Les dirigeants trop préoccupés par le court terme ?


Édition du 02 Avril 2016

Les dirigeants trop préoccupés par le court terme ?


Édition du 02 Avril 2016

[Photo : Shutterstock]

Il est fréquent que des dirigeants et administrateurs de sociétés ouvertes affirment que l'on exerce sur eux une pression pour qu'ils fournissent de bons résultats à court terme. Cette pression est-elle réelle et manifeste ? Si oui, quelles en sont les causes, et se traduit-elle par une gestion myope, à court terme ?

À lire aussi : Résister aux pressions du court terme

Cliquez ici pour consulter le dossier Grande soirée de la gouvernance 2016

On entend par «court-termisme» une décision consciente de la direction (ou du CA) de prendre des mesures qui auront un effet positif sur le cours du titre dans un avenir immédiat, tout en sachant que ces mesures pourront se révéler nuisibles à l'entreprise.

Évidemment, il est bien difficile de conclure que des dirigeants sont motivés par l'atteinte de résultats à court terme au détriment possible de la santé à long terme de l'entreprise. On peut toutefois observer certains indicateurs qui nous semblent exercer des pressions importantes sur les directions d'entreprise et qui sont possiblement des manifestations de décisions à court terme.

Nous nous sommes donc intéressés aux 60 entreprises inscrites à l'indice S&P/TSX 60 et aux 54 plus grandes entreprises québécoises selon leur capitalisation boursière (dernier exercice financier terminé).

Les attentes trimestrielles

Les obligations de divulgation font en sorte que les entreprises doivent présenter des résultats financiers complets tous les trois mois. Les analystes et les médias ont concentré l'essentiel de leurs attentes sur une mesure bien précise : le bénéfice par action (BPA).

Afin de gérer et de guider les attentes des marchés financiers, 50,9 % des entreprises québécoises et 71,7 % des sociétés du S&P/TSX 60 communiquent leurs prévisions BPA à l'attention des analystes. Ainsi, ces entreprises se «commettent» en livrant des résultats spécifiques d'un trimestre à l'autre. Ces «promesses», bien qu'accompagnées de mises en garde quant à leur réalisation, sont généralement reçues comme des engagements formels qu'il vaut mieux ne pas décevoir.

Rémunération variable

Pour aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, il est maintenant coutumier d'établir des programmes de rémunération variable à base d'options et d'actions. En effet, 84,4 % de la rémunération totale du pdg d'une entreprise du S&P/TSX 60 (71,3 % au Québec) est considérée comme variable. Le programme de rémunération du pdg de la majorité des entreprises est assorti d'une composante qui concerne l'octroi d'options d'achat d'actions, soit 83 % des entreprises québécoises et 90 % des entreprises du S&P/TSX 60. La durée moyenne pour obtenir la totalité des options d'un programme donné est de 3,77 ans pour les entreprises québécoises et de 3,72 ans pour celles du S&P/TSX 60. De plus, 73,3 % des entreprises québécoises et 90,6 % des entreprises du S&P/TSX accordent annuellement de nouvelles options et actions. Cela signifie donc qu'en moyenne, après trois ou quatre années en poste, un pdg reçoit annuellement l'équivalent de 100 % d'un programme d'options à chaque année.

Par ailleurs, 80 % des entreprises du S&P/TSX 60 et 74,1 % des entreprises québécoises ont adopté le vote consultatif sur la rémunération (say on pay).

Pour éviter toute réprimande des agences de conseil en vote de procuration, les CA de ces entreprises ont compris qu'il valait mieux utiliser les normes proposées par ces agences et de ce fait plaire aux investisseurs institutionnels : le rendement total pour les actionnaires (RTA) et la croissance du BPA. Ainsi, 85 % des sociétés du S&P/TSX 60 et 66,7 % des entreprises québécoises ont un régime de rémunération variable dont le critère d'octroi est fondé sur le RTA ou le BPA.

Cette dernière observation est importante. En effet, il s'agit d'un incitatif visant la direction, pour qu'elle gère les résultats de façon à gagner cette généreuse rémunération variable.

Manoeuvres financières

L'utilisation de manoeuvres financières, comme le rachat d'actions, pour influer sur la croissance du BPA et satisfaire aux attentes des marchés financiers, est souvent la manifestation d'une décision résolument court-termiste. Les données sont éloquentes : 35 % des entreprises du S&P/TSX 60 et 42,6 % des entreprises québécoises ont procédé à un rachat d'action au cours du dernier exercice financier terminé.

La valeur totale des rachats d'actions est considérable. En fait, pour les 21 entreprises du S&P/TSX 60 qui ont fait des rachats d'actions, plus de 13 milliards de dollars ont été retournés sur les marchés plutôt que d'être investis dans des projets porteurs. Les 23 entreprises québécoises qui ont procédé au rachat de leurs actions ont utilisé 3 G$ de leurs liquidités pour ce faire. Ainsi, il faut supposer que ces milliards de dollars n'avaient d'autre usage plus rentable que celui d'être retourné aux actionnaires pour accroître le BPA.

Les données recueillies tendent ainsi à valider l'existence des pressions internes et externes pouvant inciter à une gestion de court terme. Un constat qui laisse songeur pour l'avenir de la productivité de nos entreprises et pour les emplois qui y sont rattachés.

Yvan Allaire et François Dauphin, Président et Directeur de recherche, Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques

À lire aussi : Résister aux pressions du court terme

Cliquez ici pour consulter le dossier Grande soirée de la gouvernance 2016

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?