Les nouvelles ambitions d'Alexandre Taillefer


Édition du 28 Janvier 2017

Les nouvelles ambitions d'Alexandre Taillefer


Édition du 28 Janvier 2017

L’ancien Dragon a développé quelque chose de rare pour un homme d’affaires : de l’appétit pour les médias. [Photo : Alain Décarie]

L'acquisition de L'actualité est un jalon vers la création d'un conglomérat culturel et médiatique que l'entrepreneur voudrait amener en Bourse.

La période des fêtes est passée comme un coup de vent pour Alexandre Taillefer. «J'en aurais pris encore un peu», dit-il avant de s'assoir derrière son bureau, au 5e étage de l'édifice de Musique Plus, au coin des rues Sainte-Catherine et Bleury, au centre-ville de Montréal.

C'est à se demander si l'entrepreneur a eu le temps de prendre congé. Il s'est tout juste écoulé deux semaines depuis l'annonce de l'acquisition du magazine L'actualité, faite à trois jours de Noël. Ça n'en faisait pas pour autant une surprise, les rumeurs de transaction s'intensifiaient depuis l'automne. Par contre, ce qui a mené l'entrepreneur de 44 ans à se porter acquéreur de la prestigieuse publication était moins clair.

De tous les médias traditionnels, le magazine généraliste imprimé est celui qui souffre le plus de la désertion publicitaire. L'actualité n'y échappe pas, malgré son imposant lectorat, la cote d'amour dont il jouit et la qualité de son équipe. Et il est un peu là, le problème : maintenir un tirage (plus de 100 000 exemplaires) et des normes de qualité élevées alors que la publicité fuit le papier glacé pour se réfugier sur YouTube et sur Facebook, il n'y a rien là pour faire accourir les investisseurs.

Alors, on l'aurait plutôt imaginé répondre «Je passe», mais depuis qu'il a pris une participation dans l'hebdomadaire culturel Voir en 2015 (qu'il a converti en magazine mensuel), l'ancien Dragon a développé quelque chose de rare pour un homme d'affaires : de l'appétit pour les médias. Et une vision pour ceux-ci, qu'il a bien voulu partager en entrevue avec Les Affaires.

L'entrepreneur de gauche

Il est difficile de décoder la transaction sans s'élever un peu et regarder le fonctionnement des entreprises dans lesquelles est mêlé Alexandre Taillefer. Mais il faut d'abord se pencher plus près sur l'individu, dont les motivations ne sont pas seulement liées aux affaires. On connaît depuis longtemps l'intérêt de l'entrepreneur pour le monde des arts, mais depuis plus récemment, il n'hésite pas à afficher ses couleurs politiques et sociales. «Je me suis autocollé une étiquette de gauche. Je ne suis pas communiste, mais je suis pour la primauté du bien commun. C'est plus important que le bien individuel», dit-il.

Le gars originaire de Montréal s'anime lorsqu'il aborde les enjeux de société. Il retire ses bottillons de sport, qu'on pourrait confondre avec des chaussures de ski de fond, puis il se lève de sa chaise pour enlever sa veste et faire les cent pas en chaussettes derrière son bureau. Il plaide pour l'importance des médias locaux, pour la sauvegarde de l'identité culturelle québécoise et pour l'autonomie politique du Québec.

Pour empêcher les sociétés multinationales de laminer la culture locale et de concurrencer nos entreprises «sans payer de taxes», il se dit en faveur de gestes «protectionnistes», un mot qu'il sait tabou avec l'arrivée dans le décor de Donald Trump, pourfendeur en chef du libre-échange. «Je sais que ça va hérisser le poil chez certains, mais il faut une forme de protectionnisme si on veut survivre en tant que société», dit celui qui dirige aussi le conseil d'administration du Musée d'art contemporain de Montréal.

On s'écarte de la business, mais les idées d'Alexandre Taillefer teintent fortement sa façon de faire des affaires. Sans elles, il n'aurait probablement jamais lorgné les médias.

Bien sûr, ses idéaux n'ont pas inhibé son sens des affaires. Quand on lui demande combien il a payé pour mettre la main sur L'actualité, du tac au tac, il répond : «pas cher». Avec assurance, il dit que le magazine sera rentable en 2017. Le magazine parvenait tout juste à tirer un profit, mais avant que ne soient appliqués par Rogers les frais administratifs. Avant de présenter son plan de match, faisons l'inventaire des outils dont dispose le nouveau propriétaire pour revigorer L'actualité.

L'univers Taillefer

Nous ne retracerons pas ici le parcours entrepreneurial un peu rocambolesque d'Alexandre Taillefer. Commençons seulement par dire qu'il est à la tête de XPND Capital (il prononce «expand»), un fonds d'investissement qu'il a démarré en 2011. Cette société a des participations dans plusieurs entreprises, dont Taxelco, qui regroupe Téo Taxi, Taxi Diamond et Taxi Hochelaga. Le portefeuille de XPND compte deux autres entités qui jouent un rôle de premier plan dans la stratégie média : Média Boutique et Mishmash.

On croirait être en présence des deux hémisphères du cerveau d'Alexandre Taillefer. La première est une entreprise technologique, la seconde est souvent décrite comme un «collectif» de divertissement, la vision culturelle de XPND et de son associé principal. Elle regroupe plusieurs organisations culturelles et médiatiques, dont Piknik Électronik (événements), La Tribu (disques, concerts, salles de spectacles, agence d'artistes), Productions Opéra (spectacles, dont Another Brick in The Wall) et Voir (média). C'est ce giron qu'ira rejoindre L'actualité.

Quant à Média Boutique, elle est le résultat d'un essaimage de Communications Voir. Outre XPND, elle compte parmi ses actionnaires Lune Rouge Innovation, la société d'investissement de Guy Laliberté, ainsi que les dirigeants de Voir, Hugues Maillot et Michel Fortin.

Média Boutique est à la fois une plateforme de monétisation publicitaire et un système de paiement. Créé par Voir avant l'arrivée de Taillefer, elle permet aux annonceurs d'acheter de l'espace publicitaire en nature, grâce à des cartes-cadeaux que Média Boutique revend aux lecteurs, avec une bonification pour ces derniers de 25 à 40 %.

Par exemple, un commerçant peut acheter un espace publicitaire en échange de 5 000 dollars de produits ou services. Média Boutique mettra ces cartes-cadeaux en vente par Internet, mais pour, par exemple, 3 500 dollars, la différence servant à bonifier l'offre auprès des lecteurs. En payant 100 $, un lecteur pourra dépenser de 125 à 140 $ chez l'annonceur.

«À 10 heures, chaque matin, on met en vente les cartes-cadeaux. Pour des annonceurs comme Renaud-Bray, on a tout liquidé à 10 h 01», affirme Alexandre Taillefer.

Simple en principe, la plateforme repose sur un système de paiement à forte teneur technologique. Les clients ne transportent pas avec eux des cartes-cadeaux, mais une carte en plastique qui fonctionne, comme la bonne vieille carte de crédit, sur les terminaux de paiement électronique des marchands. Les adeptes de la formule emmagasinent sur une seule carte des dollars qu'ils peuvent dépenser tantôt dans une boucherie, tantôt pour un billet de concert, tantôt dans un restaurant, selon les achats qu'ils ont faits sur la boutique en ligne. Et bientôt, ils pourront tout mettre sur leur téléphone.

«Nos lecteurs y trouvent leur compte parce qu'ils augmentent leur pouvoir d'achat de 25 à 40 %. Nos annonceurs y trouvent leur compte parce qu'ils nous paient en biens et en services, ce qui diminue leurs coûts publicitaires. Et de notre côté, on réussit à monétiser notre audience de façon plus rentable que ce qu'offrent aujourd'hui Facebook et Google, explique l'entrepreneur. «Et contrairement au modèle précédant de Tuango et Groupon, notre approche ne diminue pas la valeur perçue des biens et des services de nos annonceurs. Quand un de nos lecteurs dépense chez un marchand, il n'achète pas à rabais. Il a seulement plus d'argent dans son portefeuille», poursuit-il.

Média Boutique offre maintenant son système de monétisation publicitaire à tous les médias intéressés, télé, journaux, radio, magazines. L'intermédiaire technologique touchera bien sûr un pourcentage des ventes. Plus il y aura de partenaires sur cette plateforme, plus Média Boutique pourra amortir ses coûts. Et plus elle pourra retourner de l'argent aux médias, dont, évidemment, L'actualité.

Au contraire de Voir, les revenus du magazine reposent sur les grands annonceurs nationaux. Alexandre Taillefer compte convertir quelques-uns d'entre eux aux cartes-cadeaux. «Je ne vois pas pourquoi le modèle ne pourrait pas fonctionner avec des voitures», dit-il. Et il aimerait amener des annonceurs locaux, qui représentent 100 % des revenus de Voir, vers L'actualité.

«Si on encourage les consommateurs à acheter des produits québécois, pourquoi ne demanderait-on pas aux entreprises du Québec d'acheter de la publicité dans les médias québécois ?» dit-il en remontant les grosses lunettes qui ont fait sa marque de commerce.

Refonte majeure en vue

À elle seule, ce n'est pas Média Boutique qui redonnera à L'actualité le tonus de ses belles années, l'ancien Dragon en est conscient. Sur le plan opérationnel, il croit pouvoir trouver des économies en mariant certaines fonctions entre Voir et sa nouvelle acquisition, «tout en conservant l'indépendance de chacune des rédactions». Actuellement à 18, la fréquence de publication du magazine sera réduite à 12 par année. «La décision n'est pas encore coulée dans le béton, mais L'actualité redeviendra sans doute un mensuel.» Cela pourra aussi permettre d'offrir les abonnements jumelés avec Voir.

Le magazine se renouvellera moins souvent en kiosque, mais son nouveau propriétaire veut faire un tapage à chacune de ses sorties. «On va mettre le paquet», annonce-t-il. L'homme politique ressort : «On va réunir des comités d'experts, on va réaliser des sondages, on amènera une perspective à 35 000 pieds sur des questions comme l'éducation et la politique énergétique.»

C'est la formule qui a été appliquée à Voir, qui est passé d'hebdomadaire à mensuel et qui a misé sur des articles plus étoffés, à l'inverse de ce qu'on retrouve sur Internet, qui favorise de plus en plus l'inusité, le superficiel et, oui, la fausse nouvelle. «On a misé sur l'intelligence des gens, et ça fonctionne. On s'arrache Voir, les présentoirs sont vides en trois jours. L'une de ses chroniques les plus populaires est celle de Normand Baillargeon [le philosophe et auteur].»

L'entrepreneur compte utiliser la marque du magazine L'actualité pour lancer un nouveau créneau, celui des événements et des séminaires, un peu à la manière de Les Affaires et d'Infopresse, qu'il cite en exemples.

La nouvelle mouture du magazine arrivera en septembre. Entre-temps, son propriétaire espère pouvoir profiter durant 12 mois «de l'amour d'annonceurs qui voudront nous encourager», une année pendant laquelle son équipe développera les autres sources de revenus.

L'actualité profitera aussi de la synergie qui s'opère à l'intérieur de Mishmash, pense-t-il. Le média sera utilisé pour promouvoir les produits culturels du groupe avec des placements publicitaires qui transiteront par Média Boutique. Et la vente des événements organisés sous la bannière de L'actualité pourrait aussi être réalisée par l'intermédiaire de cette plateforme publicitaire.

Si Média Boutique est confiné à un rôle plus instrumental, Mishmash, au contraire, incarne les véritables ambitions d'Alexandre Taillefer : créer un vaste groupe médiatique et culturel capable de nourrir les débats, de faire rayonner les idées et les talents artistiques, ici et à l'étranger.

Mishmash génère un chiffre d'affaires de 60 millions. Alexandre Taillefer veut le porter à 250 millions d'ici trois ans, rien de moins. Pour y parvenir, l'ex-Dragon veut réaliser d'autres acquisitions, dans le domaine de la culture, mais aussi dans le secteur des médias. Il affirme avoir déjà amorcé des discussions avec des acteurs de l'industrie.

Et quand ce collectif culturel s'approchera du chiffre magique, il n'exclut pas de l'inscrire en Bourse, une source de financement sous-utilisée au Québec, selon lui. «On a de grandes ambitions.»

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