Un samouraï aux commandes de la Nationale

Publié le 01/07/2009 à 00:00

Un samouraï aux commandes de la Nationale

Publié le 01/07/2009 à 00:00

Corriger le tir, alléger le fonctionnement et se rapprocher de la clientèle... Sous la direction de Louis Vachon, la Nationale se réinvente à grands coups de sabre !

La photo présente un homme aux airs de samouraï traditionnel japonais tenant un shinai, le sabre de bambou utilisé dans la pratique du kendo. Comme de tout art martial, il s'en dégage une impression à la fois cérémonieuse et intimidante.

Le samouraï, c'est Louis Vachon, ceinture noire en kendo, PDG de la Banque Nationale du Canada (BNC).

" Le kendo demande de la discipline, de la persévérance, un bon contrôle de soi et la capacité de canaliser son énergie ", répond-il quand on lui demande ce qui l'a attiré vers cette discipline. Et son côté belliqueux ? " Le kendo a des origines militaires, mais cet aspect a disparu depuis longtemps, dit-il en souriant. Ce n'est pas parce que j'aime recevoir des coups de bâton ou en donner que je le pratique ! "

Des coups, il en a pourtant reçu et donné ces derniers mois - au sens figuré, s'entend. La Nationale a pâti de sa gestion du risque, l'ancienne spécialité de Louis Vachon lui-même. " Ce sera un défi pour lui de contrer cet échec-là ", commente Steve Bélisle, analyste chez Investissements Standard Life.

La BNC vient de traverser la pire tempête financière depuis la Grande Dépression. Le calme reviendra. Les questions fondamentales, elles, demeurent. Louis Vachon a donc décidé de laisser sa marque et de lancer une importante réorganisation interne. En poste depuis juin 2007, il a accepté les coups, certes, mais il a répliqué. Il s'est retrouvé sur la sellette tour à tour à cause de l'exposition importante de la BNC au papier commercial et des dévaluations qui ont suivi, et pour ses prises de position affirmées sur la rémunération des banquiers. Mais l'essentiel à ses yeux est maintenant de repositionner la BNC.

Un client, une banque

Crise ou non, la Nationale était mûre pour un changement. Et elle n'est pas la seule à être assaillie de doutes existentiels. Le Mouvement Desjardins, dont le bilan a lui aussi été sérieusement touché par la récession - et par le papier commercial -, a complètement refait son organigramme, aidé en cela par la firme internationale Mackenzie & Associates. La BNC, elle, a retenu les services du Boston Consulting Group, un autre poids lourd de la consultation. Objectif : corriger le tir, alléger le fonctionnement et se rapprocher de la clientèle.

Le programme de la BNC tourne autour d'un slogan plus ambitieux qu'il n'en a l'air : " Un client, une banque ". Parce qu'elle veut maintenir et consolider ses liens avec des clients courtisés de toutes parts, la BNC entend mettre de l'ordre dans son offre de services. Attendez-vous aussi à ce qu'on rétablisse la formule éprouvée des succursales où les gens peuvent discuter avec de vraies personnes.

" Depuis 20 ans, nous avons connu une bonne croissance, soutenue par des acquisitions ", note Louis Vachon. Au fil du temps, ces différentes divisions ont gagné beaucoup d'autonomie, à tel point que, comme d'autres, la BNC s'est mise à courir dans bien des directions. Peu de temps après avoir pris la succession de Réal Raymond, en juin 2007, Louis Vachon sent que le marché arrive à maturité et qu'il devient essentiel de miser sur l'efficacité. Un coup de barre s'impose.

Il en est ressorti ce slogan révélateur (" Un client, une banque ") de la stratégie qu'entend suivre la BNC. L'offre devient globale. Un client qui veut qu'on s'occupe de ses affaires n'aura plus à faire la tournée des bureaux. L'heure est à l'intégration. La technologie devra suivre, au moyen d'un système vraiment uniformisé. " Une organisation centrée non pas sur les produits mais sur la clientèle ; une culture de collaboration au sein de l'institution ; une technologie qui offre les outils appropriés pour avoir une vision intégrée du client : ce sont là les trois axes principaux, souligne Louis Vachon. Ce modèle repose davantage sur les relations que sur les transactions. "

" Nous sommes en train de terminer cette transformation ", précise Réjean Lévesque, vice-président exécutif, Particuliers et Service aux entreprises. " L'ancienne gestion en silo pouvait créer des situations où le même client était sollicité trois fois. C'était devenu inacceptable, dit-il. En gestion du patrimoine, par exemple, il peut nous arriver d'envoyer des clients chez mon collègue Luc Paiement, dont c'est la responsabilité, et c'est tant mieux. "

Quand on sait que la gestion du patrimoine représente maintenant 20 % des revenus de la BNC, il est normal qu'elle soit traitée avec beaucoup d'égards... " Et ce chiffre pourrait augmenter ", dit Luc Paiement, coprésident et cochef de la direction de la Banque, qui gère ce secteur. " Mais le marché est plus mûr qu'il ne l'était. Ça devient une guerre de parts de marché. La meilleure offre l'emportera. De là l'importance de rassembler nos forces. " Quelle a été l'influence du PDG à cet égard ? " "Un client, une banque" traduit bien sa pensée. Il nous pousse sans cesse à miser sur les clients et à prendre leurs intérêts à coeur. "

Encore que... des gens qui ont leurs habitudes pourraient se sentir bousculés. " Certains clients peuvent avoir l'impression que leurs secrets vont se propager un peu partout dans l'organisation. Concilier les intérêts de chacun avec les intérêts de l'organisation, c'est plus facile à dire qu'à faire ", souligne Jean Roy, professeur titulaire de finance à HEC Montréal. Il faudra du doigté. " En fait, l'enjeu de la Banque, c'est d'intensifier ses relations avec ses clients et de les fidéliser, dit-il. Au Québec, il n'est pas rare de voir des gens traiter à la fois avec Desjardins et avec la Nationale. " Jean Roy souligne cependant que du point de vue du marketing, la stratégie est porteuse : " À partir d'un dossier intégré, on peut plus facilement effectuer du forage de données (data mining) et d'autres études apparentées que s'il nous fallait travailler à partir de dossiers fragmentés. Pour la Banque, c'est un avantage. "

" Leur problème consiste à maintenir l'élan et la croissance, dit Christian Roy, associé chez Secor et expert en stratégie. " Il faut éviter de perdre des clients. Par exemple, le Mouvement Desjardins veut développer le marché des PME, traditionnellement l'apanage de la BNC. La concurrence devient plus forte ", souligne-t-il. Et la BNC n'est pas la seule à miser sur un rapport plus étroit avec la clientèle. " L'idée d'intégrer les services montre que la haute direction est sérieuse et déterminée, dit-il. C'est de la bonne gouvernance. La vision est là. Mais se concrétisera-t-elle là où ça compte, sur le terrain ? "

Réjean Lévesque reconnaît que des frictions risquent de survenir. L'abnégation, ce n'est pas toujours payant. C'est beau d'envoyer le client chez son collègue parce que la logique l'exige, mais si ce collègue est seul à améliorer sa fiche... Comment convaincre un planificateur financier, par exemple, de renoncer à un compte d'un million de dollars pour le bien du client et pour celui de l'institution, sans pouvoir l'inscrire à son propre bilan ? Le vice-président exécutif se fait rassurant. " Si le transfert est bien exécuté, l'objectif est atteint. Personne ne souffrira d'avoir bien fait son travail. Au contraire, les programmes de rémunération tiendront compte des bons comportements. "

Une banque, des racines

Parallèlement, la BNC a reconnu son identité de banque supra régionale et elle brandit cette proximité comme un avantage concurrentiel. Sans renoncer aux alliances internationales, son royaume, c'est le Québec. Il n'y a pas de cibles américaines dans le collimateur. " Nous évoluons, nos clients et nous, dans la même société, nous partageons les mêmes valeurs, la haute direction est visible et accessible ", dit Louis Vachon.

Il est lui-même issu d'une famille identifiée au terroir et à l'entrepreneuriat. Son arrière-grand-mère est un personnage légendaire : Rose-Anna Vachon a ouvert sa première boulangerie en 1878 à Sainte-Marie-de-Beauce. Un de ses petits-fils, Raymond, le père de Louis Vachon, a été un des fondateurs de la firme Dumont Express (à l'origine de Transforce), avant de devenir doyen de la Faculté d'administration de l'Université de Sherbrooke au début des années 1970. Il a même fait la une de Commerce, en mai 1967, en tant qu'Homme du mois !

À la fin de ses études secondaires, Louis Vachon, qui a grandi à Lévis, prend le chemin des États-Unis. Sans plan de carrière bien défini, il s'inscrit au Bates College, à Lewiston, dans le Maine. Un de ses professeurs met au programme The Billion Dollar Sure Thing, de l'auteur californien Paul Erdman. Pour Louis Vachon, c'est une révélation. " C'est le premier vrai roman d'économie financière à avoir vulgarisé en même temps de grands thèmes comme la monnaie ou le taux de chômage, dit-il. J'ai découvert l'univers de la finance internationale, et j'ai compris en même temps que le monde des affaires m'intéressait. "

Son nouvel engouement le conduit vers la réputée Fletcher School, au Massachusetts, où il décroche une maîtrise en finance internationale. En 1985, il débute sa carrière chez Citicorp, avant de se joindre l'année suivante à Lévesque Beaubien, devenu depuis la Financière Banque Nationale. Même s'il n'aura que 47 ans en juillet, Louis Vachon fêtera bientôt un quart de siècle de service à la BNC !

Son bref passage chez Citicorp lui aura permis de faire la connaissance d'un jeune collègue, Richard Pascoe, aujourd'hui coprésident et chef de la direction des marchés financiers à la BNC. Il fait aujourd'hui partie de la garde rapprochée de Louis Vachon, le " bureau de la présidence ", une innovation dans le haut management qui compte huit membres. À l'époque de l'ancien président, Réal Raymond, on parlait de comité de direction, et Richard Pascoe en faisait déjà partie. " Tout était plus formel. Louis veut que tout soit débattu ouvertement. Toutes les opinions comptent. C'est une formule plus animée, plus dynamique ", dit-il.

Luc Paiement et Réjean Lévesque sont également membres de cet état-major depuis un an. " Nous pouvons remettre en question les propositions qui sont présentées, préciser le pour et le contre pour que les orientations soient partagées par tous, dit Réjean Lévesque. C'est une discussion très collégiale. Mais à la fin, une personne tranche, et c'est le patron. " " Qu'on soit d'accord ou non, quand la décision est prise, tout le monde se rallie à la stratégie ", confirme la chef des finances, Patricia Curadeau-Grou, vice-présidente exécutive, Finances, Risque et Trésorerie, qui participe elle aussi au bureau de la présidence. " On ne fait pas le rapprochement des secteurs de la finance et du risque. Mais c'est le principe : en les rassemblant, on peut parvenir très vite à des solutions rapides et applicables. Une approche concertée, c'est ça, et c'est bien la vision de Louis Vachon. "

Le retour de la brique et du mortier

Sa vision englobe un autre secteur stratégique. Quoique, dans ce cas-ci, c'est davantage un " retour vers le futur " : les bonnes vieilles succursales vont reprendre du galon.

" Nos clients ont parlé, dit Réjean Lévesque. Les succursales redeviennent une plaque tournante pour l'offre de services financiers. " Le budget alloué à l'ouverture de nouveaux établissements triple : il atteint maintenant 90 millions de dollars pour les trois prochaines années. " Nous reconnaissons l'importance du contact. Au Canada, et au Québec en particulier, les gens apprécient le service de proximité. Même si les succursales deviennent un véritable portail, nos clients les plus importants auront toujours accès à la haute direction ", précise Louis Vachon.

Encore faudra-t-il gérer cette relation. Le monde est devenu plus complexe. " Il y a 30 ans, votre directeur de comptes pouvait vous offrir tous les services bancaires de base, et pour le reste, vous alliez voir ailleurs ", dit Sylvain Vincent, associé directeur pour l'Est-du-Canada chez Ernst & Young, qui a travaillé avec les institutions financières tout au long de sa carrière. " L'industrie était moins consolidée. On trouvait plusieurs firmes de courtage indépendantes. Puis, l'intégration est survenue. Il faut maintenant digérer ces acquisitions, et c'est manifestement l'objectif de la Banque. " Sylvain Vincent établit un parallèle avec ce qui s'est passé dans les firmes-conseils comme la sienne. " Le client n'a pas besoin de 10 numéros de téléphone différents. Et même s'il sait que son interlocuteur n'est pas compétent en tout, il sait qu'il sera dirigé aux bons endroits. C'est un sain retour à la base. Et quand le message vient d'en haut, il est plus fort. "

Obligation de résultats

C'est beau, la philosophie, mais encore faut-il faire de l'argent ! À cet égard, la BNC a connu, comme les autres, un passage à vide en 2008. Et l'épisode du papier commercial adossé à des actifs n'a pas aidé. La Nationale s'est avérée la plus exposée de toutes les institutions financières canadiennes (Caisse de dépôt mise à part).

Quand même, " elle a eu récemment de meilleurs résultats que ses concurrentes, parce qu'elle est moins vulnérable à la bulle immobilière et à la faiblesse de l'industrie automobile ", commente Steve Bélisle, analyste chez Investissements Standard Life. Ce dernier note en même temps que d'autres options que la clientèle de détail doivent être examinées. " Toutes les banques visent le détail. Or, il faudrait également surveiller le wholesale, où les marges sont meilleures. " Croit-il que le repositionnement de la BNC lui sera profitable ? " Il est trop tôt pour le dire. À première vue, je ne vois dans sa stratégie rien qui sorte de l'ordinaire par rapport aux autres banques. "

Louis Vachon sait qu'il est sur la sellette. D'autant plus qu'il prend la relève de deux dirigeants qui ont marqué l'histoire de la Nationale. " André Bérard a participé à l'émergence du Québec inc., ce qui a fortement contribué au développement de nos affaires. Réal Raymond a insisté sur une gestion saine et il a mis l'accent sur le service à la clientèle. Je crois à la continuité et à l'intégration. Nous entrons dans la deuxième génération du service à la clientèle. " Et pour ceux qui hausseront les épaules en disant que tout ça n'est pas très original ? " Vous allez voir, compte tenu de tout ce qui est arrivé, être une banque plate, c'est en train de redevenir à la mode ! "

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