Entrevue n°189: Michael Elliott, pdg de One


Édition du 01 Février 2014

Entrevue n°189: Michael Elliott, pdg de One


Édition du 01 Février 2014

Par Diane Bérard

Michael Elliott, pdg de One, le lobby contre la pauvreté et pour une meilleure santé publique, cofondé par le chanteur Bono

Le Britannique Michael Elliott a dirigé les magazines Newsweek et Time. Depuis juin 2011, il est pdg de One, le lobby contre la pauvreté et pour une meilleure santé publique cofondé par le chanteur Bono. J'ai rencontré Michael Elliott à New York, alors qu'il était conférencier pour l'événement «The World in 2014», organisé par The Economist.

Diane Bérard - Reponsabilité sociale des entreprises (RSE), entreprises sociales, investissement à impact social... Les frontières se brouillent entre les concepts. Éclairez-nous.

MIchael Elliott - Le concept de RSE a toujours sa place. Ce sont les gestes à impact environnemental ou social que posent les entreprises traditionnelles. Mais il existe aussi des entreprises qui ont ciblé une occasion d'affaires consistant à combler un besoin social ou environnemental. Leur unique raison d'être consiste à résoudre un problème social ou environnemental, contrairement aux entreprises qui pratiquent la RSE pour se comporter en bons citoyens. Enfin, d'autres organisations préfèrent réaliser des investissements d'impact dans des entreprises sociales plutôt que de se lancer elles-mêmes dans l'entrepreneuriat social.

D.B. - L'entrepreneuriat social est-il la nouvelle philanthropie ?

m.E. - Non. On trouvera toujours des organisations philanthropiques traditionnelles, comme la Fondation Gates, qui n'attendent aucun rendement financier pour elles-mêmes. Elles visent un impact pour les investissements.

D.B. - Quel rôle One joue-t-elle dans cet écosystème ?

M.E. - One est une organisation non partisane cofondée par Bono. Nous sommes un groupe de défense lié à la pauvreté extrême et à la santé, financé par les philanthropes et les fondations. Nous collaborons avec les gouvernements, les entreprises et les ONG. Notre stratégie combine des interventions privées, auprès des gouvernements, à une action publique, par l'intermédiaire de nos membres. Nous comptons des bureaux notamment à New York, Londres et Johannesburg. Et quatre millions de membres dans 190 pays.

D.B. - One est aussi à l'origine de Red, un exemple célèbre de marketing de cause. De quoi s'agit-il ?

M.E. - Red est une division de One. Nous nous sommes associés à des marques cultes, telles Apple et Starbucks, pour qu'elles développent des produits de couleur rouge dont une partie des profits est versée au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Red a permis de recueillir, entre autres, 215 millions de dollars pour la lutte contre le sida en Afrique.

D.B. - De plus en plus d'entreprises s'attaquent aux problèmes sociaux. Font-elles mieux que les gouvernements ou les ONG ?

M.E. - Ni mieux ni pire, elles agissent autrement. On serait tenté de croire que tous les investissements se valent. Qu'un dollar d'aide internationale équivaut à un dollar investi par une entreprise. Il n'en est rien. Cet argent va à des bénéficiaires différents et il est consacré à des usages différents. Prenons 1 000 $ donnés par un immigrant à sa famille restée sur place. Cette somme sera injectée directement dans le budget familial, mais on ignore à quel usage elle sera consacrée. Prenons ces mêmes 1 000 $ investis par une entreprise dans la ville où se trouve cette famille. Cet investissement est collé aux besoins de l'entreprise. Quand Bombardier investit en Afrique, c'est pour vendre des trains ou des avions. Cela ne vient pas en contradiction avec un effet positif sur la communauté. Mais ces deux impacts ne sont pas les mêmes.

D.B. - Concurrence, dédoublement, gaspillage... L'aide internationale a essuyé de sévères critiques.

M.E. - Nous collaborons mieux qu'avant. Nous sommes conscients qu'aucun d'entre nous n'a les moyens suffisants pour régler un problème à lui seul.

D.B. - Certains problèmes sociaux semblent impossibles à résoudre...

M.E. - Un problème global est la somme de problèmes individuels. Pour le résoudre, il faut le décortiquer et ensuite cerner les causes avec rigueur pour cibler les interventions et les intervenants requis. Prenons le dossier de la santé des femmes, un énorme défi composé, entre autres de l'enjeu de la mortalité lors de l'accouchement. Pourquoi tant de femmes meurent-elles en couches ? Parce qu'elles accouchent dans des cliniques sans électricité, sans appareils en cas de complication. Ou qu'elles doivent marcher des milles pour se rendre à la clinique. Comment y remédier ? En bâtissant des routes. En électrifiant. L'argent de la diaspora peut-il régler le problème ? Probablement pas. Les investissements des entreprises ? Probablement davantage.

D.B. - On évoque de plus en plus le concept de «faire le bien et faire de l'argent» pour les entreprises. Vous l'appliquez même dans la lutte au SIDA. Comment ?

M.E. - Les entreprises comprennent que nombre d'interventions améliorent à la fois leur bilan et le bien-être collectif. Certains exemples sont devenus évidents. Les bienfaits d'une réduction de l'emballage, par exemple. Aujourd'hui, nous passons à une autre étape. Celle-ci comprend des gestes comme les investissements majeurs des entreprises pour lutter contre le sida en Afrique. Ces entreprises reconnaissent qu'au-delà des ravages humains et sociaux, cette maladie a un impact important sur le recrutement et l'absentéisme pour tous les employeurs de ce continent. Les résultats sont encourageants. Il y a 10 ans, de 30 000 à 40 000 Africains avaient accès à un médicament antirétroviral. Celui-ci réduit de 96 % les risques de transmission du sida de la part d'une personne infectée. Aujourd'hui, huit millions d'Africains ont accès à un antirétroviral.

D.B. - Vous arrive-t-il de douter des motivations et de la contribution sociale réelle des entreprises ?

M.E. - Bien sûr. Je lève mon chapeau à toutes les entreprises qui tentent de conjuguer «faire le bien» à «faire de l'argent». Mais je conserve un regard sceptique sur leurs interventions. Il faut s'assurer que les contributions sont réelles, qu'elles vont au-delà des apparences. Rester sceptique, jamais cynique.

D.B. - Quel rôle voyez-vous pour les entreprises dans la résolution des problèmes mondiaux ?

M.E. - Le destin des entreprises est lié à la démographie. Au cours des 20 prochaines années, 90 % de la croissance de la population sera enregistrée dans les pays en développement. C'est là qu'il faut investir. Mais pour que ces investissements soient bien accueillis, ils doivent comprendre un impact social. Si elles veulent croître, les entreprises contribueront inévitablement à résoudre les grands problèmes mondiaux.

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