La Tablée des chefs : le communautaire, accélérateur de mission


Édition du 20 Juin 2015

La Tablée des chefs : le communautaire, accélérateur de mission


Édition du 20 Juin 2015

Par Diane Bérard

Jean-François Archambault. [Photo : Martin Flamand]

«Le secteur communautaire repose sur un modèle où, chaque année, de 15 à 100 % du budget est incertain. Aucune entreprise n'accepterait cela, pourtant on perpétue ce modèle depuis des décennies», déplore Jean-François Archambault, fondateur de la Tablée des chefs. Il fait référence aux revenus tirés de la fameuse activité-bénéfice qui, pour certains OBNL, peut représenter les trois quarts, sinon la totalité du budget. «Ce modèle épuise tout le monde, poursuit-il. Les gens d'affaires sont constamment sollicités, et les OBNL dépensent une énergie folle à chercher des présidents de campagne et à monter un cabinet. Ce modèle fonctionne encore, mais de moins en moins bien. Il y a de plus en plus d'événements... mais pas plus de gens pour les fréquenter !»

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Son souci : trouver un modèle plus durable. «J'aime les belles soirées. Mais je rêve du jour où je vais y inviter mes partenaires sans qu'ils aient à payer, juste pour les remercier de notre partenariat. Comme cela se fait dans le monde des affaires conventionnel. Il ne faut plus que ce type d'événement soit la source principale de financement de la Tablée des chefs. Pour l'instant, je ne peux pas m'en priver, mais je dois migrer vers un autre modèle.»

Jean-François Archambault veut être lié à la stratégie des donateurs des grandes entreprises. «Je veux que cela ait du sens pour ces organisations d'investir dans la Tablée des chefs à long terme», poursuit-il. Il tient une piste de solution avec IGA. La Tablée des chefs travaille dans le secteur de l'alimentation, plus précisément, de la sécurité alimentaire. Elle vise entre autres à développer l'autonomie alimentaire des jeunes grâce à des ateliers culinaires. Ses partenaires naturels sont les acteurs du secteur agroalimentaire. Ceux-ci gagnent à investir dans un partenaire social qui travaille sur l'enjeu de la faim et de l'alimentation. La Tablée a déjà collaboré avec Metro et Provigo. Depuis l'automne 2014, elle a signé un partenariat à long terme avec IGA Sobeys. La Tablée dépense chaque année 300 000 $ en nourriture pour ses ateliers alimentaires auprès des adolescents. IGA défraie la moitié des coûts, sous forme de cartes-cadeaux que les chefs des ateliers utilisent pour acheter la nourriture. En contrepartie, la Tablée s'engage à acheter chez IGA l'autre moitié des aliments nécessaires à ces ateliers. Outre des ventes supplémentaires de 150 000 $, quel profit IGA tire-t-elle de l'association avec la Tablée ?

Celle-ci renforce sa nouvelle vision stratégique, qui s'articule autour du plaisir de manger. «Nos ateliers enseignent aux adolescents le plaisir de cuisiner et de bien se nourrir», explique le jeune dirigeant.

Un manque de libre marché

Tous les organismes communautaires devraient avoir des partenaires stratégiques. Mais certains n'ont pas le champ d'intervention requis pour servir d'accélérateur de mission à une grande entreprise. «C'est vrai, reconnaît Jean-François Archambault. Il y aura toujours un besoin pour la philanthropie pure, quelles que soient les tendances en financement.» Il ajoute toutefois qu'au-delà de la nécessité de certains organismes dont la mission se situe en marge d'une logique purement économique, le secteur communautaire souffre du manque de libre marché. «N'importe qui réussissant à amasser un peu de fonds parce qu'il connaît le président d'une entreprise peut lancer un OBNL, dit-il. Comme si cet argent justifiait la pertinence et l'efficacité de l'organisme. Avant d'accréditer un OBNL, le gouvernement devrait étudier l'offre déjà en place dans son secteur et dans son quartier. Sinon, on se retrouve avec une multitude de petits acteurs fragiles, toujours au bord du précipice.» Il ajoute : «Certains organismes ne se sont jamais remis en question, parce qu'ils reçoivent le budget minimum viable année après année.»

Au final, qui déciderait de ceux qui restent et de ceux qui ferment leurs portes ? Le marché, répond l'entrepreneur. D'où la nécessité de mesures fiables et objectives. Une industrie de la mesure de l'impact social s'organise. On y trouve des chaires de recherche et des consultants. «Je veux qu'on me réclame des comptes, insiste Jean-François Archambault. Je ne veux pas que mes donateurs donnent et passent à autre chose. Je souhaite plus de cohérence entre l'investissement social et l'investissement traditionnel. Dans le secteur traditionnel, on investit dans des entreprises performantes et on s'attend à du rendement. Pourquoi ne pas en attendre autant du secteur communautaire ? Je veux que mes donateurs investissent dans la Tablée des chefs et qu'ils suivent leur investissement. Et si je n'atteins pas mes objectifs, je compte sur leur expertise technique, financière ou stratégique pour m'épauler. Utilisons nos donateurs comme de vrais partenaires.» Il conclut sur cette réflexion, «Il ne s'agit pas de mesurer les organismes communautaires pour fermer tous ceux qui éprouvent des difficultés, mais plutôt de mesurer l'efficacité de leurs interventions pour rectifier le tir si nécessaire. Ne pas mesurer les retombées du secteur communautaire sous-entend qu'on ne s'attend pas à grand-chose de ce secteur. Nous méritons mieux.»

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