Sally Osberg: «Les entrepreneurs sociaux ne veulent plus remplacer les gouvernements»


Édition du 28 Juillet 2018

Sally Osberg: «Les entrepreneurs sociaux ne veulent plus remplacer les gouvernements»


Édition du 28 Juillet 2018

Par Diane Bérard

L’Américaine Sally Osberg a été l’âme de la fondation Skoll pendant 17 ans et en a fait une référence en entrepreneuriat social. Depuis sa création en 1999, la fondation Skoll a investi 470 millions de dollars américains dans ce secteur, notamment en décernant des prix à 128 entrepreneurs de 106 organisations. Sally Osberg m’a accordé une entrevue de départ à Les Affaires, lors de mon passage à Oxford, en avril.

L'Américaine Sally Osberg a été l'âme de la fondation Skoll pendant 17 ans et en a fait une référence en entrepreneuriat social. Depuis sa création en 1999, la fondation Skoll a investi 470 millions de dollars américains dans ce secteur, notamment en décernant des prix à 128 entrepreneurs de 106 organisations. Sally Osberg m'a accordé une entrevue de départ à Les Affaires, lors de mon passage à Oxford, en avril.

Diane Bérard - Vous côtoyez des entrepreneurs sociaux depuis 17 ans. Comment ce secteur évolue-t-il ?

Sally Osberg - On observe l'émergence de stratégies systémiques. Les entrepreneurs voient au-delà de leur projet. Le personnel qu'ils recrutent, les indicateurs de performance et d'impact qu'ils choisissent, tout est fonction d'une portée plus importante dès la fondation de l'entreprise.

D.B. - Vous observez à la fois une grande ambition des entrepreneurs sociaux quant à leur impact, mais également un manque de structure pour porter cette ambition...

S.O. - Tous les entrepreneurs sociaux vous parleront d'approche systémique. Mais si vous insistez pour connaître le détail de leur stratégie et comment celle-ci est déployée, trop souvent vous n'obtenez pas de réponse satisfaisante. Or, un bon entrepreneur social est discipliné. Il est conscient qu'il ne peut pas tout faire.

D.B. - Quels sont les six prérequis au lancement d'une entreprise sociale ?

S.O. - L'entrepreneur social bouleverse l'équilibre. Il faut donc comprendre les facteurs qui entretiennent le statu quo et trouver les acteurs qui en tirent profit. Il faut aussi mettre en lumière là où les incitatifs ne sont pas alignés au changement souhaité. Cela étant établi, l'entrepreneur doit déterminer la portion du changement systémique dont il sera responsable. Pour y arriver, il doit évaluer l'enjeu auquel il s'attaque avec justesse, sans précipitation. Par exemple, on ne peut pas affirmer que l'on produira un changement systémique sans avoir fait l'inventaire des initiatives précédentes qui n'ont pas fonctionné.

D.B. - Les entrepreneurs sociaux de la nouvelle génération visent une portée plus importante sans pour autant faire grandir leur organisation. Comment est-ce possible ?

S.O. - Nul besoin d'augmenter la taille de son organisation pour en accroître la portée. Les entrepreneurs sociaux ont compris la différence entre une organisation qui passe à grande échelle et un impact à grande échelle. Aucune entreprise sociale n'a les moyens de générer un impact massif par elle-même. Elle doit le faire en partenariat avec le gouvernement, les ONG, les entreprises, ou la société civile. Prenons le cas de Last Mile Health, au Libéria. Last Mile Health forme et supervise des professionnels en santé communautaire dans 308 villages reculés de la jungle libérienne. Cette organisation rejoint directement 100 000 citoyens. Mais sa portée est bien plus importante. Last Mile Health a travaillé avec le gouvernement pour dessiner un programme national de formation en santé communautaire inspiré du sien. Le gouvernement l'a déployé. Sans croître, Last Mile Health a aujourd'hui un impact positif sur 1,2 million de citoyens. Elle s'est aussi associée à une autre entreprise sociale, Living Goods, pour former des travailleurs en santé communautaire dans six autres pays. Elle s'est aussi alliée à l'université Harvard pour développer une plateforme numérique et des outils d'apprentissage et de perfectionnement en ligne pour les travailleurs en santé communautaire (Community Health Academy) qui servira à tout l'écosystème.

D.B. - La fondation Skoll s'est associée à la plateforme de conférences TED pour le programme The Audacious Project. De quoi s'agit-il ?

S.O. - The Audacious Project incarne une tendance dans notre secteur : la collaboration entre les bailleurs de fonds. Ce programme rassemble plusieurs partenaires financiers, dont la fondation Skoll, la fondation Virgin Unite et la fondation Bill & Melinda Gates. Pour les deux premières éditions, nous avons financé sept projets. Ensemble, ils recevront 634 millions de dollars américains. Ces projets sont tous assortis d'objectifs extrêmement ambitieux qui visent un changement à grande échelle. Le Environmental Defense Fund, par exemple, aspire à dépister les émissions de méthane à partir d'un satellite. Le One Acre Fund accroît à la fois la sécurité alimentaire des populations africaines et le revenu familial des petits agriculteurs. TED a passé en revue des dizaines de propositions avec une préoccupation pour les enjeux climatiques, de santé et d'occasions économiques. Nous avons terminé deux éditions, et TED amorcera bientôt l'appel pour la troisième.

D.B. - Ce programme comble deux besoins. Lesquels ?

S.O. - D'abord, Chris Anderson, le curateur de TED, cherchait à étendre la portée de son organisation au-delà de la dissémination des idées et du savoir par des conférences. Ce savoir a un impact sur les auditeurs, certes. Mais Chris souhaitait un effet plus tangible, plus mesurable. Il s'est donc assis avec Jeff Skoll, qui a donné naissance à notre fondation, pour trouver comment unir des philantrophes dotés de moyens et des ONG animées d'idées pouvant changer la donne. L'argent des premiers débloque l'action des seconds afin qu'elle ait une portée significative. L'autre déclencheur est l'irritation des ONG et des entreprises sociales à l'égard du fardeau administratif imposé par les fondations philanthropiques pour obtenir des fonds. The Audacious Project veut limiter cette bureaucratie pour faciliter le lien entre les investisseurs et les entrepreneurs.

D.B. - On sent une tension entre l'énormité des enjeux auxquels s'attaquent les entrepreneurs sociaux et la nécessité de circonscrire leur action afin qu'elle touche la cible...

S.O. - Cette tension est bien réelle. C'est pourquoi je rappelle constamment l'importance de la discipline. Dans l'imaginaire collectif, l'entrepreneur social est un être qui poursuit des expériences. Il lance des spaghettis sur le mur et observe ce qui adhère. C'est un mythe. L'entrepreneur social qui réussit ne lance pas des spaghettis, il élabore une recette dont il choisit soigneusement les ingrédients.

D.B. - Parlons du gouvernement. On a l'impression que la première génération d'entrepreneurs sociaux palliait les lacunes de celui-ci. Est-ce encore vrai ?

S.O. - Ce n'est plus le cas. Les entrepreneurs sociaux les plus efficaces reconnaissent l'importance d'institutions fortes. Ils se voient comme des catalyseurs, pas comme un système parallèle. Ces entrepreneurs savent que les modèles qu'ils créent doivent pouvoir être reproduits par les gouvernements pour qu'ils deviennent plus efficaces. Il apparaît sinon une dépendance malsaine qui empêchera un changement social durable.

D.B. - L'entrepreneuriat social amorce-t-il une nouvelle phase ?

S.O. - Oui, mais ce ne sont pas tous les acteurs de ce secteur qui le comprennent. L'image romantique de l'entrepreneur social qui imagine une solution miracle à partir de zéro est encore trop présente.

D.B. - Vous dites : « Nous devrions valoriser moins le charisme et davantage la capacité à communiquer »...

S.O. - Il existe une nuance entre capter l'attention et communiquer.

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