«Nous avons choisi de soigner le système en place au lieu de joindre les start-up»


Édition du 08 Juillet 2017

«Nous avons choisi de soigner le système en place au lieu de joindre les start-up»


Édition du 08 Juillet 2017

Par Diane Bérard

Emmanuelle Duez, fondatrice du cabinet-conseil The Boson Project

Qualifiée de «porte-étendard de la génération Y» et de «startuppeuse de l'année» en 2015, Emmanuelle Duez a l'ambition de changer le monde. Son cabinet accompagne les entreprises qui veulent faire face aux nouveaux défis, avec le concours de toutes les générations d'employés. Je l'ai rencontrée à la conférence Infopresse sur les milléniaux.

DIANE BÉRARD - Vous vous définissez comme une militante-entrepreneure. Expliquez-nous.

EMMANUELLE DUEZ - Je suis fondamentalement une militante. Je veux faire bouger la société. Et je crois que c'est en faisant bouger les entreprises qu'on fera bouger la société. J'ai donc cherché l'instrument le plus efficace pour que mon action porte. Pour changer le monde, je dois être crédible. Or, en ce moment, l'entrepreneuriat est l'outil de crédibilité par excellence.

D.B. - Quelle est la mission de votre boîte de consultants, The Boson Project ?

E.D. - Notre métamission consiste à donner un autre sens à l'entreprise, à l'argent et à la temporalité. Nous voulons contribuer à la migration des organisations de structures rigides vers des structures fluides. Nous y arrivons en mettant les collaborateurs, particulièrement les jeunes, au coeur de la transformation. Les entreprises viennent à nous parce qu'elles peinent à attirer et à retenir les employés. Les meilleurs partent. Elles ne retiennent que les pires. Nos clients n'arrivent plus à produire de l'innovation de rupture avec leur équipe de R-D. Ils ne vont pas assez vite. Les start-up les dévorent tout cru.

D.B. - Vous dites aimer toutes les entreprises, surtout celles qui sont vieilles et poussiéreuses...

E.D. - On voudrait tuer tous les dinosaures pour laisser la place aux gazelles. Nous, nous disons : accompagnons plutôt tout le monde. Au lieu de tracer une ligne, faisons-la bouger. Tous ceux et celles qui ont joint The Boson Project ont choisi de soigner le système en place au lieu de joindre l'écosystème des start-up.

D.B. - Comment travaillez-vous avec vos clients ?

E.D. - D'abord, on vérifie si on veut travailler avec eux en leur posant la question suivante : «Travaillez-vous pour le long terme ou pour le court terme ?» On ne collabore qu'avec le premier groupe. Le mandat se déroule en quatre temps. D'abord, le diagnostic. On fonctionne en comités miroir. On recueille deux visions de l'avenir de l'entreprise : celle émanant de ceux qui construisent cette vision (les dirigeants) et celle de ceux qui vont l'implanter (les employés). On crée un court-circuit entre la tête et la base pour accélérer la prise de conscience. Puis on effectue la consolidation des visions pour élaborer les premières pistes de recommandations dans une dynamique de cohésion intergénérationnelle. Ensuite, un comité de pilotage procède à un arbitrage parmi les pistes proposées. On met en lumière les plus pertinentes ou les plus urgentes. Enfin, on élabore des solutions concrètes et réalisables.

D.B. - The Boson Project est un cabinet-conseil alternatif. Pourquoi ?

E.D. - Nous savons que ce sont les employés qui ont les solutions. Pas les consultants. Les consultants sont souvent aussi malades que leurs patients.

D.B. - Vous ne visez pas à convertir les entreprises. Vous apportez plutôt aux convertis la preuve que leur intuition est justifiée. Dites-nous en plus...

E.D. - Nos clients ont tous un point commun : ils sentent un mouvement global de remise en question de l'entreprise. On demande désormais aux organisations de répondre aux questions suivantes : à quoi servent-elles ? Sont-elles des objets purement économiques ou des microcosmes qui ont un sens ? Nous aidons nos clients à montrer qu'on est plus performant quand on travaille pour le long terme et quand on remet les hommes et les femmes au centre des activités. Pour bien installer l'idée de long terme, nous incitons nos clients à réfléchir à la notion d'héritage. Quelle société veulent-ils léguer à leurs enfants ?

D.B. - Parlons un peu des milléniaux. Quel rôle jouent-ils dans la remise en question du rôle et du fonctionnement des entreprises ?

E.D. - On se concentre toujours sur l'effet de levier des réclamations de cette génération. Nos études montrent que ces réclamations sont aussi un symptôme qui n'est lié ni à la jeunesse ni à une génération particulière. Elles constituent des signaux forts d'une remise en cause des modèles traditionnels d'entreprises. Les milléniaux reflètent un sentiment porté par toutes les générations présentes dans les organisations. Aujourd'hui, le fonctionnement des entreprises est remis en question. Demain, ce sera celui de l'école, de la politique, etc.

D.B. - À quoi vous butez-vous dans votre démarche pour remettre les humains au coeur des entreprises ?

E.D. - À la tyrannie de la minorité. Imaginez un comité de direction composé de 10 bonshommes dont 2 butent. La plupart ont réalisé qu'ils devraient laisser aller une partie de leur pouvoir et de leurs responsabilités, mais la résistance de quelques-uns impose parfois sa loi. C'est frustrant. On se dit : «Mince ! Les intérêts personnels l'ont emporté sur l'intérêt de l'entreprise...» Alors, on se décourage un peu.

D.B. - Il n'y a pas que les comités de direction qui peuvent résister au changement. Les cadres intermédiaires le peuvent aussi...

E.D. - En fait, c'est probablement pour eux que le processus de responsabilisation des employés s'avère le plus difficile. Ils ont le sentiment d'avoir beaucoup à perdre dans ce nouveau modèle transparent. On leur demande de renoncer aux règles du jeu avec lesquelles ils sont à l'aise. Des règles qui leur ont permis de se rendre là où ils sont. Toutefois, plusieurs d'entre eux ont des enfants et, pour ces derniers, ils sont ouverts à explorer d'autres façons de vivre en entreprise.

D.B. - Que faites-vous lorsque vous êtes à court d'arguments pour convaincre les entreprises de la nécessité de muter ?

E.D. - Je m'en remets à la logique. Je dis aux dirigeants que, s'ils ne peuvent le faire pour les jeunes et le symptôme d'insatisfaction plus vaste qu'ils incarnent, alors qu'ils le fassent pour des raisons économiques. Pour cesser de perdre les meilleurs employés et de ne retenir que les pires.

D.B. - Parlez-nous de votre collaboration avec le Medef [l'équivalent français du Conseil du patronat].

E.D. - J'ai fait partie d'un groupe de sept jeunes entrepreneurs qui ont collaboré à l'université d'été du Medef. Le thème était : «Quelle est la vision du Medef pour la France des 20 prochaines années ?» Notre groupe a formé un comité miroir du comité exécutif du Medef. On avait chacun le mandat de pitcher notre vision. Sur la forme autant que sur le fond, on ne voit pas le monde de la même façon. Ils ont publié un rapport de 1 500 pages ; notre vision peut tenir dans un tweet de 140 caractères. Ils s'inscrivent sur un temps court ; nous nous inscrivons sur un temps long. Ç'a été un exercice extrêmement révélateur.

D.B. - The Boson Project a publié plusieurs études sur le rapport des employés à leur travail. Vous avez mis en évidence une contradiction apparente. Laquelle ?

E.D. - On constate que le taux de roulement augmente dans les entreprises, mais que le degré d'attachement des employés s'accroît aussi. Les employés ont développé un rapport intense à l'entreprise. Ils attendent beaucoup d'elle.

Consultez le blogue de Diane Bérard www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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