Entrevue n°298 : Timothée Boitouzet, innovateur de l'année en France et fondateur de Woodoo


Édition du 27 Août 2016

Entrevue n°298 : Timothée Boitouzet, innovateur de l'année en France et fondateur de Woodoo


Édition du 27 Août 2016

Par Diane Bérard

«La filière française du bois ne se porte pas bien. Elle a besoin d'être dynamisée.» - Timothée Boitouzet, innovateur de l'année en France et fondateur de Woodoo.

«Je suis devenu architecte parce que je crois que nous pouvons jouer un rôle social dans les villes», dit l'entrepreneur Timothée Boitouzet. Il a remporté le prix de l'innovateur français de l'année, décerné par le Massachusetts Institute of Technology. Son innovation : le bois translucide, un bois reconstruit dont on a retiré l'air pour le rendre plus résistant. J'ai rencontré l'entrepreneur de 29 ans au New Champions Forum, en Chine.

Diane Bérard - En France, c'est le règne de l'architecture de la pierre. Où avez-vous développé votre fascination pour le bois ?

Timothée boitouzet - J'ai fait mes études d'architecture à Kyoto pour ensuite travailler à Tokyo. On trouve là-bas des temples millénaires et même des villes en bois.

D.B. - Vous avez créé un nouveau matériau. On n'apprend pas cela à l'école d'architecture...

T.B. - J'ai fait un double cursus en architecture et en biologie moléculaire. J'ai poursuivi mes études au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston.

D.B. - Vous souhaitez donc une architecture plus inspirée de la nature ?

T.B. - Non, s'inspirer de la nature serait en reproduire les formes. Moi, je travaille avec la nature. Je fais de l'architecture à l'aide d'un microscope. Le bois comporte de 60 % à 90 % d'air. J'en retire l'air pour créer un matériau plus compact et plus résistant. C'est comme si nous réhabilitions un bâtiment vide en nous réappropriant l'espace. Nous faisons de la microarchitecture du bois.

D.B. - Quelle est la mission de votre entreprise, Woodoo ?

T.B. - Nous développons le bois translucide pour qu'il puisse être industrialisé et fabriqué à grande échelle.

D.B. - Vous avez remporté sept prix en un an. Était-ce votre stratégie marketing ?

T.B. - Oui et non. Pour certains concours, comme celui d'innovateur de l'année décerné par le MIT, on ne se présente pas. On est nommé. Pour d'autres, par contre, nous avons déposé notre candidature. Il est certain que ces prix ont attiré l'attention sur nos activités. Nous sommes sollicités par des clients de secteurs auxquels nous n'avions même pas songé pour notre produit, comme le luxe. On veut faire des intérieurs de boutiques, des caisses de champagne et des bijoux avec mon bois translucide.

D.B. - Votre matériau est développé. Vous avez ciblé des clients. Quelle est la prochaine étape ?

T.B. - Le faire produire en usine. Le vendre à des clients. Générer un bénéfice. Employer 50 chimistes et, de manière incrémentale, passer du marché du design et du mobilier à celui de la façade du bâtiment. La ville de demain, si on la veut neutre en carbone, sera faite en bois. Le bois est le seul matériau qui absorbe le CO2.

D.B. - Mais le bois est un matériau cher...

T.B. - Oui, mais ce n'est pas le cas du bois translucide. Je le fabrique à partir d'essences laissées-pour-compte. Des essences avec lesquelles on ne se chauffe même pas. Une fois transformé selon mon procédé, le bois non noble devient aussi performant que le bois noble. Ainsi, le peuplier translucide présente des caractéristiques plus intéressantes que le chêne à l'état pur. Et puis, je veux pratiquer l'économie circulaire. Je vais revendre certains composants que je retire du bois lorsque je le transforme. Ces composants seront revalorisés, entre autres, pour produire de l'énergie verte ou des médicaments. Cela me permettra de maintenir mes coûts de production bas.

D.B. - Comptez-vous produire vous-mêmes votre bois ?

T.B. - Pas lors de la phase 1. Nous accorderons des contrats sous licence. Mais, à terme, nous souhaitons reprendre le contrôle pour veiller sur la qualité.

D.B. - Comment évaluez-vous les défis de ce projet ?

T.B. - Le premier est un défi de production. Il s'agit du contrôle de la qualité lors de la phase de sous-traitance de la production. Le second est un défi scientifique. Nous devons augmenter l'épaisseur du matériau pour diversifier ses usages. Aujourd'hui, il fait 5 millimètres. Nous commençons à le modifier pour qu'il s'approche de 1 centimètre. Pour en faire des façades de bâtiment, il doit atteindre 1,5 cm. Et pour l'employer dans des structures, des éléments porteurs, il doit être de 2,5 cm.

D.B. - Quand prévoyez-vous commencer la production de masse ?

T.B. - D'ici sept mois.

D.B. - Votre matériau lui-même est vert. Mais qu'en est-il de l'empreinte carbone de votre processus de production et de livraison ?

T.B. - Pour être conséquent avec ma mission et mes valeurs, ma production sera répartie entre plusieurs micro-usines approvisionnées par le marché local. Chaque usine vendra sa production à des clients locaux. Tout doit reposer sur des circuits courts. D'ailleurs, lorsqu'on dit d'un bâtiment qu'il est vert, on se fie à sa performance énergétique. Mais qu'en est-il de sa phase de construction ? Dans quelles conditions les matériaux ont-ils été fabriqués ? Quelle distance ont-ils parcourue ? Ont-ils traversé l'océan deux fois pour être traités ? Il faudrait créer un «UPS de l'empreinte carbone des matériaux» pour retracer leur parcours.

D.B. - L'approvisionnement en matière première posera-t-il un défi ?

T.B. - Oui ; en France, 76 % des forêts sont privées [au Québec, c'est plutôt 16 %]. Plusieurs petits propriétaires possèdent de très petits domaines. Ils n'exploitent pas leur bois, car cela leur coûterait plus cher que les bénéfices qu'ils pourraient en tirer. Il existe bien un système qui mutualise la sylviculture et fait en sorte que ces petits propriétaires puissent exploiter leur bois en profitant d'économies d'échelle. Malgré tout, le secteur est tellement segmenté que de nombreux propriétaires n'exploitent pas leur bois. Ce qu'il y a de plus complexe, c'est que le bois que j'utilise, les essences non nobles, est déjà coupé. Il fait partie de ce qu'on élague. Mais il pourrit dans la forêt faute de système organisé pour le ramasser.

D.B. - Votre modèle d'approvisionnement local exige du travail en amont, du travail politique. Comment ce volet se déroule-t-il ?

T.B. - La filière française du bois ne se porte pas bien. Elle a besoin d'être dynamisée. Les politiciens voient dans mon innovation une possibilité de revaloriser le bois, de le rendre plus contemporain.

D.B. - Comment voyez-vous votre impact ?

T.B. - J'ai mis en veilleuse mon métier d'architecte, car je peux avoir plus d'impact sur les villes en développant les matériaux de demain qu'en construisant des bâtiments. D'ailleurs, nous vivons un nouvel âge d'or des villes. Mais cette fois, il est propulsé par les citoyens et les modes collaboratifs.

D.B. - Si les citoyens ont le pouvoir dans les villes, travaillez-vous avec eux pour qu'ils réclament du bois ?

T.B. - Ils le réclament déjà. Le jury du concours «Réinventer Paris» était composé, entre autres, de citoyens. Et de nombreux projets proposés par les architectes incorporaient le bois. Ils savaient que c'est ce que les citoyens désirent. On cesse d'opposer la nature et la cité. Pour loger tous les humains, il faut construire plus haut, plus dense, plus sain, avec du bois.

D.B. - Le Québec a une importante filière forestière. Comptez-vous y faire des affaires ?

T.B. - J'aimerais beaucoup !

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