Entrevue: Robert A. G. Monks, avocat et activiste financier

Publié le 08/10/2011 à 00:00

Entrevue: Robert A. G. Monks, avocat et activiste financier

Publié le 08/10/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Robert A. G. Monks, avocat et activiste financier

Robert A.G. Monks est un des pionniers et des piliers de l'activisme financier. Cet avocat de 78 ans, ex-fonctionnaire, entrepreneur, gestionnaire de fonds, auteur et conférencier s'est donné comme mission de mieux outiller les actionnaires, américains et étrangers, afin qu'ils puissent exercer leur pouvoir sans oublier leurs devoirs.

DIANE BÉRARD - Pourquoi êtes-vous devenu un actionnaire activiste ?

ROBERT A.G. MONKS - Il y a quarante ans, j'ai été candidat au Sénat américain. Tandis que je faisais campagne dans une région à la frontière du Nouveau-Brunswick, je me suis réveillé en pleine nuit, les yeux brûlants. La cause : les émanations toxiques provenant des rejets de l'usine de la Great Northern Paper Company dans la rivière à proximité. Je n'ai pas été élu et je suis allé travailler pour la Boston Safe Deposit and Trust Company. Peu de temps après mon arrivée, j'ai appris que mon institution était actionnaire de la Great Northern Paper Company. Ce jour-là, j'ai compris que, comme actionnaire, j'avais le droit et le devoir de réclamer des comptes aux entreprises et le pouvoir de changer les choses. C'est ce que je fais depuis.

D.B. - Existe-t-il un bon et un mauvais activisme financier ?

R.A.G.M. - Non, tout dépend du fauteuil que vous occupez. Un dirigeant considère tout activisme comme mauvais. Il sait que la seule menace à son emploi est l'actionnaire mécontent qui dispose de suffisamment de ressources et d'appuis. Le cauchemar de tout dirigeant, c'est un Carl Icahn : intelligent, indiscret, persuasif et riche ! Par contre, si vous êtes un actionnaire passif, vous vous réjouissez qu'un collègue activiste remue ciel et terre pour que vous fassiez plus d'argent.

D.B. - On dit que les actionnaires ne se soucient que du court terme, qu'ils nuisent à la pérennité de l'entreprise...

R.A.G.M. - On raconte bien des histoires ! Près de 40 % des actions sont détenues par des actionnaires permanents. Je me fiche pas mal des petits futés qui s'amusent à virer leur portefeuille à l'envers deux fois avant et après le lunch. Parlons plutôt des 40 % qui sont là pour le long terme. Le problème n'est pas que les petits futés aient trop d'influence, mais que les actionnaires à long terme n'en aient pas assez. Il faut les réveiller !

D.B. - On a vu des actionnaires laisser détruire des entreprises en acceptant des offres d'achat non sollicitées tandis que la direction recommandait de résister...

R.A.G.M. - Le droit de l'actionnaire est un droit absolu.

L'entreprise n'est pas une entité propre qui jouit d'un droit différent de celui du propriétaire. Ceux qui gèrent l'entreprise ne possèdent aucun droit constitutionnel de la gérer. Ce n'est pas à la direction de décider si une entreprise doit ou non être vendue. Cette décision appartient aux actionnaires. Et le drame n'est pas que ceux-ci l'exercent, mais bien qu'ils ne l'exercent pas.

D.B. - Y a-t-il une limite aux champs d'intervention des actionnaires activistes ?

R.A.G.M. - Oui. Les actionnaires ne sont pas là pour gérer l'entreprise, mais plutôt pour s'assurer qu'elle est bien gérée. Ils n'interviennent donc pas auprès des dirigeants, mais du conseil.

D.B. - Est-il facile d'être un actionnaire activiste ?

R.A.G.M. - Certainement plus au Canada qu'aux États-Unis ! Chez nous, il est quasiment impossible pour des actionnaires d'exiger une rencontre pour congédier des membres du conseil. Il faut d'abord remplir des formulaires de la Securities and Exchange Commission (SEC). Or, tout actionnaire américain sait que si la SEC demande quelque chose, c'est que cela n'a pas d'impact. Si ça pouvait nuire aux entreprises, la SEC ne le demanderait pas !

D.B. - Vous n'êtes pas très tendre envers la SEC...

R.A.G.M. - Pour les actionnaires, la SEC est une tragédie. Elle fut créée il y a 60 ans avec les meilleures intentions. Mais c'était un projet idéaliste. Depuis 20 ans, elle est rongée par la corruption et totalement inféodée aux entreprises. La SEC est à la solde de ceux qu'elle doit encadrer.

D.B. - D'autres organismes réglementaires ont-ils grâce à vos yeux ?

R.A.G.M. - Non. En Angleterre on a choisi l'approche "conformez-vous ou expliquez-vous". C'est ridicule. Cela suppose que les humains sont tous aussi probes que des fermiers Quakers ! Ce qui n'est pas le cas. Les entreprises ne se conforment pas et, au lieu de s'expliquer, elles recrutent des avocats pour les aider à justifier leurs écarts de conduite.

D.B. - Comment la situation des actionnaires au Canada se compare-t-elle à celle qui prévaut aux États-Unis ?

R.A.G.M. - Les défis diffèrent. Aux États-Unis, personne ne représente les actionnaires. Ils ont abdiqué leurs droits. Le Canada, lui, compte de nombreuses entreprises familiales. Ces actionnaires sont représentés, bien sûr. La question est : les autres actionnaires ont-ils une place, une voix ? La famille gère-t-elle l'entreprise dans l'intérêt des actionnaires extérieurs aussi ?

D.B. - Vous affirmez que "les administrateurs sont en général des acolytes habilement choisis qui participent peu à la prise de décision". Ne disait-on pas ça il y 20 ans ? Les choses ne changent-elles donc pas ?

R.A.G.M. - Qui recrute les conseils ? Vous êtes là parce que le pdg vous l'a demandé. En Suède, des actionnaires siègent au comité de sélection des administrateurs.

D.B. - Que faut-il penser du conseil de Hewlett-Packard ?

R.A.G.M. - Je connais certains des administrateurs, ce sont des gens intelligents. Mais certains présentent des lacunes sur le plan des habiletés sociales, d'où les conflits permanents. Peut-être aurait-il fallu recruter un psychiatre pour les aider à cohabiter.

D.B. - Pourquoi les conseils dérapent-ils ?

R.A.G.M. - Par crainte du jugement des autres, les administrateurs ne posent pas de questions. Même s'ils ne comprennent pas un dossier, ils se taisent. Cela laisse tout le pouvoir au pdg. Les femmes n'agissent pas ainsi, elles posent les vraies questions. Je parle ici des vraies femmes, pas des "femmes-hommes" qui miment leurs homologues masculins. Les conseils ont vraiment besoin de l'énergie et du courage féminins.

D.B. - Le concept de "say on pay" (qui permet aux actionnaires de se prononcer sur la rémunération des hauts dirigeants) a fait son entrée au Québec. Pour vous, il s'agit de beaucoup de bruit pour rien. Pourquoi ?

R.A.G.M. - Le say on pay est une diversion, il donne aux actionnaires une illusion de pouvoir. Dans le dossier de la rémunération, le conseil fait ce qu'il veut.

D.B. - Les actionnaires activistes peuvent-ils sauver le système capitalisme ?

R.A.G.M. - Pour sauver le capitalisme, il faut ramener l'intégrité en exigeant l'imputabilité de la part des dirigeants. C'est le rôle des actionnaires. Le problème, et surtout le drame, est qu'ils ont abdiqué ce rôle et leurs responsabilités.

«Ce n'est pas à la direction de décider si une entreprise doit ou non être vendue. Cette décision appartient aux actionnaires.»

LE CONTEXTE

Un groupe de gens d'affaires torontois, l'Investor's Symposium, réclame que les actionnaires principaux des sociétés canadiennes cotées en Bourse élisent eux-mêmes les administrateurs et les rémunèrent. Une bonne idée?

SAVIEZ-VOUS QUE

Robert A.G. Monks fut éjecté du conseil de Tyco pour interférence excessive. Quelques années plus tard, le pdg et président du conseil, ainsi que le chef de la direction financière ont été condamnés pour une fraude de 150 millions de dollars.

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