Courage, fuyons!

Publié le 02/09/2010 à 13:13, mis à jour le 02/09/2010 à 13:14

Courage, fuyons!

Publié le 02/09/2010 à 13:13, mis à jour le 02/09/2010 à 13:14

Par Premium

Quand un concurrent innove, deux réactions sont possibles: assimiler cette trouvaille ou la combattre. Il existe toutefois une troisième solution, souvent plus efficace…

Un de vos concurrents directs fait trembler le marché en lançant une nouveauté. Aussitôt, vous vous sentez menacé. Comment allez-vous réagir? Nombre d’entrepreneurs tenteront de comprendre cette innovation et de s’adapter en conséquence. D’autres refuseront de changer et entreprendront de la combattre avec ardeur. À titre d’exemple, les fabricants de machines à écrire électroniques ont réagi à l’émergence des logiciels de traitement de texte en concevant des appareils grand public qui faisaient des merveilles, avec des fonctions comme la vérification de l’orthographe, l’effacement de lignes entières et des choix de polices de caractères. Les entreprises de photographie sur pellicules chimiques se sont adaptées à l’arrivée des appareils photo numériques en développant l’Advanced Photo System (APS), qui améliorait la qualité de l’impression tout en offrant de nouvelles options, comme l’impression d’index et d’images en plusieurs formats, le tout grâce à un nouveau dispositif sous forme de cartouche.

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Mais voilà, de telles stratégies ne font que retarder l’inévitable. Au bout du compte, la technologie supérieure finira toujours par l’emporter, quels que soient les efforts investis. En réalité, rares sont les personnes qui utilisent encore une machine à écrire ou de la pellicule photo. Cela étant, il existe une solution de rechange méconnue que l’on peut adopter quand survient une innovation radicale : le repli stratégique vers un créneau plus pointu, où l’ancienne technologie demeure pertinente. Ainsi, Linjett connaît encore beaucoup de succès avec ses bateaux de plaisance, malgré la domination des embarcations équipées de moteurs marins. De son côté, Continental fait toujours de bonnes affaires avec ses moteurs à pistons pour avions privés, malgré la suprématie des moteurs à jet dans l’aviation commerciale. Quant à Storage-Tek, elle s’est découvert un créneau rentable pour sa technologie des lecteurs à ruban magnétique – l’archivage de données à grande échelle –, ce qui lui permet de rivaliser avec celle des lecteurs de disques, qui occupe la majeure partie du marché du stockage de données informatiques.

Il s’agit bel et bien d’un repli, puisque ces sociétés ont cédé la plus grande partie du marché qu’elles détenaient pour s’installer dans un créneau moins vulnérable, mais malgré tout rentable. Et cette opération est éminemment stratégique, car l’objectif est de poursuivre ses activités autrement, en redéployant ses forces de manière parfois spectaculaire.

Le repli stratégique devrait toujours être considéré comme une possibilité, tout comme les options stratégiques plus conventionnelles. Il peut aider les gestionnaires à éviter de faire un pari trop audacieux, comme celui de vaincre la nouvelle technologie ou de parvenir à migrer vers celle-ci.

Malheureusement, discuter ouvertement de repli n’est pas chose facile ou naturelle pour les gestionnaires, en bonne partie parce que cela va à l’encontre de notre perception de ce qu’est un leader, qui triomphe de ses concurrents et guide son entreprise vers la croissance. Pourtant, le repli est toujours un choix pertinent – même s’il n’est pas forcément le meilleur – qu’il convient de considérer avec attention.

Se réfugier dans un créneau durable

Si vous envisagez un repli stratégique, demandez-vous ceci: «Quels besoins restent sans réponse? Qu’est-ce que l’innovation de mon concurrent m’apprend sur moi-même?»

Prenons l’exemple des montres. Avant 1969, une montre n’était qu’une montre. Il y en avait des très chères, d’autres bon marché, des manuelles et des automatiques, des montres à remontoir ou avec calendrier, ainsi que plusieurs autres catégories. Toutes trouvaient preneurs. Toutes fonctionnaient à l’aide de systèmes à mouvement mécanique, et l’une des principales mesures de leur qualité était leur précision. En 1969, les montres au quartz ont fait leur apparition. Elles amélioraient considérablement la précision et ce, à bien moindre coût. En moins d’une décennie, le quartz est devenu la technologie dominante dans le domaine des montres. Les fabricants de montres à système mécanique ont alors été confrontés à deux choix évidents, mais tout aussi déplaisants : risquer une migration très incertaine pour produire à leur tour des montres au quartz (malgré leur ignorance de cette technologie) ou redoubler d’ardeur pour réduire leurs prix et améliorer le rendement de leurs montres à système mécanique. Sur le plan du rendement, ils auraient ainsi réduit l’écart entre celles-ci et les montres au quartz, sans toutefois le combler entièrement.

Des entreprises plus éclairées ont toutefois opté pour une troisième solution : elles ont compris que, pour la première fois, la progression fulgurante des montres au quartz offrait aux consommateurs le choix entre une montre à système mécanique et un autre type de montre. Autrement dit, l’arrivée de montres non mécaniques a rendu certains consommateurs conscients de leur préférence pour les mécanismes à l’ancienne. Ces fabricants ont alors réinventé leurs produits en visant ce segment bien précis. Résultat? Plutôt que de se conformer à la norme habituelle de l’industrie, qui consistait à cacher le mécanisme de la montre dans un boîtier opaque, ils ont entrepris de concevoir des boîtiers transparents qui permettaient de voir les engrenages mécaniques de plus en plus complexes, mais visuellement très attrayants.

Évidemment, le créneau des consommateurs entichés des propriétés mécaniques de leur montre ne représente qu’une faible proportion du marché global des montres, mais ces consommateurs sont prêts à payer plus cher. Et, plus important encore, ce créneau est complètement à l’abri de toute attaque éventuelle des fabricants de montres au quartz.

La même dynamique assure la survie d’autres vieilles technologies, dont plusieurs ne tiennent plus le haut du pavé dans leurs marchés respectifs. Ainsi, les imprimantes matricielles à points conviennent mieux que les imprimantes au laser à multiples applications industrielles, parce qu’elles sont moins sensibles à la poussière, aux vibrations et aux variations de température. De plus, elles traitent mieux les formulaires épais qui comptent plusieurs pages. Dans le même esprit, les réseaux de pagettes connaissent encore un certain succès dans le marché des soins de santé et des services d’urgence, notamment parce que leurs transmissions n’interfèrent pas avec l’équipement médical, contrairement aux cellulaires. Dans tous ces cas, des entreprises utilisant la vieille technologie ont trouvé le moyen d’exploiter à leur avantage les différences entre celle-ci et les nouvelles technologies, plutôt que d’essayer de combattre le progrès.

Il existe plusieurs types de manœuvres de repli, que ce soit dans les créneaux supérieurs ou inférieurs du marché, dans le moyen de gamme ou dans une combinaison de tout cela. Par contre, il n’existe aucune formule toute simple pour déterminer ce qui fonctionnera le mieux. Les gestionnaires doivent trouver tous les ports d’attache potentiels, évaluer la taille de chacune des options et prévoir quelles ressources seront nécessaires pour s’y consacrer. Ils doivent aussi s’assurer que le créneau choisi suffira à amener l’entreprise à un niveau acceptable. Par contre, s’il s’avère qu’il n’existe aucune possibilité de repli ou si les créneaux visés sont trop petits pour permettre à l’entreprise de subsister adéquatement, on peut alors envisager une autre possibilité : l’exploration d’un nouveau marché.

Se repositionner dans un nouveau marché

Cette approche exige que l’on utilise la bonne vieille technologie pour résoudre un nouvel ensemble de problèmes qu’éprouvent les clients. Cela signifie, bien sûr, qu’il faut chercher de nouvelles occasions d’affaires et abandonner ses anciennes positions.

Or, si de telles solutions existent et qu’elles sont profitables, pourquoi l’entreprise ne les a-t-elle pas exploitées auparavant? La réponse est fort simple: la nouvelle technologie change radicalement la stratégie de développement des affaires de l’ancienne technologie. Pendant une période normale de diversification de ses activités, une entreprise X accordera la priorité à la croissance. Cependant, si la même entreprise choisit de se repositionner dans un nouveau marché, sa priorité, c’est la survie! C’est pourquoi les occasions d’affaires qui sortent du cadre traditionnel – et qui pouvaient ne pas sembler très attrayantes à une autre époque – deviennent parfois beaucoup plus intéressantes à mesure que le marché conventionnel s’effrite au profit de la nouvelle technologie. Et c’est particulièrement vrai si l’on peut y dénicher un créneau plus facile à défendre.

À titre d’exemple, les calculatrices programmables, autrefois utilisées pour effectuer des opérations complexes, ont été largement remplacées par des ordinateurs dans le secteur des affaires et de la science. Pourtant, elles se démarquent maintenant dans le milieu de l’éducation, où leur faible prix et leur petit format en font des outils parfaits pour l’enseignement de concepts graphiques. De la même façon, des réseaux locaux de pagettes sont maintenant largement utilisés par des restaurants pour appeler des clients à leur table.

Le cas exemplaire d’Ultratech

Pour bien comprendre comment exploiter en parallèle des stratégies comme le repositionnement et le repli, examinons le cas d’Ultratech. Ce fabricant prospère de matrices lithographiques 1x pour semi-conducteurs, qui servent à transférer le design des circuits imprimés sur une plaquette de silicium, a été racheté par ses cadres. L’entreprise a alors manqué de liquidités quand elle a dû imiter ses concurrents et investir dans la nouvelle génération de matrices 5x qui, grâce à des technologies optiques complexes, réduisaient la taille de l’image par un facteur de cinq, améliorant d’autant la résolution à l’impression. Consciente que la demande pour la technologie 5x surpasserait rapidement celle du 1x dans le principal marché de l’entreprise, la direction d’Ultratech a pris une décision audacieuse: ne pouvant se permettre de réinventer sa technologie pour rester concurrentielle dans le marché existant, elle allait se servir de l‘existante pour se replier dans une position plus sûre.

Ainsi, Ultratech a entrepris de viser le créneau bas de gamme du marché des plaquettes de semi-conducteurs pour répondre aux besoins des clients qui n’avaient pas vraiment besoin de la précision offerte par les matrices 5x. Le défi s’est toutefois révélé plus ardu que prévu. Il impliquait, entre autres, de changer les habitudes d’achat des clients, et donc d’accroître les efforts en matière de ventes et de marketing.En parallèle à ce repli stratégique, Ultratech a cherché de nouvelles occasions d’affaires à l’extérieur de son marché traditionnel. L’idée: trouver des applications nécessitant une impression en haute résolution, mais pas aussi précise ni aussi chère que celle de la technologie 5x.

Ultratech a donc choisi de ne pas se lancer dans une course technologique qu’elle ne pouvait gagner. À la place, elle s’est repliée sur de nouveaux marchés, pour consolider ses assises sur le plan financier, avant d’utiliser ses ressources pour innover dans un domaine encore plus prometteur – l’équipement de recuisson des pointes au laser utilisé dans la fabrication des semi-conducteurs – sans concurrencer les procédés lithographiques. L’entreprise est ainsi devenue la pionnière de cette nouvelle technologie et le leader de son marché.

L’art du repli stratégique

À l’évidence, effectuer un repli stratégique est loin d’être chose facile. Les défis sont multiples: on doit motiver le personnel et l’amener à changer ses habitudes de travail, combler le manque de compétences techniques, renforcer les ventes et le marketing, etc. À ce sujet, cinq conseils payants:

1. Harmonisez la mission de votre organisation, votre structure de coûts et votre personnel. Les replis exigent souvent que l’on fasse des choix douloureux, car il est nécessaire d’harmoniser la taille de l’entreprise et la structure de coûts avec les possibilités réduites offertes par le nouveau créneau visé. Le service de recherche et développement (R-D), par exemple, doit cesser d’explorer les frontières technologiques de l’industrie et se consacrer plutôt à raffiner la technologie existante, pour qu’elle réponde aux besoins d’une panoplie de nouveaux utilisateurs. Cela peut se traduire par d’importants changements sur le plan des ressources humaines.

2. Soyez prêt à affronter des bouleversements dans votre écosystème. L’émergence d’une innovation radicale force inévitablement les membres de l’écosystème en question à réévaluer leur rôle et leurs relations. Et l’adaptation à cette nouvelle donne peut se révéler périlleuse. Par exemple, pendant un certain temps, des fabricants d’équipement audio haut de gamme ont craint le pire pour eux, quand leurs fournisseurs de tubes électroniques sont subitement passés à une technologie plus avancée et ont cessé de les approvisionner avec les anciens produits.

3. Évaluez les risques associés à une stratégie mixte (ancienne et nouvelle technologie). À première vue, il peut sembler avantageux de jumeler les deux démarches et de s’adapter tranquillement à la nouvelle technologie tout en poursuivant sa production habituelle. Mais, en réalité, il est très difficile de mener les deux de front : par exemple, amener les deux équipes (celle qui travaille à intégrer la nouvelle technologie et celle qui cherche à prolonger l’existence de l’ancienne) à partager leurs ressources et leurs capacités est plus facile à dire qu’à faire, surtout si elles se font concurrence auprès de la clientèle. La direction devra donc établir des règles extrêmement précises, notamment en ce qui concerne les segments de marché que continuera de viser l’ancienne technologie, afin de diminuer les risques et le nombre de conflits internes et d’optimiser le rendement des deux groupes.

4. N’oubliez pas la concurrence. Selon toute vraisemblance, un marché plus réduit ne pourra faire vivre qu’un petit nombre de rivaux. Il peut donc être vital de devancer la concurrence en s’installant le premier dans un créneau donné.

5. Ne sous-estimez pas le défi qui consiste à vendre l’idée d’un repli stratégique. Depuis belle lurette, les militaires considèrent le repli stratégique comme une solution légitime et responsable. En affaires, ce n’est pas le cas… Céder ses parts de marché sans lutter férocement va à l’encontre de l’attitude dynamique qu’on attend d’un leader. Cependant, quand le secteur tout entier a subi de lourdes pertes, il est relativement facile d’expliquer à votre organisation, y compris au conseil d’administration, pourquoi un repli stratégique s’impose, mais il en va tout autrement si on essaie de vendre ce projet avant d’avoir livré bataille!

Le mieux est alors de présenter le repli comme une preuve d’audace. L’idée, c’est de bouger avant de subir une défaite catastrophique, car perdre une bataille, ce n’est pas grave, surtout si l’objectif visé est de remporter la guerre.

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