Effondrement de Heenan Blaikie : la pointe de l'iceberg?


Édition du 22 Février 2014

Effondrement de Heenan Blaikie : la pointe de l'iceberg?


Édition du 22 Février 2014

J'aurais préféré ne pas amorcer ma première chronique en parlant du milieu juridique, d'une part, parce que je suis une partie prenante de cette industrie et, d'autre part, parce que j'avais déjà préparé pour cette tribune plusieurs thèmes économiques et politiques qui me tiennent à coeur. Mais le sujet est incontournable. L'effondrement d'un colosse de l'industrie juridique comme Heenan Blaikie est en effet un événement véritablement saisissant : comment une firme de cette envergure a-t-elle pu disparaître si soudainement ?

Les différents reportages qui ont traité de cette question au cours des derniers jours ont mis en lumière les rivalités internes entre de grands ego, les problèmes de leadership, certaines mauvaises décisions d'affaires à l'étranger et les tensions entre les bureaux de Montréal et de Toronto. Ces difficultés ont certes contribué à la chute de cette firme, mais ce sont pourtant des défis que plusieurs autres entreprises relèvent avec brio. Il y a un éléphant dans la pièce que l'on hésite à nommer : l'effondrement de Heenan Blaikie découle avant tout de changements importants dans l'industrie juridique, des changements qui pourraient amener d'autres firmes d'avocats à connaître tôt ou tard le même sort.

De 1998 à 2008, les taux horaires des avocats ont crû à un rythme de près de 15 % par année en Amérique du Nord, alors que l'inflation oscillait entre 1 % et 3 %. Le salaire moyen d'un avocat de première année en grand cabinet est passé de 45 000 $ en 1998 à 95 000 $ aujourd'hui : nous sommes loin de l'augmentation de l'indice des prix à la consommation. Ces mêmes années ont été le théâtre de rénovations aussi luxueuses qu'extravagantes et de retraites corporatives toutes dépenses payées en Floride ou à Whistler. Au cours de ces années folles, le contrôle de la colonne des dépenses importait peu : il suffisait d'accroître ses revenus en augmentant les taux horaires et en exigeant des avocats qu'ils facturent davantage d'heures annuellement.

Durant cette période, ces grandes structures étaient bien davantage préoccupées par les heures facturées que par la satisfaction de leurs clients. Puisque les revenus donnaient l'illusion d'un potentiel de croissance infini, ces firmes ont également perdu de vue le contrôle de leurs coûts d'exploitation en raison d'une course au prestige entre elles. Finalement, la pression de plus en plus inhumaine sur les heures facturables a entraîné le départ de plusieurs juristes de qualité, recrutés par leurs propres clients, avec comme conséquence une diminution du volume de mandats confiés aux grands cabinets.

Or, ce qui devait arriver arriva. En 2008, les circonstances économiques difficiles et l'énormité de certaines factures ont amené les clients de ces firmes à poser des questions et à demander des changements. La pression à la baisse sur les prix s'est fait sentir abruptement, et plusieurs clients étaient prêts à changer d'adresse pour l'obtenir.

Rien n'a véritablement changé

La première réaction d'une structure comme Heenan Blaikie a été d'ajuster ses taux horaires à la baisse : certains concurrents l'ont même accusée de faire du dumping en vendant ses services juridiques en deçà du prix coûtant. Cette firme a aussi cherché à réduire ses dépenses en proportion de cette perte de revenus, afin de maintenir ses profits, mais avec moins de succès.

En effet, le problème dans une structure titanesque comme Heenan Blaikie, c'est qu'il est bien plus simple de réduire les taux horaires que les coûts d'exploitation : de fait, rien n'a changé pour ce qui est des salaires, des locaux et des habitudes dépensières bien ancrées. (Cette difficulté n'est pas sans rappeler celles auxquelles se heurtent plusieurs gouvernements de droite qui promettent simultanément de baisser les impôts et de réduire les dépenses de l'État. En effet, baisser les impôts est beaucoup plus simple que réussir à couper dans les programmes, ce qui crée un déficit presque instantané.)

Les limites de la consolidation

De mon point de vue, la hausse irrationnelle des prix, l'insatisfaction des clients, l'insatisfaction des avocats et l'absence de contrôle des coûts sont des indicateurs beaucoup plus éclairants que les querelles internes de la firme. Pourtant, il n'y a pas que Heenan Blaikie à qui le chapeau fait.

La théorie de l'ellipse énonce que, depuis plus d'un siècle, chaque industrie vit, en alternance, des cycles de consolidation suivis de cycles de fragmentation en plus petites structures. L'industrie juridique est peut-être allée au bout d'un cycle de consolidation en bâtissant des structures nationales dans les années 1990, puis des structures internationales au cours des dernières années. Cette consolidation vient exacerber les tendances toxiques de l'industrie en matière de taux horaires, de surmenage des avocats et d'insatisfaction des clients quant au rapport qualité-prix.

Si l'iceberg est bien évident pour plusieurs observateurs, il est loin d'être certain que les autres structures titanesques comme Heenan Blaikie seront en mesure de changer de cap à temps. Ainsi, nous sommes peut-être à l'aube d'un nouveau cycle de fragmentation en structures plus petites et plus flexibles, qui miseront davantage sur le contrôle des coûts et sur la satisfaction des clients. Personnellement, je crois à ce virage, au point où cette lecture de l'industrie a déterminé mes choix de carrière.

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