" La fierté d'inventer doit céder le pas à la rapidité "

Publié le 19/09/2009 à 00:00

" La fierté d'inventer doit céder le pas à la rapidité "

Publié le 19/09/2009 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

Nous avons instauré un seul processus de R&D pour toute l'entreprise, dit Paul Adams, de Pratt & Whitney.

Le moteur des jets de la future CSeries de Bombardier sera le résultat d'une démarche en innovation ouverte. En effet, le fabricant américain Pratt & Whitney (P&W) ne concevra pas la totalité des éléments du réacteur : il intégrera les meilleures technologies de ses partenaires.

Paul Adams, vice-président principal, ingénierie de P&W, au Connecticut, nous parle de la démarche de l'entreprise.

Journal Les Affaires - Depuis quand fonctionnez-vous en innovation ouverte ?

Paul Adams - Notre approche a changé de façon radicale il y a environ huit ans. Dans notre industrie, la recherche et développement (R-D) - que nous appelons chez nous I-D, pour ingénierie et développement - requiert énormément de ressources techniques et financières.

Traditionnellement, notre stratégie consistait à être les leaders et à protéger fortement nos technologies. Tout se faisait à l'interne. Nous étions très fermés, même à l'échelle de chaque division.

Mais au fil des ans, nous nous sommes rendus compte que nous devions dépenser des sommes colossales simplement pour maintenir nos avantages concurrentiels devant des géants comme General Electric (GE) et Rolls-Royce. De plus, ce protectionnisme nous empêchait de profiter des retombées de la commercialisation de nos produits.

JLA - En quoi l'innovation ouverte est un atout pour la commercialisation de vos produits ?

P.A. - Voici un exemple. P&W a dépensé 40 millions de dollars pour développer un produit en titane pour un client. Nous étions très avancés dans cette technologie. Mais lorsque la direction a dû réduire ses coûts, le programme a été aboli parce que le coût des matériaux était jugé trop élevé.

Évidemment, il était conçu dans l'optique d'une application étroite de la technologie, réservée à un client. Mais si la technologie avait été développée de façon ouverte, nous aurions pu la commercialiser avec d'autres partenaires. C'est là que nous nous sommes dit qu'il fallait trouver des façons d'appliquer plus largement nos technologies.

JLA - Quelles ont été vos premières initiatives ?

P.A. - Nous avons commencé par ouvrir le processus d'innovation à toutes nos divisions. Plutôt que de les laisser fonctionner en vase clos, nous avons commencé à coordonner la R-D en instaurant un seul processus pour toute l'entreprise. Mais il a fallu abattre bien des barrières.

JLA - De quelle nature étaient ces barrières ?

P.A. - Elles étaient culturelles et parfois juridiques. Chaque division géographique fonctionnait de façon indépendante. Et pour toutes sortes de raisons, les gens qui y travaillaient étaient réticents à partager le fruit de leurs recherches. C'est naturel de vouloir défendre son fief. Avec pour résultat qu'une division ne savait pas ce que faisait l'autre.

JLA - Pratt & Whitney travaille avec des partenaires depuis plus de 20 ans. Comment ces collaborations ont-elles évolué vers l'innovation ouverte ?

P.A. - Ce qui est différent, c'est que nous avons développé des contrats-types. C'est mieux organisé, sur la base de contrats de partage de risques et de revenus. Nous avons maintenant des ententes de collaboration avec une dizaine de partenaires et de grands programmes avec cinq ou six d'entre eux. Le siège américain de Pratt & Whitney vient notamment de signer une entente de collaboration technologique majeure avec Siemens.

JLA - Vous arrive-t-il de travailler avec des concurrents ?

P.A. - Surtout dans des contrats gouvernementaux. Il faut avoir des habiletés similaires mais que nos marchés soient adjacents, pour pouvoir gagner de nouveaux programmes.

JLA - Vous travaillez aussi en innovation ouverte pour le moteur de la CSeries de Bombardier. Qui sont vos partenaires ?

P.A. - Il s'agit du premier programme de collaboration entre deux unités de P&W, celle des États-Unis et celle du Canada, avec des partenaires extérieurs. Avec Volvo, nous travaillons à la conception et à la fabrication du moteur, et avec MTU [un fabricant allemand de turbines], nous avons un programme de recherche sur le compresseur. Mais MTU ne peut pas utiliser la technologie développée conjointement.

JLA - Quel est le rôle de Bombardier ?

P.A. - Bombardier est cliente de P&W. Elle n'est pas propriétaire de la technologie.

JLA - Quels types de contrats signez-vous avec vos partenaires ?

P.A. - Cela dépend. La plupart du temps, ce sont des licences, mais il nous arrive d'acheter l'entreprise avec qui nous voulons travailler et de créer des coentreprises.

JLA - Comment voyez-vous l'innovation ouverte avec les universités ?

P.A. - Nous entendons renforcer nos relations avec elles. Nous ne voulons pas procéder un projet à la fois, mais cibler des centres d'excellence. Aux États-Unis, nous venons de conclure une entente avec l'université de l'Ohio et d'étendre la portée d'une autre entente avec Virginia Tech. Au Canada, notre filiale de Longueuil travaille avec les étudiants en ingénierie mécanique de l'École Polytechnique de Montréal.

JLA - Croyez-vous que l'innovation ouverte soit la voie de l'avenir ?

P.A. - Oui. Sauf qu'il y a un grand changement de culture à effectuer. Les chercheurs aiment inventer. Or, de nos jours, l'innovation ne consiste pas tant à inventer qu'à adapter des technologies existantes et à le faire rapidement, pour être les premiers sur le marché. La fierté d'inventer doit céder le pas à la rapidité. Et il faut faire beaucoup d'étalonnage [benchmarking] pour identifier nos futurs partenaires et commercialiser les innovations conjointes. L'innovation ouverte nous assure aussi un financement à long terme de la recherche, ce qui est un avantage inestimable.

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