Javier San Juan entre en scène

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Javier San Juan entre en scène

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Par Diane Bérard

Lutter contre le décrochage avec le théâtre : c'est le pari qu'a fait L'Oréal Canada dans une école secondaire de Montréal. Et une autre façon pour son PDG de s'occuper de la relève.

Le 4 juin dernier, Javier San Juan a donné l'allocution la plus difficile de sa carrière. Pourtant, l'intervention du président de L'Oréal Canada n'a duré que 40 minutes et il n'y avait pas cinquante personnes dans la salle. Mais "c'est le public le plus exigeant que j'aie affronté. Je le sais, j'ai déjà eu cet âge", confie-t-il en souriant.

Cela s'est passé à l'auditorium de l'école La Voie, dans le quartier Côte-des-Neiges. Le public était composé d'adolescents de 14 à 16 ans. "Au premier rang, à gauche, un petit groupe d'élèves discutaient entre eux. Et puis, j'avais à peine ouvert la bouche que certains se sont mis à crier "Bravo !" sans raison." Le dirigeant ajoute avec un sourire en coin qu'on est loin de l'auditoire des lunchs de la Chambre de commerce de Montréal, où tout le monde écoute en silence et applaudit poliment à la fin de votre discours !

Les jeunes sceptiques de l'école La Voie étaient pourtant concernés par le discours de Javier San Juan : au cours de la prochaine année, ces étudiants, coachés par des professionnels de la mise en scène, de l'éclairage et du son, monteront une pièce de théâtre. Elle sera présentée à la fin de l'année dans l'auditorium rénové aux frais de L'Oréal, qui finance toute l'opération.

Ce projet comporte des risques. L'issue est incertaine. Ces jeunes ont été identifiés par leurs enseignants comme des décrocheurs potentiels. Leurs résultats académiques, bien au-dessous de la moyenne, limitent leur accès aux activités extra-curriculaires. Ils doivent se concentrer sur leurs études pour tenter de combler l'écart qui se creuse avec le reste de la classe. On fera une exception pour cette pièce de théâtre. Javier San Juan fait le pari que ces 40 jeunes sont prêts pour un succès. "Dans la vie, on apprend de nos réussites et de nos échecs. Il est temps que ces jeunes apprennent qu'ils sont capables de réussir quelque chose qui semble a priori compliqué."

En choisissant de s'engager dans la lutte au décrochage, L'Oréal touche à un dossier chaud au Québec. Le 9 septembre dernier, la ministre Courchesne a d'ailleurs dévoilé sa "stratégie d'action visant la persévérance et la réussite scolaire". Une initiative inspirée de la croisade de L. Jacques Ménard, président du conseil de BMO Nesbitt Burns, en a fait son cheval de bataille et ramène le sujet régulièrement sur les tribunes. Le projet de l'école La Voie est-il une façon de faire du pouce sur un enjeu "à la mode" ? C'est la première fois que L'Oréal lance un projet de lutte au décrochage. Mais, de façon générale, ce n'est pas d'hier que la question de la relève préoccupe Javier San Juan. Depuis son arrivée au poste de président de L'Oréal Canada, en avril 2006, on ne compte plus le nombre de panels où il discute des jeunes et de la relève. C'est l'invité idéal pour ce sujet pour deux raisons : d'abord, sa nature latine, sa verve et son exubérance en font un panéliste parfait. Puis, L'Oréal est reconnue pour recruter massivement des jeunes fraîchement diplômés.

Pour Javier San Juan, le projet La Voie représente l'autre face du défi que constitue la relève. "Il y a les jeunes que le Québec surprotège et ceux qu'il abandonne. Ces deux groupes forment la relève, et chacun d'entre eux pose des défis différents."

Lorsqu'il est question du premier groupe, les jeunes favorisés qui ont terminé des études supérieures, c'est le plus souvent la pénurie qui inquiète. Javier San Juan, lui, se soucie bien plus de leur qualité que de leur quantité. "Au Québec, les jeunes font tout ce qu'ils veulent sans qu'il y ait jamais de conséquences. Personne ne leur apprend que choisir, c'est renoncer." Il cite le cas de cette jeune femme qui a quitté son poste "pour aller sauver la forêt d'Amazonie. Quelques mois plus tard, elle revient et trouve un autre emploi. Elle agira ainsi toute sa vie parce qu'il y aura toujours un filet de sécurité sous ses pieds", déplore le PDG.

Toutefois, le monde change. Et cette jeune femme côtoiera des cadres chinois, russes, brésiliens, indiens qui, eux, à cause de leur culture et de la société dans laquelle ils ont été élevés, savent que choisir, c'est renoncer. "Pour eux, chaque décision a une conséquence. Ce qui ressemble davantage à la réalité du monde des affaires, commente Javier San Juan. Notre relève québécoise entre dans le monde du travail avec un handicap. Il faut corriger cette situation."

L'Oréal est connue pour accorder rapidement des responsabilités à ses jeunes recrues. "Nous les plaçons en situation de responsabilité, sachant qu'ils peuvent se tromper. Et lorsque cela arrive, nous n'hésitons pas à le leur dire. Même si nous sommes en situation de pénurie et que nous risquons de les perdre." Il ajoute : "C'est un risque que nous devons prendre, car c'est la seule façon de former de bons décideurs. Nous avons besoin de cadres capables de prendre des décisions difficiles, conscients que leurs choix comportent des conséquences."

Un autre groupe de jeunes a besoin d'attention : ceux qu'il faut empêcher de décrocher ou qu'il faut ramener sur les bancs d'école. Leur décrochage a un impact tant pour eux-mêmes que pour ceux qui restent. "Au secondaire, on apprend les relations avec les autres. C'est-à-dire composer avec des gens différents, exprimer ses opinions, gérer des conflits, vivre en groupe, quoi, explique le PDG de L'Oréal Canada. Les décrocheurs sont privés de ces apprentissages essentiels.

"Quant aux jeunes qui ne décrochent pas, ils voient que décrocher est une option, continue le dirigeant. Et puis, ils sont privés de relations avec ces décrocheurs qui ont souvent des personnalités différentes, plus marginales. Des personnalités que l'on retrouve aussi dans les entreprises et avec lesquelles il faut apprendre à composer."

Le projet de théâtre ne constitue que la première étape de la collaboration entre la filiale canadienne de la multinationale du cosmétique et l'école La Voie. La deuxième : envoyer des cadres parler de leur emploi aux étudiants de secondaire 4 et 5. "Plus de 60 professions sont représentées chez nous ; nous allons permettre à ces jeunes de les découvrir. Peut-être leur donnerons-nous le goût d'en choisir une." Il se souvient en riant de la façon dont il a lui-même choisi sa profession. "Mes amis et moi avons procédé par élimination : nous savions ce que nous ne voulions pas faire ! Dans mon cas, il était hors de question que je sois médecin ou architecte. J'ai fini par m'inscrire en droit."

Le type d'initiative dans laquelle L'Oréal Canada et ses cadres s'engagent existe déjà, et il a fait ses preuves. Depuis 13 ans, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) répète chaque année l'Opération Retour à l'école. Pendant une heure, des professionnels rencontrent des élèves de secondaire 3, 4 et 5. En 2009, 250 gens d'affaires ont participé à l'aventure. Ils ont parlé de leur métier et de la mesure dans laquelle leurs expériences de vie ont contribué à les façonner. Le but : encourager les jeunes à persévérer et à obtenir leur diplôme.

Le taux de décrochage scolaire des adolescents québécois est de 31 %, soit 36 % chez les garçons et 25 % chez les filles. La stratégie d'action de la ministre de l'Éducation Michelle Courchesne vise une réduction de 11 % d'ici 2020. Ce ne sera pas une mince affaire. L'offensive devra être menée sur tous les fronts. Et par plusieurs intervenants. Pour Javier San Juan, le monde des affaires doit absolument faire partie de la solution.

Javier San Juan sera honoré le 23 septembre au Gala du Commerce en compagnie des autres Audacieux. Les profits de ce gala serviront à remettre des bourses d'études.

diane.berard@transcontinental.ca

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