Une fusion d'entreprises peut être autorisée même si elle nuit à la concurrence


Édition du 17 Octobre 2015

Une fusion d'entreprises peut être autorisée même si elle nuit à la concurrence


Édition du 17 Octobre 2015

En 2011, Tervita Corporation, une entreprise de la Colombie-Britannique, acquiert Complete Environmental et sa filiale, Babkirk Land Services. Ce faisant, elle devient propriétaire de trois des quatre sites d'enfouissement de déchets dangereux issus de l'exploitation pétrolière et gazière dans le nord-est de cette province. Le quatrième est détenu par une collectivité autochtone, qui ne l'exploite pas encore à cette époque.

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Jugeant que cette situation nuira sensiblement à la concurrence dans les services d'enfouissement sécuritaire de la région, la commissaire de la concurrence demande au Tribunal de la concurrence d'annuler la transaction, en vertu de l'article 92 de la Loi sur la concurrence.

Tervita ne l'entend pas de cette oreille et présente une défense fondée sur l'article 96 de la même loi. Celui-ci énonce que le Tribunal de la concurrence n'exigera pas d'annuler une fusion s'il juge qu'elle permettra des gains en efficience qui «surpasseront et neutraliseront» les effets anticoncurrentiels de la fusion.

«Introduit en 1986, cet article reconnaît que l'économie canadienne existe dans un marché mondialisé et côtoie un géant économique, les États-Unis, explique Simon Seida, associé du cabinet Blakes. Parfois, une fusion mérite d'aller de l'avant malgré certains effets anticoncurrentiels, en raison des gains en efficience qu'elle procure. L'idée est d'éviter de handicaper les sociétés canadiennes en refusant des fusions qui les rendent plus efficaces.»

Dans un premier temps, le Tribunal de la concurrence puis la Cour d'appel fédérale refusent tous deux les arguments de Tervita et exigent l'annulation de la fusion. Pour eux, cette dernière permettrait simplement de commencer à exploiter le site détenu par Babkirk un an plus tôt que prévu. Un gain en efficience jugé négligeable, ne justifiant pas d'ignorer les effets négatifs sur la concurrence. Selon eux, donc, Tervita ne peut invoquer la défense en vertu des gains en efficience prévue à l'article 96.

Le fardeau de la preuve

Mais l'entreprise n'en démord pas et porte sa cause devant la Cour suprême du Canada. Une ténacité qui rapporte, puisque le 22 janvier 2015 celle-ci, dans une décision majoritaire, accepte la fusion.

Ce renversement apparaît d'autant plus étonnant que la Cour suprême admet que la fusion aura bel et bien des effets anticoncurrentiels. Pourquoi l'accepte-t-elle malgré tout ? «La Cour suprême soutient qu'il n'y a pas de gain minimal d'efficience permettant à une entreprise de se défendre en invoquant l'article 96, répond M. Seida. Dès que l'entreprise démontre qu'elle fera de tels gains, elle a le droit de les invoquer pour défendre sa fusion. Il appartient alors à la commissaire de la concurrence de démontrer que les effets anticoncurrentiels sont plus importants que les gains en efficience.»

Or, selon la Cour suprême, la commissaire de la concurrence n'a pas présenté suffisamment de preuves pour pouvoir quantifier les effets anticoncurrentiels. Conséquemment, la Cour suprême leur accorde une valeur nulle. Il est donc impossible de prétendre que les gains en efficience invoqués par Tervita, même mineurs, ne surpassent pas les effets anticoncurrentiels. Tervita gagne par défaut, en quelque sorte.

«Cette décision est importante, car la Cour suprême ne s'était jamais prononcée très clairement sur l'application du test des articles 92 et 96, note M. Seida. Les sociétés qui envisagent une fusion pouvant avoir des effets anticoncurrentiels savent désormais ce qu'elles doivent prouver au commissaire de la concurrence pour éviter qu'elle ne soit annulée.»

Cette discussion a d'ailleurs souvent lieu en amont d'une fusion. «Au Canada, le droit de la concurrence est appliqué dans un esprit de collaboration. Ainsi, les entreprises s'assurent généralement que la fusion qu'elles envisagent ne sera pas rejetée avant de procéder, poursuit M. Seida. Cette décision vient baliser de telles discussions, car elle indique que tout gain en efficience doit être pris en compte et qu'elle aide les entreprises à mieux analyser leurs projets d'acquisition.»

Enjeux juridiques

Série 5 de 6. Cette série mensuelle présente des jugements qui font jurisprudence dans le monde des affaires.

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