Après sept années passées au sein d'une agence de publicité de Blainville, Charles Daoud se sentait à l'étroit. «Quand tu te rends compte qu'il y a autour de toi trop de barrières, tu découvres que ton cerveau en est devenu constipé, et ta créativité aussi, m'a confié l'ex-directeur de création. Alors, tu as besoin d'air frais.»

Un soir de l'hiver 2012, il est rentré chez lui avec une idée. Une drôle d'idée : s'amuser à inventer une toute nouvelle police de caractères. Il s'est attelé à la tâche avec le plus grand sérieux, d'autant plus qu'il connaissait peu la typographie. «Je ne maîtrisais même pas le logiciel FontLab Studio, qui est pourtant la base», a-t-il avoué. Il y a passé ses soirées et la majeure partie de ses fins de semaine.

«Je voulais créer quelque chose de simple. Une police à la fois condensée et géométrique, faite de lignes droites et de courbes parfaites. Une police élégante.» Résultat ? «J'ai mis au monde la police Dense, qui tire son nom du fait qu'elle est hyper condensée», a-t-il dit, fier de lui.

«Le 6 août 2013, j'ai mis le tout en ligne gratuitement sur Behance, l'équivalent, si on veut, de Facebook pour les créatifs. Je voulais savoir ce qu'en pensaient les autres professionnels, car je n'avais plus le recul nécessaire pour juger correctement mon travail», a-t-il indiqué. Mais il ne s'attendait pas deux secondes à ce qui allait se produire...

Netflix séduite

C'est bien simple, Dense est devenue l'attraction du moment sur Behance. Les compliments se sont mis à pleuvoir, et les téléchargements, à s'effectuer par milliers. «Les visionnements se comptent par millions et j'en suis à plus de 115 000 téléchargements. C'est de la folie furieuse !» a-t-il dit, tout sourire.

Sa vie a basculé, en fait, sans qu'il ait vu cela venir. En septembre, il a reçu un courriel anodin, d'un certain Steve, qui lui proposait d'acheter Dense avant qu'elle ne soit sur MyFonts.com. «Le deal s'est fait par PayPal. J'étais bien content, ça me faisait un peu de cash et ça augurait bien pour MyFonts.com. J'avais vite tourné la page, sans me soucier d'en savoir davantage sur ce Steve.»

En décembre, le Steve en question l'a appelé au téléphone. Pour lui dire qu'il adorait Dense, après l'avoir testée avec toute son équipe pendant des semaines. Pour lui proposer de rejoindre les rangs de son équipe, en Californie. Pour lui révéler qu'il était l'un des grands patrons de Netflix.

«Comment se faisait-il qu'il se soit intéressé à moi ? Comment se faisait-il que mon bricolage de garage ait pu séduire une multinationale ? Ça tournait dans ma tête. Je n'en revenais pas.»

L'explication était pourtant aisée. Le diffuseur américain de films en flux continu sur Internet a pour ambition affichée de conquérir l'Europe en 2014. Il lui faut donc soigner ses communications dans les moindres détails, dans l'espoir de séduire les Européens. D'où leur vif intérêt pour une police à la fois élégante et inédite. Comme Dense.

«Nous avons convenu que je ferais pour eux une version particulière de Dense, dotée, entre autres, de lettres typiquement européennes», a-t-il dit. Un travail passionnant, qui lui a permis d'assouvir son côté perfectionniste.

Charles Daoud a décliné l'offre d'embauche de Netflix. Néanmoins, cela l'a encouragé à se mettre à son compte : «Ça se sait que je suis derrière Dense. Un cabinet d'architectes californien vient de me demander de refaire leur identité visuelle. Les contrats viennent d'un peu partout dans le monde !»