Croître? Non merci!

Publié le 21/08/2010 à 00:00, mis à jour le 23/08/2010 à 09:49

Croître? Non merci!

Publié le 21/08/2010 à 00:00, mis à jour le 23/08/2010 à 09:49

Par Marie-Eve Fournier

Votre entreprise est solidement établie dans sa collectivité. Clients nombreux, bonne croissance du chiffre d'affaires, vous faites l'envie de plusieurs. Un jour, un partenaire vous propose un projet d'expansion. Alléchant ? Peut-être. Mais avant de plonger, lisez les témoignages de cinq entrepreneurs qui ont été confrontés à ce dilemme à un moment ou à un autre de leur parcours. Après mûre réflexion, ils ont estimé que leur véritable liberté résidait dans le refus des projets qu'on leur proposait. Ils ont préféré se concentrer sur la mission première de leur entreprise et préserver leur qualité de vie. Un choix qui n'empêche pas ces entrepreneurs de réussir.

RESTER INDÉPENDANT : LES POUR ET LES CONTRE

Les avantages

> L'entrepreneur se concentre sur son métier plutôt que sur la gestion;

> Les PME s'adaptent souvent plus vite que les grandes entreprises;

> L'entrepreneur garde le contrôle de son entreprise.

Les inconvénients

> Recrutement de personnel moins facile, les grands joueurs pouvant offrir des salaires et des avantages sociaux supérieurs;

> Difficultés liées à l'approvisionnement (accès, prix, etc.) en raison du caractère modeste des commandes;

> Accès plus restreint aux capitaux (pas d'émission d'actions, moins d'actifs à offrir en garantie).

 

Voici le témoignage de 5 entrepreneurs qui ont préféré se concentrer sur la mission première de leur entreprise.

KANUK

Exporter, un projet qui laisse Louis Grenier de glace

Il y a 10 ans, Kanuk confectionnait 30 000 manteaux par année dans ses ateliers de la rue Rachel, en plein coeur du Plateau-Mont-Royal. Aujourd'hui, l'entreprise fabrique encore 30 000 manteaux par année.

Son unique propriétaire, Louis Grenier, refuse d'augmenter la production. Pourtant, cela lui permettrait d'exporter une partie de celle-ci à l'extérieur du Québec. Son unique objectif est de créer " les meilleurs manteaux pour le climat du Québec ". Jusqu'ici, cette stratégie lui a permis d'acquérir une réputation des plus enviables dans son domaine.

Faire découvrir la marque Kanuk aux Ontariens, aux Américains ou aux Scandinaves ne l'intéresse pas. " J'ai 85 couturières. C'est encore à dimension humaine. Pour en faire deux ou trois fois plus, il faudrait que je délocalise ma production. Ce n'est pas une façon de remercier les gens qui travaillent si fort ici ", explique Louis Grenier.

Être petit complique l'approvisionnement

Parler exportation, c'est aussi " parler encore plus de distribution, de grossistes, de financement, de comptes payables... des choses qui vous distraient de votre métier ", poursuit ce passionné de plein air. On s'en doute, ce ne sont pas les offres qui ont manqué au fil des ans. On a voulu racheter son entreprise, ouvrir des magasins licenciés, distribuer ses manteaux en Europe. Mais aucune proposition n'a été étudiée. Pas même un petit peu.

Il y a des inconvénients à demeurer petit dans un monde de géants comme The North Face (États-Unis) et Helly Hansen (Norvège). Cela complique l'approvisionnement en tissus, reconnait Louis Grenier. Il est en effet de plus en plus difficile pour Kanuk de convaincre les grands manufacturiers de textiles de produire " les quantités et la qualité qu'on veut ". Pour eux, la commande est dérisoire.

MARIVAL CONSTRUCTION

Pas de maisons en série pour Stéphane Galarneau

Marival Construction ne s'en cache pas : " l'entreprise a choisi de demeurer petite, ", peut-on lire sur son site Web. Cette approche lui permet d'offrir un service personnalisé et de qualité à chacun de ses clients, soutient son propriétaire Stéphane Galarneau. À preuve, la petite taille de l'entreprise est un argument de vente qui fonctionne. " Les gens aiment l'idée d'un contracteur qui a le temps de s'occuper d'eux et qui ne doit pas courir toute la journée pour superviser cinq chantiers. "

" Je refuse de devenir un entrepreneur qui bâtit 100 maisons par année comme certains, qui n'en voient plus le bout, qui ne fournissent plus. Ça devient le McDonald's de la construction résidentielle. "

Depuis la fondation de son entreprise, en 2004, l'entrepreneur de Pointe-aux-Trembles construit de 7 à 10 maisons unifamiliales par année. Cela lui suffit et lui évite d'avoir à embaucher un gérant de chantier, des employés de bureau, un vendeur, etc. Marival Construction ne fait travailler que des sous-traitants et Stéphane Galarneau gère tout, question de réduire les frais d'exploitation.

Oui à une croissance modérée

En ce qui concerne le prix de ses résidences, l'entrepreneur affirme qu'il est un peu plus élevé que celui des concurrents " qui font des maisons en série ". Mais cela n'a rien à voir avec le fait qu'il soit un petit joueur dans l'industrie. " Les sous-traitants demandent le même prix à tout le monde, explique-t-il. J'offre de la qualité, donc automatiquement c'est plus cher. Et comme certaines personnes achètent "un prix", on peut perdre des clients ".

Stéphane Galarneau ne dit pas non à une croissance modérée pour autant. Si l'occasion se présentait, il accepterait de construire 15 ou 20 maisons par année, mais certainement pas une par semaine. Et encore moins 100.

PHARMACIE DANIELLE DESROCHES

Fini les chaînes pour Danielle Desroches

Les grandes pharmacies ne sont pas nécessairement plus rentables que les petites et l'histoire de Danielle Desroches le prouve. Cette ex-propriétaire d'une franchise Pharmaprix possède désormais une minuscule pharmacie indépendante de 520 pieds carrés. " J'ai vendu, car je trouvais que ce n'était pas assez payant ", admet candidement la femme, dont le regard et la voix douce incitent spontanément à la confidence.

Dans son minuscule local à l'intérieur de la Clinique médicale Quartier Latin, à Montréal, Danielle Desroches ne vend que des médicaments. Elle n'a pas suffisamment d'espace pour vendre des cosmétiques et du savon à vaisselle comme les Pharmaprix et Jean Coutu situés à un jet de pierre de là.

Exit la paperasse

Si la clinique lui amène une grande proportion de sa clientèle, la pharmacienne est convaincue que son commerce pourrait très bien s'en tirer ailleurs. Elle l'a expérimenté pendant 16 ans sur la rue Ontario, à Montréal. " Il faut être situé au bon endroit, au coeur d'une population vieillissante ou à faible revenu, car la maladie y est plus fréquente ", explique-t-elle.

Courtisée par toutes les chaînes, Danielle Desroches tient à sa liberté. L'idée de verser des redevances à un franchiseur ne lui plaît guère. Surtout, elle ne veut pas gérer un commerce de détail et passer du temps à s'occuper de paperasse, elle veut exercer sa profession.

En revanche, elle doit surmonter la difficulté de recruter d'autres pharmaciens à l'heure où les grandes chaînes financent les études des finissants et leur proposent ensuite des avantages sociaux et un régime de retraite. " Je ne peux pas leur offrir ça, mais mes pharmaciens se sentent importants auprès des clients. "

BOULANGERIE DE FROMENT ET DE SÈVE

René Sicard a rejeté trois propositions d'achat

La boulangerie De Froment et de Sève, située rue Beaubien dans le quartier Rosemont à Montréal, fait des envieux. À trois reprises, son propriétaire s'est fait approcher par des courtiers qui ont déposé une offre d'achat sérieuse sur la table. René Sicard n'a jamais su qui voulait s'emparer de son gagne-pain. " Un prix de vente ne représente jamais la véritable valeur d'une entreprise, justifie le boulanger. J'ai un bon salaire pour vivre. J'ai bâti mon entreprise pendant 15 ans et je n'ai pas encore réalisé mon rêve et ma vision. "

À ses débuts, en 1995, le commerce ne vendait que du pain et des croissants. Mais au fil des ans, pâtisseries, charcuteries et fromages se sont ajoutés, le nombre d'employés a grimpé à 50. Conséquence : la ruche est en action 24 heures sur 24 et les ventes croissent de 4 à 5 % par an. Or, être le seul maître à bord est exigeant, confie René Sicard.

" C'est très, très difficile à gérer. Des fois, ça me pèse, j'aimerais me reposer. Mais c'est gratifiant. "

Fier de son succès, l'entrepreneur rejette néanmoins l'idée d'ouvrir d'autres succursales pour concurrencer les chaînes Au Pain Doré et Première Moisson. Pour assurer leur approvisionnement, il devrait établir une cuisine centrale, explique-t-il. L'interaction entre les artisans du pain et les clients - qui lui est si précieuse - serait alors perdue.

Vendre moins et augmenter ses bénéfices

Il faut dire que René Sicard a découvert qu'on peut vendre moins et faire plus de profits en " mettant à la porte ", en 2004, la cinquantaine de restos qui achetaient son pain. " Ils étaient irrespectueux. Ils payaient mal ou en retard, 90 jours, 120 jours. Il fallait gérer des comptes clients, raconte le boulanger. Et plus tu produis, plus tu augmentes tes pertes. "

LE YÉTI

Robert Brunet refuse d'ouvrir d'autres commerces

Les boutiques de plein air se multiplient au Québec. Après l'arrivée de Mountain Equipment Coop (MEC) dans la province, le nombre de magasins Atmosphère et Sail a bondi. Cette concurrence accrue est loin de préoccuper Robert Brunet, qui a ouvert Le Yéti en 1986. Situé sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal, ce commerce affiche une croissance des ventes de 10 à 15 % par année. " La tarte comporte plusieurs morceaux, mais elle est de plus en plus grosse, constate l'entrepreneur. Les gens sont plus actifs. "

Sa clientèle se compose de fidèles qui habitent dans le quartier, mais aussi de nouveaux amateurs de vélo ou d'escalade. Malgré la croissance du marché, Robert Brunet ne souhaite pas ouvrir d'autres magasins. " On s'est posé la question à plusieurs reprises : si on ouvre un magasin à Laval ou sur la Rive-Sud, serons-nous capables de faire un copier-coller de ce qu'on est ? Nous n'en avons jamais été convaincus. " L'idée de franchiser son concept le rebute encore davantage.

Des petits frères en Mauricie

Le Yéti a tout de même des frères en Mauricie. En 1991, Robert Brunet avait permis à deux magasins d'adopter ce nom. À une époque où les consommateurs recherchent les meilleurs prix, l'homme de 51 ans déplore qu'il doive lutter contre l'idée que les boutiques vendent plus cher que les grandes surfaces.

" On ne peut pas dire aux clients, "on va bien vous servir, mais ça va vous coûter 25 $ de plus ". Ça ne fonctionne pas ", indique Robert Brunet, précisant qu'il est assez gros pour faire les mêmes marges que ses concurrents. Et pendant que la guerre de prix fait rage entre La Cordée, Sail, Atmosphère et MEC, Le Yéti " se penche la tête et les laisse se tirer dessus ".

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