalisaient malgré tout de très bonnes ventes et se préoccupaient davantage de la baisse de profits que risquait d’occasionner l’application des prix réduits.

Quelqu’un de moins expérimenté que Mme Ruffo aurait tenté d’expliquer le point de vue du siège social aux franchisés en reprenant son argumentation, pour les convaincre de sa pertinence. Elle a plutôt choisi de démontrer, chiffres à l’appui, que le changement de prix allait tourner en leur faveur. La nouvelle campagne, leur a-t-elle expliqué, leur permettrait même d’augmenter leurs profits. Pour appuyer ses dires, elle a fait référence, entre autres, à un projet pilote mené au Tennessee, qui a permis de découvrir que, quand les prix baissent, les consommateurs achètent davantage de frites et de boissons gazeuses. De surcroît, en s’appuyant sur un article d’un magazine d’affaires, elle a souligné que les ventes d’un magasin croissent de 1 % par tranche de 10 % d’augmentation de la satisfaction de la clientèle; or elle a affirmé avoir la certitude que les nouveaux prix allaient faire bondir les notes d’appréciation de 100 %, si bien que les ventes devraient augmenter de 10 %.

Monica Ruffo a conclu sa présentation avec une lettre rédigée par le fondateur de McDonald’s et adressée à toute l’organisation. Il s’agissait d’une lettre passionnée, qui martelait les valeurs du groupe et insistait sur l’importance, pour les franchisés, de contribuer à son succès. Elle rappelait aussi tout l’intérêt de se positionner comme le chef de file des bas prix. Tout cela, les franchisés le savaient déjà, mais le fait de l’entendre de nouveau les a touchés profondément. Et ils ont fait une ovation à Mme Ruffo.

Que nous apprend cet exemple ? Qu’il est vital d’indiquer quels seront les avantages concrets de votre projet pour les personnes concernées. C’est parfois très facile, quand il y a des avantages mutuels. Ça l’est parfois moins, par exemple quand vous ne devinez pas de prime abord où peuvent se rejoindre vos intérêts et les leurs.

Pour y voir plus clair à ce sujet, il est alors préférable de chercher à mieux comprendre votre auditoire. Avant même d’amorcer le processus de séduction, prenez le temps d’étudier les préoccupations des gens, en amassant des informations sur eux (conversations informelles, rencontres, etc.). Soyez à l’écoute, confrontez leurs idées sans les brusquer, testez auprès d’eux une partie de vos propres pensées, etc. Ce travail vous permettra d’affiner vos arguments, de trouver ceux qui feront mouche, voire de dénicher des documents ou des faits incontestables appuyant votre position.

L’importance des faits incontestables

Une fois qu’on a établi sa crédibilité et trouvé un terrain d’entente, l’art de la persuasion repose sur la présentation de preuves solides de ce qu’on avance. Les preuves ordinaires ne suffisent pas. Les dirigeants les plus convaincants utilisent, en effet, un mode d’expression particulier. Ainsi, ils accompagnent leurs chiffres d’exemples, de récits, de métaphores et d’analogies pour rendre leur point de vue plus vivant. Cela permet aux autres de visualiser leur propos, ce qui le rend donc plus attrayant.

Une spécialiste de la persuasion, Mary Kay Ash, fondatrice des produits cosmétiques Mary Kay, fait souvent appel à des analogies. En voici une démonstration, tirée d’un de ses discours au congrès annuel de l’entreprise.

« À l’époque de l’Empire romain, les légions avaient conquis tout le monde connu. Tout ? Non ! Une poignée d’irréductibles résistaient encore et toujours à l’envahisseur, les disciples d’un enfant de Bethléem. Comment s’y prenaient-ils ? Leur résilience s’expliquait surtout par leur habitude de se réunir en secret une fois par semaine, selon ce qu’ont découvert des historiens. Ils partageaient alors leurs difficultés et se serraient les coudes.

« Est-ce que ça vous rappelle quelque chose ? Ça ne vous fait pas penser à la façon dont nous nous tenons côte à côte, pour partager nos connaissances et parler de nos difficultés au cours de nos rencontres hebdomadaires ? J’ai souvent observé que, lorsqu’un directeur ou un employé vit un problème d’ordre personnel, le groupe se soude pour aider le membre en détresse. Quel merveilleux cercle d’amitié nous formons ! Peut-être est-ce là un des plus grands atouts de notre entreprise. »

Par cette analogie inspirante, Mary Kay Ash a associé le soutien collectif qui fait la force de l’organisation à une période de grand courage de l’histoire chrétienne. Ce faisant, elle a atteint plusieurs objectifs. En premier lieu, elle a valorisé le travail de chacun, la plupart des représentants étant des travailleurs indépendants qui doivent chaque jour relever le défi de la vente directe. Elle a offert de la sorte un soutien émotionnel déterminant à des personnes qui essuient des refus répétés, qui sans cela perdraient peu à peu confiance en elles et dans le groupe.

Ensuite, son analogie a laissé entendre que la solidarité envers et contre tous est la meilleure manière de résister à de puissants oppresseurs — dans le cas présent, la concurrence. Enfin, grâce à l’image choisie, Mary Kay Ash a inculqué aux représentants que la vente est une sorte de mission héroïque.

Vous n’avez probablement pas besoin d’évoquer la lutte des chrétiens pour appuyer votre position, mais le procédé peut vous être utile. Bien manier le langage permet de parvenir à ses fins.

La force des liens émotionnels

Dans le monde des affaires, nous aimons croire que nos collègues font appel à la raison pour prendre des décisions. Mais si on gratte un peu, on découvre toujours des considérations émotives. Les dirigeants persuasifs sont conscients de ce phénomène et savent en tirer parti…

Ainsi, ils ne cachent pas la dimension émotionnelle de leurs actes, sans pour autant en faire trop, car certains risqueraient de se mettre à douter du jugement du leader. Quand un projet les emballe, c’est parce qu’ils y croient d’instinct et de tout cœur, pas seulement par calcul.

De plus, ils perçoivent avec justesse l’émotion qui tenaille les autres et savent adapter leur discours en conséquence. Cela implique parfois d’intervenir avec vigueur, à l’aide d’arguments-chocs. D’autres fois, il suffira d’un chuchotement pour faire passer ses idées. La leçon à retenir, c’est que, quelle que soit la position défendue, il faut adapter la teneur émotionnelle de son message à la réceptivité de l’auditoire.

Les leaders persuasifs semblent avoir une sorte de sixième sens pour prédire la réaction des autres. Leur secret consiste, en réalité, à savoir bien s’entourer de personnes capables d’avoir une bonne idée de l’état d’esprit et des attentes des employés. En parlant très souvent avec ces personnes clés, ces dirigeants peuvent percevoir à leur tour comment les autres réagiront à telle ou telle proposition, comme s’ils testaient différents scénarios sur des cobayes. Ce truc leur permet de trouver le ton juste ou des arguments convaincants.

Le président d’un constructeur aéronautique était convaincu que les coûts de production et la rapidité d’exécution des contrats de son entreprise étaient nettement inférieurs à ceux de la plupart de ses concurrents, et donc qu’il risquait sous peu de perdre des clients et de voir fondre ses revenus. Il a alors décidé de transmettre ses craintes et son urgent désir d’apporter des changements aux cadres supérieurs.

Un après-midi, il les a convoqués à la salle du conseil. Sur un écran était projetée l’image d’un homme souriant, aux commandes d’un vieil appareil bimoteur, foulard au vent; mais la portion de droite de l’image était, elle, cachée. Quand tout le monde s’est assis, le président a expliqué qu’il se sentait comme ce pilote, ravi par les bons résultats obtenus jusqu’à présent. Mais quand la partie dissimulée de l’image est apparue, les visages se sont crispés : le pilote fonçait droit sur un mur. « Voilà ce qui est en train de nous arriver », a lâché le président.

Puis il a enchaîné avec ses propositions, les mesures radicales qui s’imposaient pour éviter la catastrophe, à son avis. La réaction du groupe a été immédiate… et très négative ! Tout de suite après la réunion, des cadres se sont réunis en petits comités dans les corridors pour dénoncer à demi-mot la « tactique d’intimidation » du président. Son point de vue était excessif. Ils avaient fait d’énormes efforts au dernier trimestre pour battre tous les records, et il ne l’avait même pas mentionné. Et ainsi de suite. En fait, ils s’attendaient à recevoir des fleurs, et on leur avait lancé le pot. Quelles erreurs ce président a-t-il commises ? Pour commencer, il aurait dû consulter auparavant quelques membres de son équipe de direction pour évaluer l’état émotionnel des cadres supérieurs. Il aurait alors compris que l’équipe avait plutôt besoin de félicitations et de reconnaissance. Ensuite, plutôt que de blâmer l’équipe de ne pas avoir anticipé l’avenir, il aurait dû décrire calmement sa vision des menaces qu’il percevait pour l’entreprise, tout en demandant à ses cadres de l’aider à concevoir de nouveaux projets.

Aucun effort de persuasion ne réussira sans émotion, mais afficher une trop grande émotivité peut s’avérer aussi désastreux que de rester stoïque. Le point important à retenir, dans ce cas, c’est d’assortir l’intensité de ses émotions à celle de l’auditoire.

En résumé, la persuasion est semblable au pouvoir: elle peut faire le plus grand bien à une organisation. Elle permet de souder une équipe, de faire progresser des idées, d’inciter au changement, de lancer des projets audacieux, etc. Mais, pour cela, il faut impérativement avoir le cran d’en user, et surtout ne pas la prendre pour ce qu’elle n’est pas : persuader, ce n’est pas une arme pour convaincre et vendre. Non, persuader, c’est séduire, et donc apprendre et négocier.

Quatre façons d’échouer

Dans le cadre de mon travail auprès de dirigeants d’entreprise en tant que chercheur et consultant, j’ai eu l’occasion de voir des cadres échouer lamentablement dans leurs efforts de persuasion. Voici les quatre principales erreurs que j’ai pu observer.

1. Adopter une approche directe et brutale. J’appelle ça l’approche John Wayne : les dirigeants énoncent leur position d’entrée de jeu, puis grâce à un processus d’acharnement, de logique et d’exubérance, ils s’efforcent de faire passer leur opinion. En réalité, se positionner fermement dès le début de la démarche de persuasion donne aux opposants potentiels des éléments à combattre et des munitions pour le faire. Il est nettement préférable de présenter son point de vue avec finesse et retenue. En d’autres mots, les leaders persuasifs n’amorcent pas le processus en offrant à leurs collègues une cible claire sur laquelle ils fonceront férocement.

2. Résister aux compromis. Trop de dirigeants voient les compromis comme une façon de baisser les bras, alors qu’il s’agit d’une stratégie essentielle à la réussite d’une démarche de persuasion constructive. Avant d’adhérer à une proposition, les autres veulent s’assurer que celui qui tente de les persuader montrera assez de souplesse pour réagir à leurs préoccupations. Les compromis conduisent d’ailleurs souvent à de meilleures solutions, parce que durables grâce au consensus établi. En refusant d’accepter les compromis, les dirigeants envoient inconsciemment le message que leur démarche de persuasion est à sens unique. Or, la persuasion est un processus dans lequel on prend et on donne. Kathleen Reardon, professeure de comportement organisationnel à la University of Southern California, note ainsi qu’un leader modifie rarement le comportement ou le point de vue d’une autre personne sans transformer en cours de route sa propre opinion. Pour réussir à persuader de manière signifiante, il ne suffit pas d’écouter l’autre, il faut aussi intégrer ses idées aux nôtres.

3. Ne compter que sur ses arguments. Bien sûr, la qualité des arguments joue un rôle certain quand il s’agit de persuader. Mais les arguments en soi ne sont qu’une partie de l’équation. D’autres facteurs ont tout autant d’importance, comme la crédibilité du leader et sa capacité à trouver des bénéfices concrets pour chaque personne impliquée. La capacité de se mettre au diapason de l’état émotionnel d’un groupe et l’aptitude à communiquer de manière vivante donnent aussi beaucoup de poids aux arguments.

4. Brûler les étapes. Comme toute opération de séduction, la persuasion est un processus, et non un événement. Rarement parviendra-t-on à trouver du premier coup une solution acceptée par tous, sinon jamais. En fait, l’art de la persuasion nécessite d’écouter les autres, de tester sa position avant de la dévoiler, de transformer son idée de départ en tenant compte des commentaires des autres, etc. Ça ressemble à un processus lent et fastidieux ? Ça l’est ! Mais les résultats en valent vraiment la peine…

Jay A. Conger est professeur de psychologie et titulaire de la chaire de recherche Henry-Kravis sur le leadership au Claremont McKenna College de Californie. Il est l’auteur de Winning ‘Em Over: A New Model for Managing in the Age of Persuasion (Simon&Schuster, 1998), et l’éditeur de Boardroom Realities (Jossey-Bass, 2009).

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