Entrevue n°285 : Robert Eccles, professeur à Harvard et activiste de la transparence


Édition du 16 Avril 2016

Entrevue n°285 : Robert Eccles, professeur à Harvard et activiste de la transparence


Édition du 16 Avril 2016

Par Diane Bérard

«Le CA doit cesser de faire croire que toutes les parties prenantes comptent également» - Robert Eccles, professeur à Harvard et activiste de la transparence.

Robert Eccles, expert mondial de la reddition de comptes, lance une campagne planétaire. Il réclame des CA qui donnent l'heure juste. Des CA qui identifient les enjeux et les publics qui comptent vraiment pour la création de valeur à long terme de leur entreprise, et non ceux jugés politiquement corrects. Cette semaine, il rencontre, à Montréal, l'Initiative pour la finance durable, des investisseurs institutionnels et l'Institut des administrateurs de sociétés.

Diane Bérard - Pourquoi un professeur de gestion lance-t-il un mouvement ?

ROBERT ECCLES - Il est temps que les conseils d'administration (CA) assument leur véritable rôle, et non celui qu'on leur attribue par ignorance de la loi. Et qu'ils soient plus honnêtes lorsqu'ils présentent la liste des priorités de leur entreprise. J'ai étudié la législation de 34 pays. Elle est limpide : le CA est imputable envers l'entreprise et de nombreuses parties prenantes, pas seulement envers les actionnaires. Cela dit, qu'on cesse de se raconter des histoires : aucune entreprise n'accorde une importance égale à toutes les parties prenantes. Pourtant, elles tentent de nous le faire croire. Nous savons bien que chaque organisation possède sa hiérarchie de priorités. Mon mouvement veut convaincre les CA de produire chaque année une «déclaration sur les publics significatifs et l'importance relative» (Statement of significant audiences and materiality).

D.B. - Quel est votre but ultime ?

R.E. - Mon mouvement veut promouvoir le rôle des CA dans le développement durable et la performance à long terme des entreprises.

D.B. - Vous voulez que les CA déclarent ouvertement «voici les parties prenantes et les enjeux qui comptent pour nous» et sous-entendent que le reste n'a pas d'importance. Cela paraît suicidaire...

R.E. - La «déclaration sur les publics significatifs et l'importance relative» est neutre. Elle ne contient pas de jugements moraux de la part du conseil ni de l'entreprise. Elle ne représente pas les valeurs du CA. Cette déclaration énonce simplement ce qui importe pour la pérennité de l'entreprise, à ce moment-ci de son histoire. Cela peut changer. Cette déclaration présente les parties prenantes et les enjeux qui ont le pouvoir d'influencer directement les résultats de l'entreprise au cours des prochaines années.

D.B. - En signant cette déclaration, les CA ne risquent-ils pas de faire fuir certains publics ?

R.E. - Au contraire, en ayant le courage de déterminer un nombre restreint de publics significatifs et en divulguant son processus pour la détermination de l'importance relative, le CA donne un signal fort de sa volonté d'exercer son jugement et de sa capacité à gouverner. Ce signal sur la gouvernance est de plus en plus corrélé avec la préservation de valeur à long terme.

D.B. - Vous marquez une différence entre une partie prenante importante et une partie prenante significative. Expliquez-nous la nuance.

R.E. - Si vous ne comblez pas les besoins, ou les demandes, d'une partie prenante significative, votre entreprise s'en trouvera nécessairement touchée. Ne pas combler les besoins, ou les demandes, d'une partie prenante importante n'a pas d'impact direct sur votre organisation.

D.B. - En somme, ce qui importe pour une entreprise et ce qui importe pour la société ne coïncident pas nécessairement...

R.E. - C'est exactement cela. Prenons le dossier de l'eau. C'est un enjeu majeur pour la société. Mais ce n'est pas déterminant pour la destinée de toutes les entreprises. Ce qui explique qu'elles ne consacrent pas toutes des ressources à la réduction de leur consommation d'eau. Nous pourrions dire la même chose des émissions de GES ou d'autres enjeux sociétaux. C'est de la poudre aux yeux de faire croire qu'un enjeu est significatif si l'entreprise n'y consacre pas de ressources.

D.B. - Vous dites que, pour satisfaire la société, les entreprises accumulent et divulguent des données qui n'ont aucune signification pour elles...

R.E. - La prolifération des initiatives en développement durable entraîne une multiplication des indicateurs. Les entreprises publient donc 72 indicateurs pour obtenir la cote A. Mais pour chaque organisation, à peine cinq ou six indicateurs sont significatifs. On crée beaucoup de bruit de fond inutilement.

D.B. - Que se passe-t-il lorsqu'une entreprise a défini ses publics significatifs et leur importance relative ?

R.E. - Elle mesure ce qui importe au lieu de produire une masse de statistiques insignifiantes.

D.B. - Qu'est-ce qui vous porte à croire que la «déclaration sur les publics significatifs et l'importance relative» est une bonne idée ?

R.E. - Regardons les faits. D'un côté, les entreprises et leur CA gèrent en fonction du court terme. De l'autre, elles produisent des rapports où elles parlent de leurs initiatives de création de valeur partagée. Cela ne fait que créer de la confusion. Les parties prenantes qui ne se soucient que du court terme estiment que le reste est une perte de temps. Et ceux qui se soucient de création de valeur partagée se méfient et évoquent le socioblanchiment ou l'écoblanchiment.

D.B. - Pourquoi votre mouvement aurait-il des chances de décoller ?

R.E. - Les entreprises rencontrent beaucoup de scepticisme et de cynisme. On entend s'élever de plus en plus de voix en faveur d'une gestion à long terme. Or, pour durer, une entreprise doit cerner ce qui peut menacer sa survie. Les investisseurs ne sont pas dupes. Ils demandent aux entreprises : comment ferez-vous pour adopter une vision à long terme ? Sur quelles informations vous appuierez-vous ? La déclaration que je propose aide à répondre à ces questions. Elle libère le CA du bruit de fond pour qu'il se concentre sur l'essentiel.

D.B. - Avez-vous réussi à convaincre des CA de produire la déclaration que vous proposez ?

R.E. - La suédoise Atlas Copco est la première à l'avoir fait. Atlas Copco est une société industrielle de 44 000 employés qui fabrique, entre autres, des systèmes de traitement de l'air, des équipements de construction et des outils électriques. Le rapport intégré 2015 d'Atlas Copco contient une courte section qui fait référence aux choix difficiles que l'entreprise doit faire pour assurer sa pérennité. Cette section comprend un diagramme séparant les enjeux importants des enjeux significatifs.

D.B. - Quand assisterons-nous à la prochaine déclaration ?

R.E. - Je suis conscient que ce sera un défi. Je demande à de grandes sociétés inscrites en Bourse de faire quelque chose qu'elles ont réussi à esquiver jusqu'à présent. Mais soyons clairs, je ne demande pas aux conseils d'accorder de l'attention à quelque chose qui ne compte pas pour leur entreprise. Je leur demande simplement de nous dire ce qui importe pour leur organisation.

D.B. - Êtes-vous de passage à Montréal pour solliciter des appuis canadiens à votre mouvement ?

R.E. - Oui, je cible en particulier le secteur minier qui est sous les projecteurs pour de nombreux enjeux. La déclaration que je propose pourrait les aider.

D.B. - Quel est votre prochain défi ?

R.E. - Parler aux investisseurs institutionnels, aux entreprises et aux administrateurs, je sais faire. Solliciter les foules et utiliser les médias sociaux, je ne sais pas. Pour créer un mouvement, il faudra que j'apprenne.

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