Économie du partage, ou économie du courtage?


Édition du 05 Mars 2016

Économie du partage, ou économie du courtage?


Édition du 05 Mars 2016

Par Robert Dutton

[Photo : Shutterstock]

Geoff Mulgan est un homme brillant, tourné vers l'avenir et insoupçonnable de toute forme de nostalgie. Il a un CV long comme ça et est reconnu comme un expert de l'innovation. Il est le patron de l'OBNL britannique Nesta (anciennement National Endowment for Science, Technology and the Arts), qui se consacre à la promotion de l'innovation.

Aussi, quand il affirme : «Une tablette qui remplace un cahier d'exercices n'est pas une innovation, seulement une façon différente de prendre des notes», je suis porté à réfléchir à cette phrase, en apparence anodine, pour en découvrir le sens véritable. M. Mulgan veut nous faire comprendre que l'innovation n'est pas là où on voudrait nous la montrer.

Le marché, c'est déjà le partage !

Ainsi en est-il de la soi-disant «économie du partage», qui passe pour être une innovation révolutionnaire. Si innovation il y a, elle se limite au vocabulaire employé : «partage», bien sûr, est un concept plus convivial que «marché». Mais ce n'est rien d'autre. Quand Adam Smith parlait de la valeur d'une chose comme de sa «valeur d'échange», il aurait pu en parler comme de sa «valeur de partage». Le marché, en effet, n'est qu'un lieu de partage : chacun produit pour d'autres, et chacun achète des autres. Si ce n'est pas du partage, je ne sais pas ce que c'est.

Alors, n'y a-t-il eu aucune innovation ? Bien sûr que oui. Mais, comme la tablette à côté du cahier de notes, l'innovation n'est pas nécessairement là où on l'aperçoit.

Uber, Airbnb, ces applications et plateformes souvent évoquées pour illustrer la fameuse «économie du partage», s'inscrivent en fait dans la mouvance de la désintermédiation, ou plus justement de la réintermédiation provoquée par les innovations technologiques en matière de traitement et de communication de l'information. On n'a pas inventé le partage, on a plutôt réinventé le courtage.

Depuis plusieurs années, tous les intermédiaires doivent tour à tour s'adapter ou disparaître : les courtiers en valeurs mobilières ont dû s'adapter au courtage en ligne ; les agences de voyages doivent encore inventer de nouvelles façons d'apporter de la valeur à leurs clients, face aux sites de réservation de vols, d'hôtels et de séjours tout compris.

Bien avant Uber, on pouvait lire dans les journaux de petites annonces publiées par des gens qui offraient de prendre des passagers moyennant un «partage de dépenses» ; dans les années 1980 et 1990, bien avant Airbnb, on pouvait se procurer des catalogues publiés périodiquement de maisons et logements à louer ou à échanger aux quatre coins du monde. Ce ne sont pas les concepts de soi-disant «partage» qui sont innovateurs. C'est l'efficacité des communications qui est nouvelle, et qui en réduit le coût. Uber ne fait rien qu'une centrale téléphonique de taxi ne fait pas : de l'intermédiation entre des voitures avec chauffeur et des clients. Simplement, on peut arguer qu'elle le fait mieux ou plus efficacement. Airbnb ne fait rien que les anciens catalogues de logements à louer ou à échanger ne faisaient pas : mettre en relation des gens désirant offrir leur logement à des gens voulant l'occuper pour de courtes périodes. Le fait de passer d'une plateforme papier à une plateforme dématérialisée ou d'une centrale téléphonique à une application mobile ne devrait logiquement changer ni le cadre juridique ni la fiscalité de l'échange. Prendre des notes avec une tablette, c'est encore et toujours prendre des notes.

Ce que la technologie a changé, c'est d'abaisser les coûts de traitement de l'information et les coûts de transaction. Elle a fait de phénomènes relativement marginaux des phénomènes répandus, donc plus menaçants pour les producteurs de services traditionnels et leurs structures d'intermédiation, traditionnelles elles aussi. C'est l'échelle du «partage» qui est nouvelle.

La technologie comme écran

Il est donc préoccupant de voir la technologie utilisée comme écran pour masquer et embrouiller ce qui ne devrait être, sur le fond, qu'un débat juridique classique : faut-il, oui ou non, un permis pour transporter des personnes contre rémunération, pour louer une chambre à un touriste ? Les transactions et les revenus qui en découlent sont-ils fiscalisables, oui ou non ? Le chauffeur est-il un travailleur indépendant ou un employé ? Le particulier qui loue des chambres doit-il respecter des normes d'hygiène et de sécurité ? Les réponses à ces questions seront spécifiques à chacune des juridictions pertinentes. Elles reposeront sur un environnement juridique donné et sur la nature des relations contractuelles entre des personnes - la technologie, si facilitante soit-elle, n'aura rien à y voir. Dans la majorité des cas, l'interprétation par les tribunaux des lois et règlements existants devrait suffire à établir le droit. Si le législateur doit intervenir, ce sera sans doute pour en faciliter l'application lorsque celle-ci la rend plus difficile.

L'économie du courtage constitue un immense progrès si elle permet une utilisation plus efficace du parc de voitures, de logements, etc. Mais elle doit être vue comme une source d'efficacité. Pas comme une source de droit.

Pendant plus de 20 ans, Robert Dutton a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l’entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d’entrepreneurs à l’École d’entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l’École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

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