Entrevue n°279 : Sydney Finkelstein, directeur, Center for Leadership, Tuck School of Business


Édition du 05 Mars 2016

Entrevue n°279 : Sydney Finkelstein, directeur, Center for Leadership, Tuck School of Business


Édition du 05 Mars 2016

Par Diane Bérard

«Il y a trois types de super-patrons : l'enveloppant, l'iconoclaste et le bâtard glorieux» - Sydney Finkelstein, directeur, Center for Leadership, Tuck School of Business.

Sydney Finkelstein dirige le Center for Leadership de la Tuck School of Business du Darmouth College, au New Hampshire. Il vient de publier Superbosses: How Exceptional Leaders Master the Flow of Talent. L'ouvrage se hisse déjà au haut du palmarès. Il sera conférencier le 8 mars prochain à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia.

Diane Bérard - Qu'est-ce qu'un super-patron ?

Sydney Finkelstein - C'est un leader qui aide les autres à atteindre un niveau auquel ils ne croyaient pas possible de parvenir.

D.B. - Quels sont les trois types de super-patrons ?

S.F. - Il y a les enveloppants, les iconoclastes créatifs et les bâtards glorieux. Les premiers se rapprochent de notre image du mentor. Mais ils s'impliquent beaucoup plus. Les enveloppants valorisent l'idée d'aider les autres. Ils ont plaisir à les prendre sous leur aile. L'ex-entraîneur vedette des 49ers de San Francisco, Bill Walsh, surnommé «Le Génie», appartient à ce groupe, de même que le restaurateur Norman Brinker, à qui l'on doit l'invention du comptoir à salades. Les iconoclastes créatifs agissent de façon organique. Ils sont moins structurés que les enveloppants. C'est leur créativité et non leur nature généreuse qui nous incite à rechercher leur compagnie. Ce groupe compte des gens comme le musicien Miles Davis et le réalisateur George Lucas. Les bâtards glorieux ne se soucient que d'une chose : gagner ! Mais ils savent que, pour y arriver, ils doivent s'entourer de gens talentueux. Ils sont compétitifs, mais honnêtes. Ils ne se servent pas des autres et ne volent jamais leurs idées. C'est pourquoi il y a le qualificatif «glorieux» devant bâtard. Larry Ellison, le fondateur d'Oracle, appartient à ce groupe. BusinessWeek l'a nommé l'un des individus les plus compétitifs de la planète. On dit que ses ex-protégés gèrent aujourd'hui la moitié de Silicon Valley.

D.B. - Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux super-patrons ?

S.F. - J'ai d'abord écrit un livre intitulé Pourquoi les cadres intelligents échouent. Il m'a valu de nombreux courriels de cadres angoissés cherchant à éviter de faire l'objet de mon prochain livre. Je leur répondais invariablement que le succès d'un patron repose sur sa capacité à nourrir et à renouveler le bassin de talent de son équipe. Ce qui m'a mené à la question suivante : quelles sont les caractéristiques des gestionnaires qui attirent les meilleurs et qui en tirent le meilleur ? C'est ainsi que j'ai découvert l'existence des super-patrons.

D.B. - Tous les super-patrons présentés dans votre livre sont des vedettes. Est-ce un préalable ?

S.F. - Pas du tout, on trouve plusieurs super-patrons parmi les gestionnaires intermédiaires. Mon livre présente des patrons vedettes parce qu'ils sont plus faciles à repérer. Mais dès la sortie de mon livre, il y a trois semaines, j'ai reçu de nombreux courriels de personnes qui m'ont parlé de leur super-patron.

D.B. - Les super-patrons ont une façon bien particulière de recruter du personnel. Expliquez-nous.

S.F. - Ils se montrent plus ouverts d'esprit que la moyenne. Au lieu de débuter par une description de poste, ils commencent par un individu. Prenez le designer Ralph Lauren. Alors qu'il dîne avec sa famille dans un restaurant new-yorkais, il remarque une femme au style très particulier à la table voisine. Elle ne respecte aucune des tendances du moment. Elle a développé son propre look. Le designer lui laisse sa carte en disant : «Venez à mon bureau demain, j'aimerais que vous travailliez pour moi».

D.B. - Les super-patrons sont à l'origine d'un grand nombre d'innovations. Quel est leur secret ?

S.F. - D'abord, ils ne divisent pas leur équipe en deux : ceux qui pensent et ceux qui implantent. Tout le monde, quel que soit son poste, doit penser. Ensuite, ces gestionnaires donnent beaucoup de liberté d'innover à leurs employés, mais ils leur fournissent un cadre précis à l'intérieur duquel travailler. De cette façon, les innovations sont toujours pertinentes.

D.B. - Quelle est la différence entre un bon patron et un super-patron ?

S.F. - Le bon patron présente plusieurs des caractéristiques personnelles du super-patron. Et il adopte plusieurs de ses comportements. Mais le bon patron ne possède ni la rigueur ni l'intensité du super-patron. Par exemple, le bon patron est obsédé par la rétention de talent. Il adopte une attitude défensive. Le super-patron se soucie plutôt de recruter un maximum de gens talentueux, car il sait que plusieurs partiront. Le super-patron gère le pipeline de talents plutôt que d'angoisser à propos de la rétention. Et il le fait si bien que son pipeline sert souvent à alimenter toute une industrie. Les protégés d'un seul super-patron peuvent profiter à plusieurs entreprises.

D.B. - Un bon patron peut-il devenir un super-patron ?

S.F. - Oui, mais il doit être disposé à y consacrer des efforts. Je suggère de débuter par la façon dont vous agissez avec vos employés. Personnalisez vos relations. Si vous gérez tout le monde de la même manière, vous passez à côté de ce qui motive chacun d'entre eux. Vous pouvez aussi revenir à l'essentiel : pourquoi votre entreprise existe-t-elle ? Plusieurs organisations ont perdu de vue la réponse à cette question. Elles s'agitent trop dans l'action.

D.B. - Vous dites que les super-patrons présentent deux comportements en apparence contradictoires. Lesquels ?

S.F. - Ils savent à la fois déléguer et faire du terrain. Généralement, un gestionnaire délègue ou se mêle des affaires de ses employés. Le super-patron combine adroitement les deux. Il sent à quel moment ficher la paix à son équipe et quand s'attarder au bureau des employés pour les soutenir.

D.B. - Travailler pour un super-patron est-il toujours agréable ?

S.F. - Non. Il n'y a rien de mal à avoir un patron exigeant, si vous avez le coffre pour l'encaisser. Et, surtout, si vous avez envie de vous dépasser. Ce qui n'est pas le cas de tout le monde.

D.B. - On dit que les super-patrons ont le don de motiver les gens. Que font-ils de particulier ?

S.F. - En fait, c'est plutôt simple, mais peu de gens y arrivent. Les super-patrons ont une vision et ils la partagent avec leurs employés. Ce qui donne envie de les suivre, tout simplement.

D.B. - Les super-patrons travaillent-ils pour des super-entreprises ou les entreprises deviennent-elles ainsi grâce à eux ?

S.F. - Un peu des deux. Leur présence rend leur employeur plus attrayant. Mais ces super-patrons ont choisi leur employeur parce qu'il avait du potentiel ou quelque chose de spécial.

D.B. - Quels types d'employés recherchent les super-patrons ?

S.F. - Des gens ambitieux qui ont soif d'apprendre. Mais aussi des gens qui ne se laissent pas marcher dessus. Le super-patron veut qu'on le remette en question, qu'on lui propose de nouvelles idées, de nouvelles façons de faire.

D.B. - Y a-t-il des côtés négatifs à un super-patron ?

S.F. - Tout est question d'arrimage. S'il n'a pas les bons employés dans son équipe, la vie peut se révéler très difficile pour tout le monde.

D.B. - Qu'arrive-t-il lorsque vous ne répondez pas aux attentes d'un super-patron ?

S.F. - Il cessera de vous pousser. Il investira son énergie ailleurs. Ultimement, il se désintéressera de vous et probablement vous laissera tomber. Il faudra donc vous inquiéter le jour où il ne vous talonnera plus.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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