Gérer la diversité

Publié le 23/10/2008 à 17:57

Gérer la diversité

Publié le 23/10/2008 à 17:57

Par lesaffaires.com
À force d'entendre parler d'accommodements raisonnables, la gestion d'une équipe multiethnique peut finir par ressembler à un champ de mines. Qu'en est-il vraiment ?

Serge Dumoulin est loin d'être un patron tyrannique. Pourtant, bien malgré lui, cet homme aimable et souriant, président de Dunin Technologie, a imposé un rythme de travail inhumain à un nouvel employé d'origine algérienne. L'histoire est presque banale. Un jour, le dirigeant de cette entreprise de conception de systèmes intégrés de gestion de Sherbrooke confie un mandat à sa recrue. Après un certain temps, il constate que le pauvre homme travaille jour et nuit. Incompétence ? Non. "J'avais mal évalué la charge de travail, admet-il. Un employé québécois n'aurait pas hésité à me dire que l'échéancier était irréaliste. Ici, on peut contester l'autorité. Pas en Algérie..."

Cette expérience l'a amené à comprendre que le principal défi de la gestion d'une équipe multiethnique n'est pas l'arbitrage d'hypothétiques conflits raciaux ou l'accommodement de demandes de nature religieuse, mais plutôt la nécessité d'aider les nouveaux arrivants à comprendre et à s'adapter à la culture du travail nord-américaine. "Je mets cartes sur table, dit Serge Dumoulin, dont le tiers des 22 employés vient d'ailleurs. Je leur répète que si je me trompe, ils doivent me le dire. Et je suis plus attentif à eux pendant les premières semaines."

"Quand on embauche des immigrants, il faut être davantage à l'écoute pour leur assurer un bon départ, acquiesce François Faucher, conseiller chez Actions Interculturelles de développement et d'éducation, un organisme de Sherbrooke qui offre des séances de formation et de soutien en gestion de la diversité. Mais on ne le regrette pas, car les immigrants sont généralement de bons travailleurs."

Les différences culturelles sont aussi la source de malentendus. Par exemple, les employés qui ne prennent jamais d'initiatives. "Les gestionnaires les évaluent négativement, dit Amina Benrhazi, de la firme de consultation et de formation en diversité culturelle ABC Intercultures. Dans plusieurs pays, la prise d'initiative n'est pas valorisée !"

Robert Vyncke, président du Groupe conseil Continuum, une autre firme spécialisée en gestion de la diversité, recommande d'améliorer l'intelligence interculturelle des gestionnaires par la formation et le coaching. "Ils apprendront à décoder le non-verbal, à adapter leur mode de communication, à prendre conscience de leurs propres filtres culturels, etc."

La gestion de la diversité prend un bien mauvais départ quand les entreprises, et elles sont nombreuses, n'ont pas un programme d'accueil et d'intégration des nouveaux employés digne de ce nom. "On escamote souvent cette étape, lance Amina Benrhazi. Pourtant, cela fait une grande différence dans le succès de l'embauche. Parfois, des employés démissionnent parce qu'ils n'ont pas saisi les codes culturels et que personne ne s'est donné la peine de les leur expliquer."

Canlyte, un fabricant de luminaires, a adopté une bonne pratique : le parrainage. Ainsi, chaque recrue, qu'elle soit "pure laine" ou d'origine étrangère, est jumelée à un employé d'expérience pendant une semaine. "Si cette personne parle espagnol, nous essaierons de lui trouver un parrain hispanophone afin de briser la glace", dit Kathy Strasser, coordonnatrice aux ressources humaines. Mais pas question par la suite de former des équipes de travailleurs de la même origine ! Les équipes de Canlyte sont multiculturelles. "Les gens de culture différente ne perçoivent pas les choses de la même façon, observe la gestionnaire. Cela peut nous fournir des pistes de solutions nouvelles. C'est un avantage pour l'entreprise." Sur ce plan, Canlyte est particulièrement choyée, car à l'usine de Lachine, sur 240 employés, 60 viennent de 30 pays différents !

L'esprit d'équipe

Et les préjugés, les tensions raciales ? "C'est très rare, mais récemment, nous avons assisté à un conflit de nature raciale entre deux personnes d'origine ethnique différente, relate Kathy Strasser. Leurs contremaîtres respectifs sont intervenus rapidement pour éviter que la situation ne s'envenime." Ils ont rencontré les deux hommes séparément, puis ensemble. Ils se sont parlé et se sont excusés. Aujourd'hui, ils travaillent dans la même équipe.

Robert Vyncke applaudit. "La pire chose à faire, c'est de se mettre la tête dans le sable. Quand un conflit survient, on doit déterminer la cause des malaises qui entraînent ce comportement. Il faut calmer les inquiétudes, tenter de dissiper les préjugés et rappeler aux employés les valeurs de l'entreprise." Les gestionnaires jouent un rôle crucial quand il faut désamorcer les tensions, mais surtout quand il s'agit de renforcer sans cesse la culture de l'entreprise.

Pour Kathy Strasser, il est essentiel de favoriser les interactions entre employés. D'où la création d'équipes de travail multiculturelles, le barbecue l'été, les repas communautaires à l'Halloween, à la Saint-Valentin, etc. Canlyte a également conçu un programme de suggestions d'innovations et d'améliorations. Ce qui est particulier, c'est que les employés qui soumettent une idée sont invités à la réaliser avec l'aide de leurs collègues. Les participants reçoivent des coupons échangeables contre de la marchandise. "Quand les employés oeuvrent à l'atteinte d'objectifs communs, les préjugés tombent", renchérit Serge Dumoulin, qui a déjà placé un employé juif à la tête d'une équipe de trois Arabes.

Accommoder sans rififi

Selon François Faucher, certains employeurs hésitent à embaucher des personnes immigrantes à cause des accommodements raisonnables. "Ils ont peur qu'on leur demande des locaux pour la prière, mais ces demandes sont très rares."

Par exemple, malgré sa forte proportion d'employés d'origine étrangère, Canlyte n'a jamais reçu de demande qui soit liée à la religion, mais plusieurs requêtes pour des raisons de santé. Rappelons en effet que la notion d'accommodement raisonnable s'applique tout autant au sexe d'une personne, à son orientation sexuelle, à son âge et à ses capacités physiques qu'à sa race. Quel que soit le motif de la requête, l'entreprise ne la refuse jamais systématiquement. "Nous regardons toujours ce que nous pouvons faire", assure Kathy Strasser.

Les employés musulmans de Dunin ont droit à un congé payé à la fin du Ramadan. Est-ce injuste pour les autres ? Non. Ils puisent dans la banque de trois congés mobiles offerts à tout le personnel. "Au lieu de gérer des exceptions, nous accordons à tous des congés qu'ils peuvent prendre à leur guise", souligne Serge Dumoulin. Ainsi, Rami peut célébrer le Ramadan et Sonia peut s'occuper de son enfant enrhumé sans avoir à justifier leur demande auprès de leur employeur.

Chez Dunin toujours, certains employés prient sur leur lieu de travail pendant l'heure du repas. Et cela ne provoque pas de tollé. "Pourquoi permettre à des employés de fumer et interdire à d'autres de prier ? demande Serge Dumoulin. Chacun est libre de faire ce qu'il veut pendant les pauses."

Mais attention : quand on accorde ce genre de privilèges, il importe d'en préciser les conditions. Par exemple, avant de laisser certains employés prier dans la salle de conférences, on s'assure que personne n'en a besoin pour le travail. Et on veille à ce que les employés comprennent les limites de ces privilèges et qu'ils donnent leur accord.

Chose certaine, les entreprises qui ont l'habitude d'être souples face aux besoins de leurs employés tirent mieux leur épingle du jeu en matière de gestion de la diversité. "Si vous refusez toujours, vous provoquerez la grogne et un sentiment d'injustice le jour où vous accepterez une demande de nature religieuse, dit Robert Vyncke. Au contraire, si vous faites généralement preuve d'ouverture, cela ne sera pas perçu comme un traitement de faveur."


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