Entrevue n°277 : Ibon Zugasti, directeur général du think tank Prospektiker


Édition du 20 Février 2016

Entrevue n°277 : Ibon Zugasti, directeur général du think tank Prospektiker


Édition du 20 Février 2016

Par Diane Bérard

«Le mouvement coopératif a besoin d'une version pour le 21e siècle» - Ibon Zugasti, directeur général du think tank Prospektiker.

La course à la direction de Desjardins est lancée. J'en ai profité pour m'entretenir avec Ibon Zugasti, directeur général du think tank Prospektiker, une création de Mondragon, la plus grande coopérative industrielle du monde. Le siège social de cette coop de 74 111 employés se trouve au Pays basque, dans la ravissante vallée de Mondragon. C'est dans ce décor que nous avons discuté des défis du mouvement coopératif.

Diane Bérard - Depuis la crise financière de 2008, on martèle que les coops sont les planches de salut du capitalisme. Vraiment ?

Ibon Zugasti - Les coops sont des créatures socioéconomiques ayant une composante d'affaires. Cette dualité en fait de potentielles génératrices de développement durable. Les coops sont à la fois des sources de développement économique et de création d'emplois. Ce qui n'est pas nécessairement le cas des autres structures d'entreprises. C'est pourquoi les coops peuvent avoir un impact plus important sur l'amélioration de la qualité de vie que d'autres types d'organisations. Elles ont, entre autres, un impact local plus important. Cela dit, tout n'est pas rose présentement dans l'univers coopératif.

D.B. - Vous parlez beaucoup du potentiel des coopératives. Pourquoi employez-vous le conditionnel en évoquant leur impact ?

I.Z. - Le modèle coopératif se trouve à la croisée des chemins. Il a connu de beaux succès au fil des décennies. Mondragon, la plus grosse coopérative industrielle du monde, est bien placée pour le savoir ! Nous avons 74 111 employés, dont 11 000 à l'extérieur de l'Espagne, 15 centres de R-D et des revenus de 11,8 milliards d'euros. Ça, c'est le portrait aujourd'hui. Mais il y a une réalité qu'on ne peut pas ignorer : le modèle coopératif doit s'ajuster au 21e siècle.

D.B. - C'est tout de même étonnant : on n'a jamais autant parlé de collaboration et de coopération en entreprise ; pourtant, le mouvement coopératif traverse une crise de foi...

I.Z. - La coopération n'est pas un réflexe naturel chez l'humain... même dans une coopérative. Il faut répéter le message tous les jours. Prenez le cas Mondragon, qui se compose de 260 entités. Il est très difficile de faire coopérer ces dernières entre elles. Il semble bien que le sentiment d'appartenance de chaque employé s'arrête aux murs de sa coop et non de Mondragon au complet.

D.B. - En quoi la mondialisation ébranle-t-elle le mouvement coopératif ?

I.Z. - La mondialisation force la croissance, les fusions, les acquisitions et les partenariats. Ce qui a fait notre force, le sentiment d'appartenance des membres à leur coop, devient aujourd'hui notre faiblesse. Imaginez le casse-tête de fusionner deux coops. D'établir un partenariat entre une coop et une entreprise à capital fermé. Certaines de nos coops existent depuis 50 ans. Leurs membres n'ont aucune envie de fusionner avec une autre entité du groupe, encore moins avec une organisation extérieure.

D.B. - Le mouvement coopératif aurait-il atteint les limites de sa structure décisionnelle ?

I.Z. - C'est ce que nous constatons, chez Mondragon et dans les travaux de Prospektiker. Dans une grande entreprise, le pdg et le conseil d'administration décident ensemble s'il y aura fusion ou acquisition. Dans une coopérative, la direction propose, l'assemblée dispose. Or, les enjeux deviennent complexes et mondiaux. Il y a lieu de se demander si l'assemblée, qui est souveraine dans un système coopératif, possède les connaissances et les compétences requises pour prendre tous les types de décisions.

D.B. - En 2014, Mondragon a fermé sa plus grosse entité, le fabricant d'électroménager Fagor. Pourquoi ?

I.Z. - Fagor a longtemps occupé le peloton de tête de son secteur. Mais elle était en difficulté depuis 2010. Les autres entités du groupe ont déboursé 300 millions d'euros pour tenir Fagor à flot. Et je crois que la direction de Fagor pensait que les secours se poursuivraient encore longtemps.

D.B. - La faillite de Fagor a ouvert une boîte de Pandore chez Mondragon...

I.Z. - En effet, elle nous a placés face aux limites du modèle coopératif, particulièrement en matière de gouvernance et de solidarité.

D.B. - Selon votre président, Javier Sotil, la direction de Fagor aurait trop tardé pour intervenir lorsque sa position concurrentielle s'est effritée...

I.Z. - Javier a raison. Fagor a été victime de la crise financière, certes, mais aussi de la lenteur de réaction de ses dirigeants et du manque d'expertise de certains d'entre eux. Quand la détérioration a débuté, il a fallu prendre des décisions difficiles. Les gestionnaires intermédiaires, qui avaient toutes les informations, ont pris celles qui relevaient de leur autorité. Les autres propositions ont été présentées au conseil, où certains administrateurs n'ont pas pu, ou pas voulu, pousser plus loin la rationalisation.

D.B. - Fermer une coopérative va à l'encontre des valeurs de ce mouvement, non ?

I.Z. - Oui ; pour les membres, cela équivaut à se couper un bras ou une main. Mais on ne peut plus penser ainsi. Il faut trouver comment préserver nos valeurs coopératives sans occulter les nouvelles réalités économiques.

D.B. - La crise de Fagor force des changements au sein de Mondragon. Dites-nous-en plus...

I.Z. - Nous amorçons un nouveau plan de développement qui a été approuvé au congrès de 2015. Nous avons ciblé les activités les plus rentables et prometteuses pour chacune de nos entités. Il s'agit, entre autres, de produits pour les véhicules électriques, de la technologie pour les villes intelligentes, des solutions de domotique, du développement du capital humain, etc. C'est celles-là que nous encouragerons. Et nous allons revoir la structure de nos quatre divisions (finance, industrie, savoir, distribution) pour les inciter à collaborer entre elles. Nous avons aussi lancé un vaste programme d'innovation.

D.B. - Vous allez jusqu'à réviser vos règlements généraux. Pourquoi ?

I.Z. - Il faut revoir nos valeurs et leur définition. Que signifie le principe de solidarité en 2016 ? Je crois que chacun des membres a sa définition. Il est temps d'établir une ligne claire. Jusqu'où va cette solidarité ? Qui est responsable lorsqu'une entité connaît des difficultés ? Jusqu'où s'étend cette responsabilité ? Quelles sont les limites des droits et des devoirs des membres les uns envers les autres et envers la coopérative ? La mondialisation nous force à penser à la gestion de risque et aux conséquences de la contagion. Il faut mettre des murs pare-feu pour protéger les entités saines.

D.B. - Mondragon étant un modèle, comment le monde va-t-il réagir si vous revoyez votre principe de solidarité ?

I.Z. - J'espère que les défenseurs de l'économie sociale et solidaire comprendront qu'il faut changer. Pour que le mouvement coopératif continue d'avoir un impact positif, il faut en inventer une version pour le 21e siècle. Avant de parler de solidarité et de coopération, il faut parler de concurrence et de création de valeur.

D.B. - Parlons de gouvernance : comment voyez-vous la suite des choses ?

I.Z. - Les coopératives ont besoin d'administrateurs indépendants. Ceux-ci sont aussi stratégiques que dans les autres structures d'organisation. Pourquoi a-t-on conclu que les membres des coops auraient le recul suffisant pour prendre des décisions impartiales ?

D.B. - En somme, les entreprises capitalistes commencent à assumer leur rôle social, et les coopératives, ses impératifs capitalistes...

I.Z. - En effet, on assiste à deux mouvements inverses.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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