Un juge peut-il réécrire un contrat ?


Édition du 13 Juin 2015

Un juge peut-il réécrire un contrat ?


Édition du 13 Juin 2015

Une erreur dans un contrat produit un effet indésirable et inattendu ? Pas de panique. Il est désormais possible au Québec de rectifier un contrat rétroactivement.

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«Jusqu'à maintenant, au Québec, un juge pouvait interpréter un contrat, en forcer l'application, voire l'annuler, mais ne pouvait pas le réécrire, explique Paul Martel, conseiller spécial au cabinet Blakes.

En tranchant en faveur de Services environnementaux AES contre l'Agence du revenu du Québec, la Cour suprême a changé cela. La décision, qui remonte à la fin de 2013, aura des conséquences importantes en droit des affaires et en droit fiscal.

L'histoire débute en 1998. Services environnementaux AES s'entend avec Groupe Sani-Gestion pour que ce dernier lui cède un quart des actions qu'il détient dans sa filiale, Centre technologique AES. Services environnementaux AES et sa filiale mettent au point une planification assurant la neutralité fiscale de la transaction.

Malheureusement, des conseillers calculent mal le prix de base rajusté des actions reçues. Ce prix, qui n'atteignait que 96 001 $, est évalué à... 1 217 029 $. Cela invalide toute la planification fiscale de la transaction. AES se retrouve avec un gain en capital imposable de 840 770 $, pour lequel les agences du revenu lui réclament leur dû.

Les entreprises conviennent alors de modifier le contrat rétroactivement et déposent une requête en rectification et jugement déclaratoire à la Cour supérieure du Québec. En d'autres termes, elles demandent à la Cour d'accepter une nouvelle version du contrat, reflétant l'intention originelle des parties. Les agences du revenu québécoise et canadienne s'y opposent.

«Dans les provinces où la common law est appliquée, un contrat peut être réécrit rétroactivement, à condition qu'il soit clairement prouvé que ce qui a été rédigé ne correspond pas à l'intention originelle des parties, en raison d'une erreur, souligne l'avocat de Blakes. Ce qui compte, c'est ce que les parties voulaient faire.»

Une vision partagée par le Code civil québécois. L'article 1425 stipule en effet que, dans l'interprétation d'un contrat, on doit rechercher quelle a été l'intention commune des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés. Mais cet article n'était invoqué que pour interpréter un contrat, jamais pour le corriger ou le réécrire.

Coup sur coup, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec acceptent la demande de rectification d'AES. L'Agence du revenu du Québec porte sa cause en Cour suprême. Mais cette dernière confirme la décision des juges québécois, invoquant notamment le fait que «le contrat se distingue de son support matériel». Dans ce cas-ci, l'intention (faire une transaction fiscalement neutre) était claire, prouvée et partagée par toutes les parties. C'est l'exécution qui a fait défaut, en raison d'une erreur. En rectifiant le contrat rétroactivement, on lui redonne le sens qu'il aurait toujours dû avoir.

Attention aux planifications fiscales trop audacieuses

«À peine un an après cette décision, on voit déjà une augmentation des demandes de rectification de contrat», constate M. Martel. Mais attention. Il ne s'agit pas de solliciter une rectification pour l'obtenir. Il faut démontrer, preuves à l'appui, quelle était l'intention du contrat et quelle erreur est venue fausser le document. Dans son jugement, la Cour suprême prévient d'ailleurs les contribuables de ne pas interpréter sa décision comme «une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu'il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d'échec».

Groupe Jean Coutu et Alimentation Couche-Tard l'ont d'ailleurs appris à leurs dépens en mai, lorsque la Cour d'appel du Québec a rejeté leurs demandes respectives de rectification concernant des transactions réalisées avec leur filiale dans les années 2000. Les deux entreprises tentaient d'échapper à des cotisations fiscales découlant de ces transactions. «Elles n'ont pas été en mesure de démontrer que l'intention de départ était différente de ce qui avait été écrit dans les contrats», dit M. Martel.

Selon lui, les fiscalistes seront encore plus soucieux désormais de bien documenter leurs intentions lors d'une planification fiscale.

Enjeux juridiques

Série 1 de 6. Cette série mensuelle présente des jugements qui font jurisprudence dans le monde des affaires.

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