Stratégies pour transformer les inefficiences en occasions


Édition du 27 Janvier 2018

Stratégies pour transformer les inefficiences en occasions


Édition du 27 Janvier 2018

Par Stéphane Rolland

À la Bourse, on voit parfois de curieux comportements qui se répètent. Ces « inefficiences de marché » ont la réputation d'ouvrir des occasions pour battre les indices. Nous avons consulté des experts au sujet de quatre inefficiences populaires pour vérifier si ces occasions en sont réellement et si on peut en profiter.

LE MOMENTUM : MISER SUR LES TITRES QUI DÉCOLLENT

Tout ce qui monte... pourrait continuer de monter. La stratégie du « momentum » mise sur le fait que l'élan d'un titre se poursuivra encore un peu à court terme. Si le principe est simple, l'appliquer est une tout autre paire de manches.

L'idée derrière le momentum est que ce qui a bien performé récemment devrait continuer dans cette voie à court terme. À l'inverse, les titres sur une pente descendante continueraient leur glissade pour encore un moment. Tout cela est vrai jusqu'à ce que la tendance change...

La psychologie humaine pourrait expliquer le phénomène. Les psychologues parlent du biais d'ancrage, soit la difficulté à remettre en cause certaines informations qu'on croit vraies. Dans ce cas, il s'agit de l'idée que le passé récent (la trajectoire d'une action) se reproduira indéfiniment. Ainsi, les investisseurs seront attirés par les titres qui affichent un bon rendement, ce qui alimente ceux qui sont sur une bonne lancée. « Une des théories avancées par la finance comportementale est l'effet de groupe, explique Philippe Tarte, maître d'enseignement à HEC Montréal. Beaucoup ont tendance à suivre le marché. »

Les critères et les signaux techniques utilisés pour capturer le momentum varient d'un investisseur à l'autre. « Certaines stratégies sont à court terme, d'autres à plus long terme, rapporte M. Tarte. Par exemple, on regarde la trajectoire du titre au cours des trois derniers mois, puis on investit pour le prochain et on rééquilibre le portefeuille chaque mois. J'ai aussi vu la tendance des neuf derniers mois pour un investissement dans les trois prochains mois. »

La variabilité des pratiques utilisées fait en sorte qu'il est difficile d'évaluer la surperformance qu'offre le momentum à long terme, car les résultats dépendront de la fréquence de rotation et de la durée sur laquelle le momentum est mesuré. De nombreuses études ont cependant démontré l'existence de cette inefficience de marché à long terme.

Ron Meisels, président de Phases & Cycles, utilise plusieurs indicateurs pour évaluer si la tendance technique est favorable à un titre. « Il y a des signaux qui indiquent si l'action est sur une bonne lancée lorsqu'elle dépasse un seuil technique qu'elle avait de la difficulté à franchir », résume le fondateur de la firme spécialisée en analyse technique.

Parmi ces indices, un qui est relativement simple à consulter est le dépassement d'un sommet de 52 semaines. « Ça peut être le signe que le titre va dans la bonne direction », affirme M. Meisels.

Phases & Cycles utilise d'autres indicateurs plus complexes. Par exemple, la moyenne mobile du prix d'une action au cours des 50 et des 200 derniers jours. La convergence et la divergence des moyennes mobiles, connue sous l'acronyme anglais MACD, est un autre indicateur dans leur grille d'analyse.

Difficile à reproduire

Naviguer sur le momentum n'est pas une chose facile à faire, prévient M. Meisels. Il constate que bien des gens comprennent mal le principe et peuvent poser des gestes irrationnels quand ils basent leur décision sur les fluctuations boursières. « Les gens sont curieux, lance-t-il au bout du fil un sourire dans la voix. Supposons que vous ayez un titre qui monte de 20 $ à 30 $. Bien des gens diront qu'il est maintenant trop cher. Supposons qu'il corrige à 25 $ et que les signaux techniques deviennent favorables, ces mêmes personnes refuseront d'en acheter sous seul prétexte que le momentum n'est plus favorable. Nous n'évaluons pas que le momentum, nous nous concentrons sur le potentiel haussier d'un titre, selon les indicateurs techniques. »

En théorie, le momentum est une stratégie qui fonctionne à long terme, mais ça ne veut pas dire que le principe fonctionne à tout coup, nuance M. Tarte. Comme dans les autres cas d'inefficiences de marché, la stratégie peut connaître des périodes « latentes » où elle affiche une sous-performance. « Il est démontré que les titres de momentum "sous-performent" grandement en temps de crise, prévient-il. Ça peut être très défavorable pour un investisseur, qui risque d'abandonner la stratégie. »

Même si vous vous en remettez à un professionnel, les bons résultats sont loin d'être garantis. Si les données historiques montrent que l'approche a « surperformé », les fonds communs qui ont une stratégie « momentum », pour leur part, se font battre par l'investissement indiciel, selon une étude récente de Research Affiliates.

En fait, le rendement des fonds américains de momentum de l'échantillon avait un manque à gagner annuel de 3,1 % par rapport au marché. En excluant les frais, les gestionnaires de portefeuille auraient eu un rendement annuel supérieur de 0,9 %. D'où vient cet écart ? Les coûts liés aux frais de transactions plombent les fonds qui recourent à cette stratégie à court terme, car celle-ci engendre un important taux de roulement du portefeuille.

LES DOGS OF THE DOW: L'APPROCHE DIVIDENDE

Le pouvoir du dividende. Par le passé, les Dogs of the Dow ont permis de surpasser le vénérable Dow Jones. « Les chiens du Dow » ont toutefois eu moins de mordant en 2017. La stratégie continuera-t-elle de porter ses fruits ?

Le filtre est facile à reproduire. Des 30 sociétés inscrites au Dow Jones, vous achetez les 10 titres qui offrent le plus généreux dividende (en pourcentage) au début de l'année. Vous les conservez le reste de l'année et répétez l'exercice annuellement.

À long terme, les Dogs affichent une solide performance. De 2000 à 2016, ils ont généré un rendement annuel composé de 8,6 % en réinvestissant les dividendes. En comparaison, le Dow Jones et le S&P 500 ont livré des rendements de 6,9 % et de 6,2 %, respectivement, selon une recension faite par le site Dogsofthedow.com.

Dans sa pratique, Sylvain Langlais recourt au Dogs of the Dow et à certaines de ses variantes pour gérer les portefeuilles de ses clients. Le conseiller en placement de Valeurs mobilières Industrielle Alliance à Québec juge que la démarche est « relativement simple » et donne des « résultats intéressants ». « Cette stratégie ne contient que des Blue Chips (grandes sociétés considérées comme des valeurs sûres), commente le conseiller en entrevue. S'il y a une correction, ces valeurs aussi vont corriger, mais j'aime mieux avoir de grosses entreprises quand il y aura une correction que d'avoir des sociétés dont on ne sait pas si elles vont survivre. »

Le principe du Dogs of The Dow a « une certaine logique intuitive », car elle permet de mettre la main sur les entreprises les moins chères, estime Stéphane Rochon, stratège chez BMO Nesbitt Burns. Il vaut mieux regarder les titres au cas par cas après avoir appliqué le premier filtre, selon lui. « Pour que ça fonctionne, il faut que les entreprises sélectionnées soient des sociétés de qualité, affirme-t-il. C'est vraiment important de le souligner. »

M. Rochon donne l'exemple de General Electric (GE), comme d'une entreprise de moins bonne qualité qui fait partie de la meute. La société mène une réorganisation difficile et a été contrainte de couper son dividende de moitié.

Pour sa part, M. Langlais préfère suivre la stratégie à la lettre. De belles surprises pourraient vous filer entre les doigts si vous mettez certains Dogs de côté, selon lui. Il donne l'exemple de Hewlett-Packard, dont le titre a doublé en 2013 alors que de nombreuses inquiétudes planaient sur la société. Rien ne dit qu'une entreprise en difficulté comme General Electric ne connaîtrait pas le même sort, ajoute le conseiller.

La question de la diversification se pose également. À seulement dix titres, la stratégie est-elle trop concentrée ? « La conception de diversification est malheureusement mal interprétée par les petits investisseurs, nuance Jean-Philippe Tarte, maître d'enseignement à HEC Montréal. Les études montrent qu'un portefeuille qui aurait uniquement cinq grandes capitalisations dans des secteurs différents éliminera une grande part du risque spécifique. À dix titres, ça m'apparaît comme une stratégie suffisamment diversifiée. »

Un revirement

Les « chiens » du Dow Jones ont toutefois tiré de la patte en 2017. Ils ont procuré un rendement de 19 %. En comparaison, le Dow Jones aurait procuré un rendement de 25 %. La stratégie a « très, très bien fonctionné » par le passé, mais elle pourrait être moins efficace dans le futur, croit Marc Larente, premier vice-président et conseiller en placement chez Gestion de patrimoine TD. « Ça pourrait être une période plus difficile pour les Dogs », prévient-il.

Le contexte de « légères » hausses des taux d'intérêt agira comme un vent de face, prévoit-il. « Les Dogs sont des titres avec un dividende élevé, explique M. Larente. La différence entre le rendement de leur dividende et les taux d'intérêt deviendra de plus en plus petite à mesure que les taux augmenteront. Ses titres deviendront donc moins populaires. »

Lorsqu'on suit une stratégie qui mise sur les inefficiences de marché, il arrive des périodes où celle-ci « sous-performe » avant le retour à la normale, explique M. Tarte. Cette « période de latence » peut toutefois durer longtemps, poursuit celui qui enseigne la gestion de portefeuille à HEC Montréal. Il donne l'exemple de la « sous-performance » de la stratégie valeur qui perdure depuis près d'une décennie. Cette explication n'est pas une opinion de M. Tarte sur la durée de la période de latence du Dogs of the Dow.

Par le passé, il est arrivé que les Dogs connaissent des périodes de sous-performance, se souvient M. Langlais. La dernière année de surperformance est survenue en 2012, où le Dow Jones avait procuré un rendement de 10,2 % et les Dogs, 9,7 %. Ce chiffre tient compte du dividende et de la fluctuation du dollar canadien. À long terme, la stratégie a toujours fait mieux que les indices, insiste-t-il.

UNE STRATÉGIE POUR CHOISIR LA MEILLEURE BANQUE

Miser sur la grande banque canadienne en queue de peloton l'année précédente pourrait être le secret pour se retrouver en tête. À long terme, cette simple stratégie, répétée chaque année, aurait permis de mieux performer qu'un panier de titres comprenant les cinq plus grandes institutions financières canadiennes. La démarche est facile. Des cinq plus grandes banques canadiennes (RBC, TD, Scotia, BMO et CIBC), on achète celle qui a obtenu le pire rendement l'année précédente. L'exercice est à répéter chaque changement de calendrier, en remplaçant le titre par le nouveau perdant.

Le retour à la moyenne est le grand principe derrière cette démarche. Dans un marché oligopolistique, les grandes banques canadiennes parviennent généralement à régler rapidement leurs problèmes. Ainsi, les banques qui sous-performent une année donnée effectueraient un rattrapage l'année suivante.

De 2000 à 2016, cette stratégie aura généré un rendement de 16 % en moyenne, sans tenir compte du dividende, selon une recension faite par le Globe and Mail. Dans 40 % des cas, le titre sélectionné aura obtenu le meilleur rendement. Il y a un certain mérite à cette théorie, juge Claude Boulos, gestionnaire de portefeuille chez Gestion de portefeuille Selexia. Ça ne fonctionne pas à tout coup, prévient-il. Un exemple récent : la Scotia a « sous-performé » ses paires en 2014 et 2015, ce qui explique l'échec de la stratégie en 2015. En 2017, la stratégie a remporté un succès certain. Des cinq plus grandes banques canadiennes, la CIBC est celle qui a eu le pire rendement en 2016. En incluant le dividende, la CIBC arrive deuxième, de justesse, derrière la Royale.

Le choix pour 2018

Par un bon écart, la Banque de Montréal (BMO) est sans équivoque le titre ayant eu le pire rendement en 2017. Son action a généré un rendement de 7,73 %, en incluant le dividende. Les quatre autres affichent un rendement d'entre 11,92 % et 15,31 %.

Dans les dernières années, la Banque de Montréal a affiché un ratio d'efficacité inférieur à celui de ses pairs. « La BMO a eu de la difficulté à développer les prêts personnels aux États-Unis, explique Steve Bélisle, gestionnaire de portefeuille chez Gestion d'actifs Manuvie. Elle est plus concentrée dans le commercial. Elle a perdu des occasions de vente croisée, en offrant des services de gestions de patrimoine ou de cartes de crédit à ses clients commerciaux, par exemple. Cela a fait en sorte que la productivité a été inférieure aux États-Unis. »

La question sera de savoir si la nouvelle direction sera en mesure de corriger le tir. Le PDG Darryl White est arrivé en poste en novembre. Il a promis d'accélérer la croissance de la quatrième banque canadienne en importance en misant sur les activités américaines et les investissements technologiques.

L'attention de Darko Mihelic, de RBC Marchés des capitaux, portera sur les services aux particuliers et aux entreprises aux États-Unis. Les résultats au quatrième trimestre (terminé le 31 octobre) ont été vigoureux, mais il faudra que la lancée se poursuive, estime l'analyste. M. Mihelic doute que la BMO soit en mesure d'atteindre ses objectifs. Il a une recommandation « performance de secteur » et une cible de 116 $. En dépit de son plus faible rendement l'an dernier, la majorité des analystes restent sur les lignes de côté. Ils sont cinq à avoir une recommandation d'achat, contre 10 qui suggèrent de conserver le titre.

Sumit Malhotra, de Banque Scotia, est dans le camp des optimistes pour l'année 2018. Il reconnaît que sa recommandation « surperformance » n'a pas été couronnée de succès en 2017. Par contre, il pense que la composition du portefeuille de prêts de la BMO lui donne un avantage concurrentiel. Celui-ci contient moins d'immobilier résidentiel canadien que ses concurrents et est exposé davantage aux prêts commerciaux américains. Améliorer l'efficacité de la banque sera une priorité du nouveau dirigeant, souligne l'analyste. Il émet une recommandation « surperformance » et une cible de 114 $.

VENDEZ EN MAI ET SORTEZ DU MARCHÉ

En avril, ne te découvre pas d'un fil, disaient nos grand-mères. Le mois suivant, vendez vos actions et ne réinvestissez qu'en novembre, selon l'adage le plus célèbre de Wall Street. Le dicton boursier a-t-il la même crédibilité que les sages paroles de mamie ?

Historiquement, à la Bourse de New York, la période entre novembre et avril a été grandement plus lucrative à long terme que celle qui s'étale de mai à la fin du mois d'octobre. De 1928 à 2016, le S&P 500 a progressé de près de 5 % de novembre à avril. L'appréciation n'a été que de 2 % de mai à octobre, selon une compilation de Fidelity.

Le phénomène a de quoi laisser perplexe. « C'est difficile de trouver une explication qui a du sens, admet Philippe Tarte, maître d'enseignement à HEC Montréal. Ces explications n'arriveront jamais à comprendre parfaitement le phénomène. »

La supposition souvent véhiculée est que de nombreux gestionnaires seraient moins actifs pendant la période des vacances estivales. « En théorie, un gestionnaire qui part en vacances est remplacé par ses collègues, avance celui qui enseigne la gestion de portefeuille. Je n'ai jamais entendu parler de gestionnaires qui vendaient tous leur portefeuille pour partir l'esprit tranquille. »

Une hypothèse avancée par le maître d'enseignement est que les gestionnaires de portefeuille sont moins actifs pendant la période estivale. Les fonds réinvestis par leurs clients pourraient demeurer en liquidité plus longtemps. La baisse de la demande freinerait la progression. « Cela dit, ça ne demeure qu'une hypothèse, on ne sait pas. »

Marc Larente, premier vice-président et conseiller en placement chez Gestion de patrimoine TD, pense que la stratégie « n'a aucun mérite ». Pour lui, « vendez en mai » est devenu une forme de prophétie autoréalisatrice. « À force d'en parler, et les médias le font de plus en plus, un petit effet est créé. Il n'y a aucune logique à adopter cette stratégie. »

L'effet de janvier

D'autres effets saisonniers existent. L'un des plus connus est l'effet janvier, poursuit M. Tarte. « L'idée est que les gens veulent prendre leurs pertes en capital en décembre pour profiter de l'avantage fiscal. D'importantes sommes seraient alors disponibles à l'investissement en janvier, d'où la "surperformance". »

L'effet est parfois inverse après une très bonne année boursière. « Quand les titres vont très bien, certains investisseurs vont attendre le début de l'année pour réaliser un gain en capital afin de repousser l'imposition de plusieurs mois, selon M. Larente. Ça peut avoir un impact sur les titres qui ont connu une très belle année. » Si le conseiller est sceptique quant au « vendez en mai et sortez du marché », il demeure alerte durant la période de janvier. La volatilité observée durant ce mois peut parfois offrir des occasions sur les titres qu'il suit, raconte-t-il.

Saisonnalité ou non, acheter et conserver aura toujours été une meilleure solution que d'investir dans la période la plus performante de l'année. La firme CXO Advisory Group en a fait la démonstration en utilisant des données qui s'échelonnent du 1er janvier 1871 jusqu'à la fin avril 2017.

L'écart est impressionnant. Un dollar investi en 1871 vaudrait 1410 $ si l'investisseur détenait des actions de novembre à avril et maintenait son portefeuille en liquidité le reste de l'année. La même stratégie pour les autres mois de l'année n'aurait donné que 62 $. D'où la supériorité d'une période de l'année sur l'autre.

Par contre, « acheter et conserver » aurait littéralement pulvérisé les deux pratiques. Dans cette situation, la somme initiale dépasse les 200 000 $ !

L'équipe de CXO Advisory Group a également regardé si cette « surperformance » avait été constante dans le temps. Chaque décennie, « acheter et conserver » a toujours été une meilleure stratégie. L'écart varie grandement d'une décennie à l'autre, mais la surperformance demeure. Au bout du compte, le phénomène est curieux, mais mieux vaut hausser les épaules et l'ignorer.

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