Une nouvelle vague d'entrepreneurs québécois déferle sur la Floride


Édition du 12 Décembre 2015

Une nouvelle vague d'entrepreneurs québécois déferle sur la Floride


Édition du 12 Décembre 2015

Par Olivier Schmouker

Kevin Lemieux, vice-président, marketing, de Keca International.

La Floride, paradis des snowbirds ? Plus seulement. Elle devient une rampe de lancement prodigieuse pour un nombre grandissant de jeunes entrepreneurs québécois. Mais c'est une rampe périlleuse pour qui n'a pas le coeur solidement accroché...

À 25 ans, Kevin Lemieux a fait son sac et est parti vivre en Floride, presque du jour au lendemain. Cela faisait des années qu'il travaillait dans la PME de son père, Keca International, qui fabrique à Montréal des chaises et des tables qui sont vendues aux hôtels (Marriott, Hilton, etc.) et aux restaurants (La Cage, Zibo, etc.). Et il était convaincu que son avenir - tout comme celui de Keca - passait par les États-Unis.

«Mon père m'a donné cinq années pour prospecter le marché américain. Les résultats après seulement deux ans : des contrats signés avec des hôtels de luxe à Porto Rico et à Sainte-Lucie ; des représentants recrutés dans plusieurs États voisins (Connecticut, Géorgie, etc.) ; et surtout, des relations incroyables nouées avec des personnes a priori inaccessibles, comme, dernièrement, l'un des principaux acheteurs de mobilier pour Walt Disney World», dit le jeune vice-président, marketing, de Keca International, en sirotant un latte glacé dans un Starbucks de South Beach, à deux pas de la plage ensoleillée.

Une performance qui ravit Pierre Lemieux, son père : «Kevin travaille beaucoup avec sa soeur Cathy, qui fait de nombreux allers-retours entre Montréal et Miami. Tous deux sont de la génération Y et m'ont fait comprendre que Keca ne pouvait pas dormir sur ses lauriers, qu'il nous fallait conquérir les États-Unis en nous servant de la Floride comme d'un tremplin. Je dois reconnaître aujourd'hui qu'ils avaient vu juste : 10 % de notre chiffre d'affaires provient d'ores et déjà de notre voisin du Sud, et ce n'est qu'un début», dit-il.

La PME montréalaise n'est pas la seule à avoir senti le filon et à s'y précipiter. Une récente étude du Consulat général du Canada à Miami répertorie 210 entreprises canadiennes implantées en Floride, lesquelles occupent un total de 625 bureaux. Celles-ci sont surtout présentes aux alentours de Miami et - fait nouveau depuis une poignée d'années - oeuvrent dans un large éventail de secteurs : services financiers et d'assurance (33 %) ; services personnels, aux entreprises et autres (20 %) ; fabrication (18 %) ; soins de santé (7 %) ; technologies de l'information (3 %) ; etc. Parmi elles figurent des fleurons du Québec, comme Aldo, Alimentation Couche-Tard, Bombardier, CAE, GardaWorld, SNC-Lavalin et le Cirque du Soleil.

Une croissance spectaculaire

Deux faits marquants de l'étude résument à eux seuls l'ampleur du phénomène : d'une part, les entreprises canadiennes investissent en Floride pour 3,4 milliards de dollars par an, ce qui, au passage, fournit de l'emploi à quelque 27 000 Floridiens ; d'autre part, les échanges économiques entre le Canada et la Floride connaissent une croissance spectaculaire de 7 % en moyenne par année depuis 2011, par rapport à seulement 2 % au cours de la décennie précédente.

«Les échanges Canada-Floride sont uniques en ce sens que nos entrepreneurs ne se limitent pas à échanger des biens finis, mais visent plutôt à travailler et à produire conjointement des biens et des services», souligne le Consulat général dans son étude.

Qu'est-ce qui attire tant en Floride ? Avant tout, «le faible coût pour y faire des affaires», mais aussi «l'excellente connectivité dans les transports» et «les opportunités d'affaires au niveau international, notamment avec l'Amérique latine et les Caraïbes», d'après l'étude. Bref, la Floride plaît en tant que «rampe de lancement pour se propulser en affaires».

Relever de nouveaux défis

Club Piscine s'interrogeait depuis trois ans sur ses possibilités de croissance. «Nous occupions 90 % du territoire québécois, si bien qu'il ne servait pas à grand-chose d'y ouvrir de nouveaux magasins. Et nous avions déjà lancé la branche fitness pour rester actifs lors de la période creuse de l'hiver. Que pouvions-nous faire de plus ? Ça nous a sauté aux yeux lorsqu'on a vu que des centaines de milliers de Québécois passaient la moitié de l'année en Floride, après avoir acquis des logements à bas prix grâce à la crise de 2008 : cette clientèle potentielle avait forcément besoin de nous», se souvient Martin Rathé, le pdg de Club Piscine.

La décision de tenter l'aventure floridienne a été prise le 15 janvier 2014. Cinq jours plus tard, le pdg a dîné avec deux de ses employés qui désiraient relever de nouveaux défis au sein de l'entreprise, sa fille Catherine et Alexander Issa, qui travaillait à ses côtés à Blainville depuis plusieurs années. «Dès que je leur ai parlé de l'ouverture d'une franchise en Floride, j'ai vu leurs yeux briller. En cinq minutes, c'était réglé», raconte M. Rathé.

Le premier Pool & Patio Depot a ouvert ses portes en mars dernier à Pompano Beach, sur une artère où circulent 60 000 voitures par jour. L'immense logo en façade est reconnaissable de loin par tous les Québécois, avec son sourire jaune soleil.

«Nous avons tenu à ce que la clientèle québécoise nous repère au premier coup d'oeil, même si notre nom a été américanisé. Parce que nous sommes pour eux un gage de qualité et de confiance, avec cet atout que nos services sont offerts en français», dit M. Issa, directeur général et actionnaire de la franchise d'une superficie de 100 000 mètres carrés. Et Catherine Rathé, la vice-présidente, opérations, ajoute, radieuse : «Les premiers mois dépassent nos espoirs les plus fous. Un exemple : nous avons vendu quatre fois plus de spas Jacuzzi que prévu. Nous pensions démarrer en douceur ; eh bien, ce n'est vraiment pas ce qui s'est passé !»

Club Piscine songe d'ores et déjà à accélérer son expansion américaine : «À court terme, nous pourrions ouvrir d'autres magasins ici, à Orlando, Tampa ou Fort Myers. Et après ça, continuer un peu plus loin», confie M. Rathé, débordant d'enthousiasme.

Dans la même veine, un restaurant Thursday's, cousin de celui de Montréal, a vu le jour en octobre dernier à Fort Lauderdale dans l'idée de tirer profit de la forte présence québécoise au nord de Miami. «La décoration vise à reconstituer un petit coin de chez nous, avec des éléments issus des anciennes propriétés d'affaires de Bernard, mon père, comme les lustres de l'Hôtel de la Montagne et les statues de crocodiles de son premier bar montréalais», explique Savannah Ragueneau, directrice générale du restaurant floridien, qui sert de la poutine en hors-d'oeuvre.

«Le mobilier et la vaisselle sont identiques à ceux du Thursday's de la rue Crescent. Sans parler des affiches du Canadien provenant de la collection de mon père», ajoute-t-elle.

Une approche qui séduit avant tout... les Floridiens ! «C'est une surprise pour nous : 90 % de notre clientèle est américaine. Ce qui est un succès, mais pas tel qu'on l'avait anticipé», indique l'entrepreneure issue de la génération Y. Elle précise, sourire en coin, que «tout ce qui est français est irrésistible pour les Américains».

Un paradis qui peut devenir un enfer

« J’ai conscience que faire des affaires là-bas n’est pas simple, mais je vois maintenant notre avenir là-bas, et non plus ici. » – Mathieu Fortin, vice-président, création, de Kamicase.

La Floride est-elle donc le paradis des entrepreneurs ? Pas toujours. «L'obtention des permis - permis de travail, de rénovation de locaux, etc. - est souvent un cauchemar en Floride. Ça peut vraiment prendre des mois, voire des années, pour avoir tous les feux verts légaux : on a déjà vu des projets s'écrouler à cause de ça», affirme Vanessa Racicot, directrice générale de la Chambre de commerce Québec-Floride (CCQF).

Il est également facile de se perdre dans les subtilités fiscales américaines, d'après Daniel Veilleux, pdg de Desjardins Bank, et Michael Côté, pdg de la Natbank. «Nombre d'entrepreneurs tombent de haut à cause des réglementations en vigueur aux États-Unis. Un exemple : même des entreprises bénéficiant d'une solide réputation au Canada peuvent peiner à ouvrir un compte bancaire ici !» dit M. Côté.

Mais le plus grand péril est insoupçonné, car insoupçonnable : le choc psychologique lié à l'expatriation. «Parmi mes clients, j'ai des couples brisés parce que l'homme trime comme un fou pendant que la femme s'ennuie à mourir toute la journée, ou encore des adolescentes désespérées d'avoir dû quitter leur chum pour suivre leurs parents en Floride», révèle la psychanalyste Bérénice Boursier, dont le bureau est situé à Brickell, le quartier des affaires de Miami.

C'est que personne ne prévoit la moindre embûche psychologique lorsqu'il décide de tenter sa chance en Floride. «Ici, il y a toujours le soleil, la plage et le succès, croit-on. Alors, quand nos affaires ne marchent pas comme on l'espérait, c'est le drame», poursuit-elle.

Un couple, accompagné de ses trois enfants, a récemment repris un restaurant à Miami, mais ne peut toujours pas ouvrir, faute d'obtenir les permis nécessaires. Ça traîne en longueur. Chaque début de mois, les membres du couple pensent que ce n'est qu'une question de semaines. Et ils attendent, vivant sur leurs économies, honteux de confier à leurs proches l'inimaginable, à savoir qu'ils sont en situation d'échec. Leurs visas viennent d'expirer, et ils vivent à présent dans la clandestinité et ont retiré les enfants de l'école pour passer inaperçus. C'est l'impasse, à tel point que la petite famille isolée est au bord de l'implosion.

On le voit bien, le rêve floridien est plus fort que tout. «J'ai participé à la dernière mission commerciale de la CCQF, ce qui m'a permis de décrocher deux contrats "comme ça", dit en claquant des doigts Mathieu Fortin, vice-président, création, de l'agence montréalaise Kamicase. J'ai conscience que faire des affaires là-bas n'est pas simple, mais je vois maintenant notre avenir là-bas, et non plus ici. Parce qu'en Floride, sky is the limit et le ciel y est toujours bleu !»

Tirer profit du bouillonnement créatif de Wynwood


La boutique de Marie Saint Pierre à Wynwood, inaugurée le 14 novembre dernier.

D.J. latino, top-modèles et vin pétillant californien... La soirée d'inauguration de la première boutique-galerie américaine de la designer de mode Marie Saint Pierre a attiré plus de 200 personnes, le 14 novembre dernier. Un événement qui a illuminé la nuit de Wynwood, le quartier bohème de Miami, célèbre pour ses façades d'entrepôts recouvertes de gigantesques fresques signées par les meilleurs graffeurs du monde.

«Marie a choisi non pas New York ou Los Angeles, mais Wynwood, parce que c'est un lieu en avance sur son temps. Il y a là un bouillonnement créatif à nul autre pareil : on trouve même sur les trottoirs des poèmes peints au pochoir qui font le tour du monde grâce aux médias sociaux ! Et ce bouillonnement agit comme un aimant pour les gens d'affaires et les influenceurs d'ici et du monde entier», dit Danielle Charest, vice-présidente et partenaire de Marie Saint Pierre, assise sur l'un des poufs spongieux de la boutique-galerie, au pied d'une toile de Marc Séguin. Elle donne pour preuve la ruée de millionnaires dans le quartier à l'occasion de la plus importante manifestation d'art contemporain du monde, l'Art Basel Miami Beach, à l'occasion de laquelle l'acteur Leonardo DiCaprio, par exemple, a acheté l'année dernière une oeuvre du peintre américain Frank Stella pour plus d'un million de dollars.

C'est d'ailleurs au cours de l'édition 2015 de l'Art Basel que le graffeur Retna, qui a réalisé la pochette du dernier CD de Justin Bieber, a fait sensation à la galerie Macaya de Patrick Glémaud, au nord de Wynwood. Il y a rehaussé en public une Ferrari F430 Challenge de ses hiéroglyphes artistiques, et l'oeuvre a ensuite été vendue aux enchères.

«J'ai réussi à faire venir cette star mondiale dans ma petite galerie grâce à mon réseau de relations francophones de Miami, explique Patrick Glémaud. Un ami m'a fait rencontrer l'agent de Retna à une soirée, et on a constaté qu'on parlait tous français, ce qui a noué des liens incroyables. Voici le résultat !» raconte celui qui vit un rêve éveillé depuis qu'il a quitté sa vie de consultant en droit à Ottawa pour ouvrir sa galerie «au soleil», il y a un an et demi.

«Un truc aussi dingue, ça ne peut arriver qu'ici», dit-il, les yeux pétillants.

Quelques chiffres

270 : Nombre d'entreprises canadiennes implantées en Floride

33 % : Pourcentage des entreprises canadiennes qui offrent des services financiers et d'assurance aux Floridiens

Source : «Étude d'impact économique Canada-Floride», Consulat général du Canada à Miami, 2015.

35 % : Pourcentage des entreprises canadiennes présentes dans le sud-est de l'État (comtés de Miami-Dade, Broward et Palm Beach)

3,4 G$ : Investissements annuels effectués en Floride par les entreprises canadiennes, soit 12 % des investissements étrangers

3 : Nombre de succursales floridiennes de Desjardins Bank et de Natbank

Source : «Étude d'impact économique Canada-Floride», Consulat général du Canada à Miami, 2015.

Tenté par l'aventure floridienne ? Trois conseils s'imposent :

> Lisez des journaux locaux francophones (Hebdo Floride, Le Courrier de Floride, etc.) et anglophones (Miami New Times, The Miami Herald, etc.) afin d'être au fait de l'actualité.

> Réseautez, grâce, entre autres, à la Chambre de commerce Québec-Floride et à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

> Explorez les différentes villes qui pourraient accueillir vos activités, pour vous assurer que la Floride est bel et bien faite pour vous.

À lire sur le Web
Lisez le Carnet de route d'Olivier Schmouker en Floride à : www.lesaffaires.com/monde/amerique/les-affaires-en-floride/583918

Suivez Olivier Schmouker sur Twitter @OSchmouker

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