Lowe's Canada: 5 ans pour doubler son bénéfice net

Offert par Les Affaires


Édition du 27 Août 2016

Lowe's Canada: 5 ans pour doubler son bénéfice net

Offert par Les Affaires


Édition du 27 Août 2016

Par François Normand

Sylvain Prud’homme, président et chef de la direction de Lowe’s Canada. [Photo : Martin Flamand]

En février, Lowe's a créé toute une onde de choc au Québec en annonçant qu'elle achetait Rona au coût de 3,2 milliards de dollars canadiens. Six mois plus tard, la multinationale américaine de la rénovation résidentielle s'apprête à déployer sa nouvelle stratégie de croissance au pays. Dans un entretien exclusif à Les Affaires, le patron de Lowe's Canada, Sylvain Prud'homme, nous dévoile son plan de match.

Même s'il est d'une nature plutôt calme, Sylvain Prud'homme se retrouve dans une position stressante, car il a une grosse commande. Le patron de Lowe's Canada doit doubler le bénéfice net de l'entreprise d'ici 2021, comme l'exige la direction américaine.

Dans un entretien avec Les Affaires à son bureau du siège social de Boucherville (l'ancien quartier général de Rona), Sylvain Prud'homme admet que cet objectif financier forcera Lowe's à augmenter sensiblement ses ventes au Canada. L'entreprise devra-t-elle les doubler ? Il prend quelques secondes avant de répondre à notre question. «L'impact sera majeur sur nos ventes», se limite-t-il à dire, prudent.

En poste depuis trois ans, Sylvain Prud'homme est un gestionnaire expérimenté ; il est notamment un ex-dirigeant de Loblaw, Walmart et Sobey's. Selon des sources de l'industrie, il est reconnu pour avoir convaincu la direction américaine de Lowe's de lui laisser une marge de manoeuvre pour développer le marché canadien, et ce, avec des équipes canadiennes. «Il leur a fait comprendre que le Canada n'est pas une extension du marché américain», dit une source qui préfère garder l'anonymat. L'échec de Target au Canada a frappé les esprits, souligne notre interlocuteur.

M. Prud'homme est discret sur l'augmentation des ventes requises pour doubler le bénéfice net, mais il est par contre relativement transparent quant à la stratégie qu'il déploiera pour y arriver.

Le président de Lowe's Canada prévoit essentiellement trois choses, nous explique-t-il dans l'une des rares entrevues de fond qu'il ait accordées depuis l'acquisition de Rona en février : il développera une expertise par catégorie de marché, il mettra plus que jamais l'accent sur le client, et il se servira du commerce électronique pour attirer davantage de consommateurs dans ses magasins.

De plus, les occasions d'affaires potentielles pour accroître les ventes de Lowe's au Canada sont substantielles, selon un document interne fourni aux analystes lors de l'achat de Rona. Elles atteindraient plus d'un milliard de dollars canadiens. Cela représente près de 20 % du chiffre d'affaires de Lowe's Canada.

Dans ses états financiers, Lowe's ne ventile pas ses revenus au Canada. Mais, selon les estimations d'analystes de Morningstar et d'Edward Jones que nous avons joints aux États-Unis, les ventes de Lowe's au Canada s'élèveraient à environ 5 milliards de dollars canadiens (en incluant celles de Rona). Les analystes évaluent en effet que les ventes au Canada représentent grosso modo 7 % de celles de l'ensemble de la multinationale qui, en 2015, ont totalisé 59,1 milliards de dollars américains (75,5 G$ CA).

Pour accroître les ventes de Lowe's Canada, Sylvain Prud'homme précise que «le plan original, c'est de procéder par croissance interne, mais on n'exclut pas des acquisitions».

Trois tactiques viendront appuyer cette stratégie.

Quatre nouvelles divisions au Canada

Sylvain Prud'homme nous a dévoilé en exclusivité la nouvelle structure organisationnelle de Lowe's Canada. Elle comptera quatre divisions : Grandes surfaces, Magasins de proximité, Pros et entrepreneurs, et Marchands affiliés.

«Il y aura une consolidation du leadership, mais il y aura davantage de décentralisation que chez Rona», souligne Sylvain Prud'homme.

Cette structure devrait être opérationnelle dans les prochaines semaines. Elle diffère grandement de la structure aux États-Unis, où la multinationale est composée de cinq divisions régionales : Northeast, Southeast, North Central, South Central, West.

Fait particulier, chacune des divisions au Canada sera dotée d'états financiers distincts. «Ils nous permettront de mieux gérer les opérations», dit Sylvain Prud'homme, tout en insistant sur le fait qu'il y aura des états financiers consolidés pour l'ensemble du marché canadien.

Yan Cimon, spécialiste en stratégie d'entreprises à l'Université Laval, salue cette décision de créer des états financiers distincts. «Cela rend les gestionnaires responsables des profits et des pertes, en plus d'augmenter le prestige de leur fonction», dit-il.

Selon M. Prud'homme, cette structure par division (ou expertise) apportera une plus grande efficience et une plus grande cohérence à l'échelle de l'entreprise. «Il faut s'assurer d'avoir un modèle qui nous permettra de vraiment exploiter le réseau à son maximum.»

Dans l'ancienne structure organisationnelle de Rona, un haut dirigeant était à la fois responsable des magasins de 3 000 pieds carrés et de ceux de 110 000 pi2. Une façon de faire qui n'a pas de sens, selon Sylvain Prud'homme, car les premiers s'adressent aux entrepreneurs en construction, tandis que les seconds visent plutôt monsieur et madame Tout-le-Monde. Deux réalités totalement différentes.

Par ailleurs, les dirigeants de Lowe's Canada rencontreront les propriétaires des magasins affiliés à Rona à la fin d'août et au début de septembre pour leur présenter la nouvelle structure et les services qui y sont associés.

Le client, le client et encore le client

Pour accroître ses revenus au Canada, Lowe's s'efforcera aussi de mieux répondre aux besoins de ses clientèles. Sylvain Prud'homme ne cache pas qu'il y aura beaucoup de travail à faire avec le réseau de Rona, car cet aspect a été négligé depuis quelques années, selon lui.

«La direction voulait réduire les coûts. On a simplifié le nombre d'enseignes. Mais on a perdu le client de vue», déplore-t-il.

À ses yeux, la nouvelle structure par expertise de Lowe's permettra de cibler presque tous les besoins des différents segments de marché dans le secteur de la construction et de la rénovation résidentielles au Canada.

«Aucun concurrent n'a la capacité de faire ça à l'heure actuelle, soutient Sylvain Prud'homme. Les grandes boîtes mettent l'accent sur le détail, tandis que les petites ciblent les entrepreneurs. Nous, on a tout !»

Avant l'acquisition de Rona, Lowe's n'avait pas de petits magasins. Contrairement à Rona, Lowe's vendra aussi des électroménagers, ce qui représente une nouvelle concurrence pour les Brault & Martineau et Corbeil de ce monde, sans parler des autres quincailliers du Canada, dont l'américaine Home Depot.

Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal et spécialiste en commerce de détail, juge que Lowe's est très bien positionnée pour répondre aux besoins de ses différentes clientèles, grâce à ses bases de données. «C'est un actif de plus en plus précieux dans le commerce de détail. Or, Lowe's est probablement l'une des entreprises en Amérique du Nord qui ont le mieux développé cet actif», dit-il.

Ces bases de données permettent par exemple à Lowe's de cibler plus facilement les goûts de sa clientèle dans les différentes régions du Canada, dont le Québec.

C'est sans doute pourquoi la chaîne d'approvisionnement de Lowe's sera avant tout décentralisée et aura des antennes régionales, même si la direction des achats sera au Québec, explique Sylvain Prud'homme. «On aura une représentation régionale pour tenir compte de la variété du marché canadien. Mais la centralisation des achats se fera à partir d'ici, à Boucherville.» (Aux États-Unis, les achats sont concentrés au siège social de Mooresville, en Caroline du Nord.)

«On va s'assurer de bien représenter le Canada anglais, comme on se doit de bien le faire pour le Québec», précise M. Prud'homme. Les antennes régionales - au Québec, en Ontario et peut-être dans l'Ouest canadien - seront responsables d'acheter les produits pour répondre aux goûts spécifiques à certaines régions du Canada, comme le design des salles de bain.

En revanche, le siège social du Québec sera responsable d'acheter les biens de base (par exemple, des vis ou des clous) nécessaires à l'ensemble du réseau des quatre divisions. Il s'occupera aussi des approvisionnements pour répondre aux tendances spécifiques du marché québécois.

Aux yeux de Sylvain Prud'homme, concentrer toutes les décisions d'achat au Québec aurait été une erreur. «Il ne faudrait pas, à partir du Québec, penser que les tendances québécoises sont les mêmes en Alberta.» Du reste, tout concentrer en Ontario aurait aussi été une erreur, selon lui.

Richard Darveau, président et chef de la direction de l'Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction, trouve «super-intéressante» la structure de la chaîne d'approvisionnement de Lowe's Canada. «Ils ont frappé dans le mille, dit-il. On est dans le glocal, pour reprendre une expression anglaise. Leur chaîne d'approvisionnement est à la fois globale et locale.»

À première vue, cette structure d'approvisionnement peut sembler favorable aux anciens fournisseurs québécois de Rona et à l'économie du Québec. Mais selon Jacques Nantel, cela n'est pas nécessairement le cas. En effet, Lowe's veut vendre les produits que les consommateurs québécois désirent, pas nécessairement ceux qui sont fabriqués par des entreprises de propriété québécoise. La nuance est importante, selon ce spécialiste.

Il donne l'exemple des pelles et des marteaux de marque Garant, vendus depuis des années chez Rona. Ainsi, si Lowe's décide de continuer à vendre les produits Garant, c'est parce que la demande locale sera forte pour ces produits, étant donné que Garant appartient désormais à des intérêts américains. Cela dit, tous les produits de Garant sont fabriqués à son unique usine de Saint-François, une petite localité située non loin de Montmagny, à l'est de Québec, souligne Richard Darveau.

Il rappelle que plusieurs entreprises achetées par des intérêts américains, comme Sico (peinture) et A. Richard (outils), ont gardé leur production au Québec, en plus des équipes de marketing locales. M. Darveau partage toutefois le point de vue de Jacques Nantel : être établi au Québec ne sera pas suffisant pour être un fournisseur de Lowe's ; il faudra offrir des produits qui répondent aux goûts des Québécois, sans parler du code de la construction qui diffère au Québec par rapport aux autres provinces.

Par ailleurs, Jacques Nantel croit que les anciens fournisseurs québécois de Rona sentiront aussi une nouvelle pression pour être plus efficaces. C'est que Lowe's a une grosse facture à éponger : elle a payé 3,2 G$ CA pour Rona en février, un prix qui est jugé élevé par plusieurs analystes financiers. Jacques Nantel prévoit que la multinationale voudra amortir le plus rapidement possible l'acquisition de Rona en réduisant ses coûts. Ce processus a déjà commencé, par exemple avec la consolidation des contrats de service, notamment pour les équipements de bureau, nous a confirmé Sylvain Prud'homme.

«Si j'étais un fournisseur, je serais un peu préoccupé. Car je devrais être plus efficace, offrir des produits à valeur ajoutée», souligne Jacques Nantel.

Et si Lowe's ne se positionne pas comme un détaillant à escompte, la société peut offrir des prix très concurrentiels pour conserver ses parts de marché ou en acquérir d'autres, selon lui. Cela exerce une pression sur les fournisseurs pour qu'ils réduisent eux-mêmes le prix de leurs produits.

Le commerce électronique

Troisième élément de la stratégie de croissance des revenus au Québec et au Canada, le commerce électronique nécessitera des investissements de «plusieurs millions de dollars» , confie Sylvain Prud'homme. Mais le jeu en vaut la chandelle, selon lui : «Nous sommes convaincus que le consommateur québécois va bien accueillir notre offre».

La plateforme électronique pour le marché québécois - qui sera bilingue - n'est pas encore prête. Au Canada, elle est en place depuis trois ans, et c'est un «succès», dit M. Prud'homme.

«Je pense que le marché québécois est prêt. Le marché du commerce électronique est là, c'est l'offre qui n'était pas au rendez-vous», affirme le patron de Lowe's Canada.

Cet hiver, une étude du Centre facilitant la recherche et l'innovation dans les organisations (CEFRIO) montrait que 49 % des consommateurs québécois faisaient des achats en ligne en 2014 (pour l'ensemble des produits, y compris ceux de quincaillerie). Cette année-là, le pourcentage s'élevait à 54 % au Canada et à 63 % aux États-Unis.

Sylvain Prud'homme précise que l'offre en ligne tiendra compte des tendances et des goûts des Québécois, qui sont différents de ceux du Canada anglais ou des États-Unis.

«C'est sûr qu'un robinet est un robinet. Mais au Québec, les proportions sont plus européennes et plus axées sur la mode que nulle part ailleurs en Amérique du Nord. Donc, si on ne fait pas attention et qu'on offre seulement une plateforme de commerce électronique, on risque de passer à côté de quelque chose de gros.»

De plus, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les ventes en ligne n'entraînent pas une diminution des ventes en magasin, signale Sylvain Prud'homme. «Depuis trois ans, au Canada, plus nos ventes de commerce électronique augmentent, plus on voit grandir l'achalandage dans nos magasins», dit-il, sans toutefois pouvoir nous donner de chiffres.

Cette situation diffère de plusieurs autres détaillants, les librairies au premier chef. Ces dernières pâtissent du commerce électronique, car les consommateurs achètent de plus en plus de livres en ligne et se rendent de moins en moins dans les librairies pour acquérir le dernier ouvrage à succès. Il en va autrement de l'industrie de la quincaillerie et de la rénovation résidentielle, parce qu'on n'achète pas les produits pour rénover sa salle de bain comme on se procure un livre, un album de musique ou des vêtements.

Le patron de Lowes's Canada donne l'exemple d'un projet pour refaire une salle de bain à neuf. La plupart du temps, les consommateurs amorcent un projet sur Internet (pour choisir par exemple la baignoire, le miroir ou le lavabo). Par la suite, ils se rendent dans un magasin pour valider leur choix et discuter avec des spécialistes afin d'avoir des conseils. Voilà pourquoi la plateforme de commerce électronique de Lowe's ne vide pas ses magasins, bien au contraire, insiste Sylvain Prud'homme.

Jordan LeBel, professeur de marketing à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, confirme que le commerce électronique peut faire augmenter les ventes en magasin dans l'industrie de la quincaillerie et de la rénovation. Mais selon lui, la stratégie de Lowe's sera encore plus efficace si l'entreprise réussit à intégrer l'expérience client en ligne à l'expérience client en magasin.

Pour y arriver, Jordan Lebel affirme qu'il faut abattre les cloisons entre les designers de la plateforme électronique et le personnel du marketing. «Il faut que ce soit la même équipe, en intégrant le personnel de la promotion et du design.»

Des enseignes Lowe's au Québec

Dans sa stratégie de croissance au Québec, Sylvain Prud'homme affirme que Lowe's aura aussi à terme des magasins Lowe's ou des établissements affichant l'une de ses enseignes, comme Dick's Lumber et Ace. «Est-ce qu'il va y avoir de grands magasins offrant les produits de Lowe's au Québec ? C'est certain, dit-il sans hésitation. Mais il est encore trop tôt pour savoir exactement qu'elle sera l'enseigne qui déterminera notre présence au Québec.»

L'ouverture de tels magasins pourrait prendre quelques années, précise-t-il. Le cas échéant, on changerait tout simplement l'enseigne sur certains magasins Rona.

Sylvain Prud'homme ne ferme pas non plus la porte à la construction de nouveaux magasins avec l'enseigne Lowe's au Québec, qui s'ajouteraient ainsi au réseau de Rona.

«C'est une analyse que nous devrons faire pour évaluer s'il y a un besoin, indique-t-il. [Si la question est de savoir] si des marchés sont sous-représentés avec des formats de cette grandeur-là, la réponse est oui. Mais on n'irait pas ajouter un Lowe's où on a déjà un Rona L'Entrepôt.»

Les spécialistes en commerce de détail que nous avons interviewés jugent qu'il est logique que Lowe's veuille avoir son enseigne au Québec, puisque sa stratégie de croissance repose en grande partie sur le commerce électronique.

Mais selon Jacques Nantel et Yan Cimon, Lowe's ne doit pas commettre la même erreur que le géant canadien de l'alimentation Loblaw. Après avoir avalé la québécoise Provigo en 1998, Loblaw a progressivement fait disparaître la marque québécoise au profit de la marque Loblaws. Cette décision a été une erreur stratégique, affirment les spécialistes. Loblaw a rectifié le tir en réintroduisant la marque Provigo Le Marché - le premier magasin a ouvert ses portes à Sherbrooke en juillet 2013.

Yan Cimon ne croit pas que la marque Rona disparaîtra. «Le capital de la marque Rona est tellement fort au Québec qu'on ne peut pas le dilapider.»

Pour sa part, Sylvain Prud'homme aura à coup sûr la mésaventure de Loblaw en tête lorsqu'il gérera la marque Rona au Québec. Car, avant d'être nommé président de Lowe's Canada, il était vice-président exécutif, marchandisage, de Loblaw, de juillet 2010 à mars 2013.

Aussi, faire cohabiter la marque Rona avec celle de Lowe's au Québec sera une autre grosse commande pour lui dans les prochaines années. Pourra-t-il y arriver ? Le principal intéressé refuse de commenter les stratégies de Loblaws ou d'aucune autre entreprise, mais il se fait rassurant. «Lowe's Canada exploite plusieurs enseignes et différents formats de magasins au Canada. Rona continuera d'occuper une place importante parmi nos enseignes, assure-t-il. Nos équipes travaillent actuellement à augmenter la proposition de valeur de Rona, en fonction des attentes des consommateurs.»

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