Entrevue: Ben Zander, conférencier et chef d'orchestre du Boston Philharmonic Orchestra

Publié le 19/11/2011 à 00:00, mis à jour le 21/03/2014 à 09:26

Entrevue: Ben Zander, conférencier et chef d'orchestre du Boston Philharmonic Orchestra

Publié le 19/11/2011 à 00:00, mis à jour le 21/03/2014 à 09:26

Par Diane Bérard

Ben Zander, conférencier et chef d'orchestre du Boston Philharmonic Orchestra

Au World Business Forum, Ben Zander a fait lever 5 000 cadres pour qu'ils chantent du Beethoven. Son message : le mauvais temps n'existe pas, il n'y a que des vêtements inappropriés ! Température ou crise, tout est question d'éclairage.

DIANE BÉRARD - On compare souvent un bon leader à un chef d'orchestre. Avons-nous raison ?

BEN ZANDER - C'est absurde ! On dit que les musiciens d'un orchestre - sauf ceux des orchestres de chambre - sont à peine moins malheureux que les prisonniers. Il n'y a pas plus dictateur qu'un chef d'orchestre ni plus hiérarchisé qu'un orchestre ! En quoi cela constitue-t-il un modèle à suivre ?

D.B. - Qu'est-ce qu'un bon leader alors ?

B.Z. - Le bon leader se donne comme mission de répandre la joie. Le mauvais leader, lui, n'a qu'un objectif : conserver son pouvoir à tout prix.

D.B. - D'où vient donc notre définition du leadership ?

B.Z. - Depuis toujours, elle s'inspire des univers du sport et de la guerre. Ce sont des modèles qui reposent sur le combat : le gagnant rafle tout et le perdant est laissé sur la touche.

D.B. - Vous semblez croire que cette définition s'estompe, pourquoi ?

B.Z. - Laisser les perdants sur la touche ne fonctionne plus, parce que leur échec compromet notre victoire. L'exemple le plus évident est celui de la Grèce. Les leaders européens, et même mondiaux, ne peuvent pas la laisser couler. Sa chute aurait un effet domino beaucoup trop important. Nous dépendons de plus en plus les uns des autres. Notre façon de diriger doit en tenir compte, que l'on gère un État ou une entreprise. On ne gère pas une section, on dirige tout l'orchestre.

D.B. - Aux milliers de cadres qui assistent à vos conférences chaque année, vous déclarez : «Je ne vous parlerai pas des affaires ou de votre entreprise. Je vous parlerai de ma vie. À vous de trouver comment cela se transpose dans votre travail.»

B.Z. - On peut apprendre de ce qui fonctionne, ou pas, dans notre vie personnelle.

D.B. - En conférence, vous affirmez qu'on devient un meilleur leader en parlant aux gens différemment. N'est-ce pas un peu «mou» comme conseil ?

B.Z. - Revenons à notre vie personnelle. Lorsque vous avez un différend avec votre adolescent, quel est votre but : gagner ou préserver votre relation avec lui ? Cherchez-vous à avoir raison ou à retrouver l'harmonie ? La relation compte bien plus que la victoire. Pourquoi larguez-vous ce principe lorsque vous arrivez au travail ? Les relations que vous entretenez avec vos employés ne comptent-elles pas ? Est-ce que les préserver n'a aucune valeur ? Si c'est ce que vous croyez, alors vous faites fausse route.

D.B. - Parlons du conseil que vous avez donné aux leaders réunis à Davos pour sortir de la crise...

B.Z. - Je leur ai dit de s'inspirer de l'histoire de ces deux vendeurs de chaussures britanniques envoyés en Afrique au 19e siècle pour y évaluer le marché. Le premier transmet un télégramme complètement rabat-joie : «Impossible de vendre quoi que ce soit ici, personne ne porte de chaussures !» Son de cloche opposé de son collègue : «C'est merveilleux, nous voilà en terre riche d'occasions, ici personne ne porte de chaussures !» Une même situation, deux visions. Pourquoi ? Parce que ces deux hommes ne vivent pas dans le même univers. Le premier évolue dans une monde clos fait de concurrence, de rareté et d'échec. Le second évolue dans un monde de créativité et de possibilités. Aux leaders de Davos j'ai dit : aucune récession n'est assez sérieuse pour qu'elle tue toute possibilité. Tout comme aucune fortune, aucune gloire ni aucun pouvoir ne sont assez importants pour vous protéger contre une chute.

D.B. - Sait-on choisir nos leaders ?

B.Z. - Généralement, non... Mais il ne faut pas trop s'en inquiéter ; un leader ça se forme. Et puis, on accorde beaucoup d'importance au dirigeant, mais les organisations sont remplies de leaders. En ce moment, par exemple, vous êtes une leader. C'est vous qui dirigez cette entrevue. Comme conférencier, je ne m'adresse pas qu'aux pdg. Je rencontre des infirmières, des professeurs, des policiers : ce sont tous des leaders dans leurs univers respectifs. Eux aussi, il faut les former parce que, comme je vous l'ai dit plus tôt, nous sommes de plus en plus dépendants les uns des autres et, donc, du leadership des uns et des autres.

D.B. - Vous vous montrez très critique à l'égard du concept de vision, affirmant que plusieurs entreprises n'en ont aucune. Pourquoi ?

B.Z. - Je vous répondrai par l'absurde. Dans le foyer de la prestigieuse London Business School trône une énorme plaque affichant la «vision» de cette organisation : «Devenir la plus importante école de gestion du monde.» «Ce n'est pas une vision, ça», ai-je déclaré à la directrice. «Je sais, m'a-t-elle répondu, mais, je ne peux pas la changer, elle est gravée sur la pierre...» Combien de visions d'entreprises sont ainsi «gravées sur la pierre» ?

D.B. - Qu'est-ce qu'une vision, alors ?

B.Z. - Elle rejoint tout le monde dans l'organisation. C'est ce qui vous inspire et guide vos décisions d'affaires. Être numéro 1 n'est pas une vision, c'est un but. Un but ne vous éclaire pas. Une vision, si. Voici celle de notre orchestre : «La passion et la musique sans frontières». Guidés par celle-ci, nous n'avons pas augmenté le prix de nos billets les moins chers depuis 30 ans. Si notre musique n'a pas de frontières, elle doit être accessible au plus grand nombre. C'est aussi la vision qui nous a incités à ouvrir nos répétitions à tous, parce que notre musique ne doit pas connaître de frontières. C'est encore elle qui nous a amenés à offrir les billets non utilisés à un centre de sans-abris plutôt que de les remettre en vente.

D.B. - Quel est le message du livre que vous avez coécrit avec votre ex-femme, Rosamund Stone-Zander, L'univers de la possibilité (The art of possibilities) ?

B.Z. - Les circonstances qui vous entourent n'ont aucune importance, c'est ce que vous y voyez et ce que vous en dites qui importe. Notre livre vise à stimuler la créativité pour élargir le domaine du possible. Je pense que tous les hôtels devraient en placer un dans le tiroir de la table de chevet. Tout comme la Bible, c'est un livre qui se lit à petites doses, pour prendre le temps d'y réfléchir.

LE CONTEXTE

Les États-Unis, la Grèce, l'Italie... puis le Canada, qui reporte d'un an son équilibre budgétaire. Ben Zander constitue l'antidote parfait à la morosité ambiante. Son livre, L'univers de la possibilité, est peut-être ce dont les organisations ont besoin pour s'extirper du cercle vicieux.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Ben Zander fut cinq fois conférencier d'honneur à Davos.

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