Entrevue: Charles Tseng, pdg, Korn/Ferry Asie Pacifique

Publié le 16/10/2010 à 00:00

Entrevue: Charles Tseng, pdg, Korn/Ferry Asie Pacifique

Publié le 16/10/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Charles Tseng. Le pdg de Korn/Ferry Asie Pacifique

Charles Tseng est né à Singapour; il a étudié à la prestigieuse université américaine Wharton et travaillé en Australie pendant plusieurs années avant de revenir en Asie. Il figure sur la liste des 50 consultants les plus influents du monde, établie par le Business Week. Responsable des 17 bureaux asiatiques de la firme de recrutement Korn/Ferry International, Charles Tseng a participé à l'exercice de réflexion du Parti communiste sur les orientations de l'économie chinoise. Nous l'avons rencontré à Montréal, à la mi-septembre, alors qu'il s'entretenait de la nouvelle Chine avec un petit groupe de gens d'affaires québécois.

Diane Bérard - Le réchauffement climatique force la Chine à revoir son modèle économique. Pourquoi ?

Charles Tseng - La Chine est de plus en plus pointée du doigt pour sa consommation d'énergie et les effets de celle-ci sur le climat. Or, plus de 40 % de cette énergie sert à produire des biens consommés en Occident. Le gouvernement de Beijing n'apprécie pas du tout les critiques adressées par ses principaux clients. En plus d'être dépendant de l'Occident, il doit encaisser ses blâmes. C'est pourquoi il cherche une nouvelle avenue de développement.

D.B. - Vous avez contribué à l'exercice de réflexion du gouvernement chinois. Que s'est-il dit derrière les portes closes ?

C.T. - Beijing ne veut plus que sa population fabrique pour trois fois rien des articles que Gucci et Coach revendront ensuite au gros prix. Le gouvernement désire que nous fabriquions nos marques pour notre population, comme les chaussures de sport Lining. Cela pose un défi en matière de ressources humaines : il faudra former les travailleurs chinois pour ces nouvelles responsabilités et adapter le système d'éducation.

D.B. - Vous évoquez trois Chines : celle d'hier, celle d'aujourd'hui et celle de demain. À quoi ressemblent-elles ?

C.T. - Celle d'hier se caractérisait par des coûts de main-d'oeuvre les plus bas possible, des industries à faible valeur ajoutée, une augmentation constante de la capacité de production et une croissance fondée sur les exportations. La Chine d'aujourd'hui repose sur une réduction des iniquités et des tensions sociales. On favorise l'implantation des industries dans les régions centrales pour éviter le déplacement des populations. La Chine de demain continuera à décentraliser son développement, se souciera d'efficacité énergétique, d'innovation, de branding et elle mettra l'accent sur le commerce avec les autres pays d'Asie plutôt que vers l'Occident. D'ailleurs de nombreux accords de libre-échange ont été signés entre pays asiatiques, mais l'Occident y a très peu prêté attention.

D.B. - Quelle place occupera l'Occident dans la nouvelle Chine ? De quel type d'expatriés aura-t-on besoin ?

C.T. - Jusqu'à présent, des gestionnaires en fin de carrière ou des chômeurs à la recherche d'un nouveau départ se sont retrouvés en Asie. Ce profil ne convient plus. On cherche maintenant des gens capables de fonctionner dans des environnements difficiles, comme on en trouve en Chine. On constate que les Européens de l'Est ainsi que les Sud-Africains se débrouillent très bien. Un gestionnaire canadien qui n'a jamais baigné dans un environnement difficile pourra-t-il concurrencer un gestionnaire polonais ou sud-africain ? Je ne sais pas.

D.B. - La Chine de demain veut moins d'exécutants et plus de créatifs. Comment compte-t-elle développer ces compétences ?

C.T. - En revoyant son système d'éducation. Les gestionnaires doivent devenir des coachs. Les spécialistes des procédés des spécialistes de l'innovation. Les exécutants des influenceurs. Autant de compétences qui se développent en grande partie à l'école. La compétition doit céder la place à la collaboration. Il faudra développer l'intelligence émotionnelle des jeunes. Les universités occidentales peuvent collaborer à cet exercice de repositionnement de notre système d'éducation. Mais j'insiste sur le fait que cela se fera sous forme de coopération. Le gouvernement chinois tient à ce que les jeunes Chinois étudient de moins en moins à l'étranger et de plus en plus en Chine. Il souhaite actualiser ses établissements. Cela assurera la continuité de son nouveau modèle de développement économique.

D.B. - Quel facteur est le plus sous-estimé par les gens d'affaires qui traitent avec la Chine ?

C.T. - Le rôle du gouvernement. Le Parti communiste contrôle tout et le gouvernement en est l'extension. Il faut donc écouter attentivement chacune des déclarations publiques des membres du Parti. Celles-ci vous donneront une idée des politiques économiques à venir et des occasions d'affaires qui s'y rattachent. Par exemple, lorsque le gouvernement dit qu'il souhaite développer les régions rurales, il n'est pas seulement question d'ouvrir des usines. Cela suppose aussi d'offrir des services à ces populations, grâce à la construction d'hôpitaux régionaux, par exemple. Vous voyez donc émerger une demande pour de l'équipement médical moins coûteux. General Electric est d'ailleurs en train d'occuper ce marché. De nombreuses autres occasions d'affaires se dessinent dans les déclarations du gouvernement. Comme il n'y a qu'un parti, ce que le gouvernement met en place ne sera pas annulé aux prochaines élections. Cela constitue une énorme différence par rapport à l'Occident où les décisions vont et viennent. Lorsque Beijing annonce une politique économique, on peut être certain qu'elle sera appliquée jusqu'au bout.

Le pourquoi

Dans la foulée de la crise économique, la Chine s'est questionnée sur son modèle de développement fondé sur les exportations. Beijing veut réduire sa dépendance à l'Occident et développer son marché intérieur. Ce virage est à la fois synonyme de gains et de pertes pour les entreprises québécoises. Charles Tseng, qui a contribué à la réflexion du Parti communiste sur l'avenir économique du pays, dévoile le prochain visage de la Chine.

Le chiffre

8,3 %

Taux de croissance annuel composé projeté de la consommation domestique chinoise entre 2007 et 2020. Ce pourcentage est de 1,9 % au Canada.

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