Entrepreneuriat social, naissance de l'écosystème québécois


Édition du 21 Mars 2015

Entrepreneuriat social, naissance de l'écosystème québécois


Édition du 21 Mars 2015

Par Diane Bérard

« Mon pire cauchemar, c’est qu’on me dise que mon entreprise est cute. » – Caithrin Rintoul, cofondateur de Provender. [Photo: Martin Flamand]

Trente ans après l'Europe et les États-Unis, le Québec découvre l'entrepreneuriat social comme outil de développement économique durable. Voici les gens, les lieux et les enjeux qui forment cette communauté.

«À 25 ans, j'ai découvert que le capitalisme peut aussi changer le monde. Avant, je croyais que seules les OBNL pouvaient atteindre cet objectif, raconte Caithrin Rintoul, 28 ans et cofondateur de la plateforme québécoise Provender. Ma première rencontre avec une entrepreneure sociale, Jessica Robertson de la firme montréalaise Moksha Yoga, a changé ma perception. Ses studios n'offrent pas que des cours de yoga, ils ont aussi un impact social et environnemental positif sur la communauté.»

Une entreprise sociale a pour mission de régler un problème social ou environnemental en recourant aux outils de l'entrepreneuriat et aux mécanismes de marché. Caithrin Rintoul, par exemple, utilise la plateforme Provender pour sauver les petites exploitations agricoles et l'agriculture de proximité. «L'âge moyen des agriculteurs est 68 ans. Pour l'instant, ce n'est pas rentable de prendre la relève. Les marges sont trop faibles. Comme d'autres secteurs l'ont fait avant elle, l'agriculture doit utiliser Internet pour éliminer les intermédiaires et optimiser les transactions. C'est ce que permet Provender.» La start-up relie producteurs, restaurateurs et épiciers locaux. Lancée au Québec il y a deux ans, Provender est aussi présente à Toronto. En 2015, elle s'implante dans les marchés du nord-est des États-Unis et du Minnesota. Caithrin Rintoul a l'ambition d'exporter la formule Provender pour maximiser son effet.

Pour ce type d'entrepreneur, l'impact social ou environnemental ne se substitue pas aux rendements financiers, il s'y ajoute. Un modèle qui n'a rien à voir avec celui d'un organisme communautaire ni avec les actions de responsabilité sociale des entreprises (RSE). L'organisme communautaire se concentre sur l'impact social. La RSE, quant à elle, est périphérique aux activités des organisations qui la pratiquent. Sans RSE, l'entreprise continue d'exister. Pour une entreprise sociale, l'impact social et le rendement financier sont indissociables. «Les actions que l'entrepreneur social réalise pour générer des revenus et celles qu'il entreprend pour changer le monde doivent correspondre en tous points, poursuit Caithrin Rintoul. L'entrepreneur social doit implanter un système qui ne le forcera jamais à faire des choix ni des compromis. Ce sont les processus de l'entreprise qui génèrent l'impact, pas les décisions quotidiennes de l'entrepreneur. Le bien que génère une entreprise sociale ne doit jamais dépendre d'une personne.»

Tout comme Caithrin Rintoul, le Québec découvre l'entrepreneuriat social. La réduction des budgets des programmes sociaux, issue de l'austérité, et la quête de sens des générations Y et Z expliquent cet intérêt. Depuis deux ans, un écosystème se construit. Il réunit des entreprises, des organismes de soutien, des investisseurs et des maisons d'enseignement. L'entrepreneuriat social fait aussi l'objet d'événements. En mai prochain, par exemple, la conférence C2MTL présentera la première édition du Social Business Forum, cocréé avec le Bangladais Muhammad Yunus, fondateur de la Banque Grameen.

Les gens

Avant que ne naisse cet écosystème, il y avait déjà des entrepreneurs sociaux. Des pionniers comme Christine Renaud, cofondatrice de la plateforme d'apprentissage par les pairs E-180. Tout comme Nadia Duguay, cofondatrice de l'organisme de réinsertion Exeko. Et comme Jean-François Archambault, fondateur de la Tablée des Chefs, devenue le moteur d'implication sociale des chefs, des cuisiniers, des pâtissiers et des foodies. La Tablée des Chefs s'est donné deux missions : nourrir les familles dans le besoin grâce aux surplus alimentaires des événements et à des corvées ; et éduquer les jeunes afin qu'ils atteignent l'autonomie alimentaire.

Mohamed Hage, fondateur des Fermes Lufa, des serres urbaines qui marient agriculture et développement durable, appartient aussi à la communauté des entrepreneurs sociaux de la première heure. Tout comme Natalie Voland, présidente de Gestion immobilière Quo Vadis. Avec un parc de 1,5 million de pieds carrés répartis dans une dizaine d'immeubles, Natalie Voland s'est donné comme mission de préserver le patrimoine urbain et de contribuer à la création d'emplois. Les locataires de ses édifices rénovés, en bordure du canal Lachine, sont des travailleurs autonomes et de petites entreprises. «Je les aide à grandir», dit l'entrepreneure de 43 ans.

Consciente de la fragilité financière de ses locataires, Natalie Voland leur propose des baux de 1 à 3 ans plutôt que de 5 à 10 ans. Et ses loyers sont inférieurs à ceux du marché. Une stratégie qui relève d'un choix économique autant que social. «La plupart des promoteurs immobiliers préfèrent exiger des loyers élevés même s'il en résulte des locaux vacants, car la somme des loyers détermine la valeur d'un immeuble, poursuit-elle. Je préfère des loyers plus bas et des édifices remplis. Mes locataires croissent avec Quo Vadis. En 20 ans, j'ai contribué à la création de 3 000 emplois. Plus de 90 % de mes locataires sont là depuis 10 ans. Je vise le développement économique durable.»

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