Entrevue n°296 : Arthur Huang, Pionnier de la technologie et fondateur Miniwiz


Édition du 13 Août 2016

Entrevue n°296 : Arthur Huang, Pionnier de la technologie et fondateur Miniwiz


Édition du 13 Août 2016

Par Diane Bérard

«Le défi du recyclage n'est pas la technologie. Des solutions existent. C'est l'inertie humaine.» - Arthur Huang, Pionnier de la technologie et fondateur Miniwiz

L'entrepreneur taïwanais Arthur Huang collectionne les prix. Top 40 Under 40 pour l'Asie, prix de l'innovation du Wall Street Journal, reconnaissance du maire Michael Bloomberg de New York, il est aussi Pionnier de la technologie du Forum économique mondial. Le jeune trentenaire s'attaque à la plus désastreuse de toutes les créations humaines : les déchets.

Diane Bérard - Vous êtes architecte. Pourquoi vous être lancé en affaires plutôt que de dessiner des édifices ?

Arthur Huang - Le comportement des grandes marques m'irrite. Tous ces produits qu'elles fabriquent en employant du matériel qui aboutira au dépotoir. Quand j'étais jeune, les petits restaurants n'avaient qu'une lampe pour les éclairer. Aujourd'hui, on trouve en moyenne 27 lampes dans une succursale Starbucks. On en installe au plafond. Mais aussi sur les comptoirs. On produit de l'énergie pour éclairer des tasses de café !

D.B. - Vous êtes un fan d'histoire. Que nous enseigne-t-elle par rapport au recyclage ?

A.H. - Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, toutes les civilisations recyclaient. Rome a été construite en se servant de déchets. C'est la société capitaliste qui a inventé le design jetable. Nous avons atteint un point où les produits que nous consommons sont si peu chers que nous n'avons aucun incitatif à les retourner pour les recycler.

D.B. - Vous êtes taïwanais. Être asiatique influence-t-il votre rapport aux déchets et à la pollution ?

A.H. - Je crois que oui. L'Asie est encore l'usine de la planète. Elle produit donc beaucoup de déchets. Mais lorsque je lis ou que j'entends les médias occidentaux s'offusquer de la pollution dont l'Asie est responsable, j'aimerais un peu plus d'objectivité. Ces déchets, nous les générons pour produire des biens que vous nous avez commandés.

D.B. - Quel a été le premier projet de Miniwiz ?

A.H. - En 2004, nous avons lancé le HYmini, un chargeur d'appareils intelligents hybride. Vous l'alimentez en le branchant dans une prise de courant ou à l'aide de l'énergie générée par le soleil ou le vent. Vous pouvez le placer sur votre vélo et emmagasiner l'énergie générée en roulant. Celle-ci peut ensuite être utilisée pour charger vos appareils. Le HYmini tient dans la paume de votre main. Le panneau solaire était fait de rebuts de carton. L'emballage, de rebuts de papier. Le film du panneau solaire, de polyéthylène usagé, soit d'anciens sacs de plastique. Le HYmini a été vendu aux États-Unis, en Europe et au Japon.

D.B. - Vous avez ensuite conçu la première grande structure du monde fabriquée de bouteilles recyclées...

A.H. - Le pavillon EcoARK était le hall d'exposition principal des Floralies internationales de Taipei, en 2010. Cet immeuble de neuf étages est construit avec la POLLI-Brick. J'ai conçu cette brique en utilisant des bouteilles de plastique recyclées. Il a fallu 1,5 million de bouteilles pour faire les 480 000 briques qui recouvrent la structure d'acier de l'EcoARK. C'est un bâtiment entièrement recyclable. Il peut être démonté pour que ses matériaux puissent être réutilisés dans un autre immeuble. Le jour, il emmagasine l'énergie solaire qui, la nuit, alimente un système d'éclairage LED. Nous avons aussi utilisé la POLLI-Brick sur les murs du Pacific Department Store, un immeuble de 37 étages à Chengdu, en Chine. En tout, nous avons bâti six immeubles, dont un complexe d'usines de recyclage, entièrement fait de composants électroniques recyclés.

D.B. - Du revêtement des immeubles, vous êtes passé à l'intérieur des magasins...

A.H. - En effet, nous avons conçu l'intérieur des magasins Nike Lab de Paris, Londres, Milan, Tokyo, New York, Hong Kong et Shanghai. Dans celui de Shanghai, par exemple, les joints sont faits de 5 278 cannettes d'aluminium recyclées. Les 2 000 pieds de câbles, de 2 000 bouteilles d'eau recyclées. Et les panneaux de plafond, de 50 000 CD et DVD recyclés.

D.B. - Les clients qui entrent dans la boutique Nike de New York savent-ils que l'intérieur a été conçu avec des rebuts ?

A.H. - Non, ce n'est pas ce que Nike souhaite. La direction voulait attirer l'attention des consommateurs uniquement par le design. Elle ne veut pas souligner le côté vert de la boutique. Nike estime que cette histoire reléguerait sa marque au second plan.

D.B. - Êtes-vous déçu que Nike ne mette pas en relief le côté vert des boutiques que vous avez conçues pour elle ?

A.H. - Bien sûr que ça me déçoit. Mais je ne suis pas naïf, je sais qu'on connecte avec les consommateurs par l'émotion. Et un produit vert ne suscite pas l'émotion. Ou chez si peu de gens. Ne pas mettre l'accent sur le côté environnemental de ces magasins est une décision pertinente, pour l'instant. Ne pas raconter cette histoire est la bonne stratégie, compte tenu de l'état d'esprit et des priorités actuelles de la majorité des consommateurs.

D.B. - Et des immeubles, vous êtes passé aux gros objets...

A.H. - En effet, nous avons bâti un bateau de 25 pieds, le POLLI BOAT, et nous travaillons à un avion pour deux personnes.

D.B. - Miniwiz est-elle intégrée verticalement, ou travaillez-vous avec des partenaires ?

A.H. - Dès le début, nous avons décidé que nous ne ferions pas tout nous-mêmes. Miniwiz ne compte que 50 employés. Nous imaginons les projets - les immeubles ou les objets - et le type de matériaux recyclés qu'ils emploieront. Puis, nous fabriquons les équipements qui permettront de traiter et de recycler ces matériaux et nous les donnons à nos partenaires. Ainsi, ils peuvent transformer les rebuts selon nos spécifications pour l'usage que nous aurons à en faire.

D.B. - Y a-t-il un matériau que vous n'arrivez pas à recycler ?

A.H. - Bien sûr, le PVC, entre autres. On en trouve partout : dans les tapis, dans ce comptoir, dans les câbles électriques, dans les tuyaux de plomberie, etc. L'Union européenne limite l'emploi du PVC. La prochaine génération de polymères ne contiendra pas de PVC.

D.B. - Quels sont les principaux défis d'une entreprise comme la vôtre ?

A.H. - L'inertie humaine. On peut venir à bout des défis technologiques. Imaginons que le pdg d'une société qui compte des milliers d'employés désire emprunter la voie du développement durable. Comment convainquez-vous ces milliers d'hommes et de femmes de changer leur façon de travailler ? De revoir le processus d'achat et d'appel d'offres. Trouver de nouveaux fournisseurs, par exemple. Dessiner des produits moins énergivores. Qui a envie de se donner plus de travail ?

D.B. - Votre stratégie consiste à lancer des projets-pilotes. Parlez-nous du plus récent avec le cigarettier Philip Morris.

A.H. - En mai, pour la semaine du design à Milan, nous avons conçu des chaises faites de filtres de cigarettes recyclés. Ces chaises s'inspirent de celles que le designer Cesare Leonard a imaginé au cours des années 1960. Nous avons acheté les filtres d'occasion à des usines d'épuration d'eau.

D.B. - Vous employez souvent un matériau lié à l'industrie de votre client. Ce fut le cas de Philip Morris et du Blé d'Or, à Taipei.

A.H. - Le Blé d'Or est une chaîne de brasseries taïwanaise. Les murs, le plafond et les chaises de la succursale de Xinzhuang, à Taipei, sont faits de polypropylène recyclé auquel on a injecté des résidus du processus de brassage de la bière.

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