" Les crises et la gestion quotidienne exigent autant de courage des administrateurs "

Publié le 17/04/2010 à 00:00

" Les crises et la gestion quotidienne exigent autant de courage des administrateurs "

Publié le 17/04/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

À peine diplômée en génie forestier de l'Université Laval, Michèle Desjardins est recrutée comme gérante de chantier d'Abitibi-Price, au Saguenay. Elle siège aujourd'hui aux conseils d'administration du Palais des Congrès de Montréal et de la Caisse de dépôt. De plus, elle agit en tant que consultante auprès des plus importantes entreprises familiales québécoises. Elle a également démarré l'Institut de l'entreprise familiale, de la famille de Gaspé Beaubien (devenu La Fondation des Familles en Affaires) et la société Papiers Inter-Cité (Unisource). Pour élargir ses horizons, elle est allée en Europe en 1992-93, le temps de contribuer à la création de la Bourse de Budapest, du marché des capitaux roumain et de la réglementation des valeurs mobilières de la Russie. Lorsque votre premier emploi a consisté à gérer un chantier forestier, aucun défi ne vous impressionne ! Nous avons rencontré Michèle Desjardins dans un café de Notre-Dame-de-Grâce.

Diane Bérard - Vous êtes restée au conseil de World Color jusqu'à la fin (N.D.L.R. Anciennement Quebecor World, placée sous la Loi sur la protection de la faillite, puis vendue à l'Américaine Quad/Graphics en janvier 2010). Pourquoi ?

Michèle Desjardins - Par solidarité pour mes collègues administrateurs et les employés. J'ai pensé que mon expertise serait utile, que je pouvais contribuer à trouver des solutions. World Color affrontait d'énormes difficultés financières. J'ai réaménagé mon horaire pour être disponible.

D.B.- Avez-vous songé à quitter ?

M.D. - Bien sûr ! Au cours de ma carrière d'administratrice, j'ai connu deux situations de crise. Chaque fois, je me suis demandé si je devais quitter. Dans de telles circonstances, il est impossible - et même insensé - de ne pas se poser la question.

D.B.- Avez-vous cherché à vous protéger au cas où les choses tournent mal ?

M.D. - Absolument. J'étais très bien informée, je connaissais mes devoirs et mes responsabilités. Tout administrateur doit avoir son ou ses conseillers juridiques personnels, avec qui il peut discuter librement des situations délicates et évaluer les risques auxquels il s'expose.

D.B.-Il faut du courage pour demeurer au conseil d'une entreprise en faillite...

M.D. - On met trop l'accent sur le courage requis pendant les crises. Il y a le quotidien, qui demande une autre forme importante de courage. Savez-vous ce qu'il faut de courage pour dire devant ses collègues, " Je ne comprends rien, pourriez-vous m'expliquer encore " ?

D.B. - Voit-on souvent des administrateurs avouer qu'ils ne comprennent pas un dossier ?

M.D. - De plus en plus. Il est important de comprendre nos dossiers et les enjeux qui s'y rattachent parce qu'éventuellement, il faudra prendre une décision pour laquelle on sera imputable. Je ne peux pas décider si je ne comprends pas la nature des choix possibles.

D.B.- Qu'est-ce que la bonne gouvernance ?

M.D. - Il faut avoir les bonnes discussions, avec les bonnes personnes et dans les bons forums.

D.B.- À titre de consultante, vous travaillez surtout avec des entreprises familiales. À quoi ressemble leur gouvernance ?

M.D. - Tout dépend de la génération aux commandes. Les fondateurs ont longtemps considéré leur conseil comme une " police d'assurance en cas de décès; mon épouse aura de l'aide de quelqu'un qui connaît l'entreprise ". La deuxième génération accorde au conseil un rôle de gestion des conflits entre les membres de la famille, en plus de ses tâches régulières. Finalement, lorsque l'entreprise se rend à la troisième génération, il y a tellement de monde à bord que le rôle du conseil se rapproche de celui d'une entreprise inscrite en Bourse.

D.B.- Refusez-vous des clients ?

M.D. - Oui. Par exemple, lorsque le climat s'est détérioré à tel point que chacun des membres de la famille a embauché son avocat, je ne peux rien pour eux. Je ne suis pas consultante en miracles ! J'en refuse aussi lorsque les membres de la famille ne s'entendent pas sur mon implication dans le dossier. Par exemple, " Mon frère peut vous parler, mais moi je ne suis pas intéressé. "

D.B.- À quoi ressemble un glissement de gouvernance au sein d'une entreprise familiale ?

M.D. - Des propriétaires qui discutent des affaires autour de la table familiale le samedi soir. Des frères qui s'affrontent à propos d'une acquisition pendant une visite chez leur mère. Deux soeurs qui discutent des soins à donner à leur père pendant une réunion du conseil.

D.B.- Faut-il avoir des compétences différentes pour siéger au conseil d'une entreprise familiale ?

M.D. - En plus du rôle normal d'administrateur, il faut être prêt à faire du coaching. Cela demande plus d'interventions informelles à l'extérieur des réunions. C'est probablement plus exigeant, mais aussi, plus enrichissant. La relation devient personnelle, le conseil travaille pour l'actionnaire et l'actionnaire se trouve à la même table que nous.

D.B. - Faut-il forcer les entreprises à inviter plus de femmes à leur conseil ?

M.D. - L'objectif est louable, mais cela crée une drôle de dynamique. Imaginez l'accueil qu'on réserve à la " femme de service " qui se joint à un conseil pour faire respecter un quota.

D.B. - Avez-vous déjà levé le ton ?

M.D. - Non, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Il suffit d'être ferme. Je me souviens d'avoir dit à un entrepreneur qu'il ne pouvait pas me parler comme il le faisait, car je n'étais pas un membre de sa famille. Après un silence, il a répondu : " Je ne devrais même pas m'adresser à ma famille ainsi. " Mon message avait été compris.

D.B. - La rémunération des dirigeants irrite, on reproche au conseil de ne pas faire son travail. Qu'en pensez-vous ?

M.D. - La rémunération des dirigeants est devenue publique par souci de transparence. J'ai l'impression que cela a créé des attentes et une concurrence entre les pdg qui complique la situation plutôt que de la faciliter.

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