Groupe maritime Verreault : contre vents et marées


Édition du 09 Mars 2016

Groupe maritime Verreault : contre vents et marées


Édition du 09 Mars 2016

Par François Normand

Denise Verreault, présidente et chef de la direction du Groupe maritime Verreault. [Photo : Studio du Ruisseau]

Redoutable femme d'affaires, la Gaspésienne Denise Verreault pilote depuis 33 ans le chantier naval fondé en 1956 par son père, le capitaine Borromée Verreault, à Les Méchins, dans le Bas-Saint-Laurent. Aujourd'hui, le Groupe maritime Verreault est à un tournant de son histoire, car il s'apprête à s'attaquer au marché international des grands navires.

«Quand on n'avance pas, on recule !» lance la patronne du Groupe maritime Verreault. Et Denise Verreault ne se contente pas d'avancer ; elle veut faire faire un bond de géant à son chantier naval pour lui permettre d'accueillir la quasi-totalité des gros bateaux naviguant dans l'Atlantique Nord. Une stratégie qui doublerait sa taille en plus de propulser le groupe parmi les grands chantiers navals de l'est du Canada.

Ce projet est à l'image de cette femme d'affaires gaspésienne bien connue du Québec inc. : très ambitieux. L'entreprise veut investir 50 millions de dollars - 14 M$ ont déjà été dépensés - pour doubler d'ici trois ans la capacité de sa cale sèche, qui figure déjà parmi les plus importantes de la côte est canadienne. Les travaux à Les Méchins devraient débuter à la fin de 2016.

Malgré ces travaux, c'est le chantier naval Davie, à Lévis, qui aura encore la plus grande cale sèche du Canada.

Le Groupe maritime Verreault fait la réparation et la maintenance d'une variété de bateaux, et un peu de construction navale. Denise Verreault garde jalousement secret son chiffre d'affaires, tout comme sa croissance moyenne depuis trois ans. En revanche, l'entrepreneure est volubile à propos de son projet d'expansion.

Découpé en trois phases, ce projet est démesuré pour Les Méchins, un petit village de 1 076 habitants, situé à mi-chemin entre Matane et Sainte-Anne-des-Monts. Il l'est aussi en grande partie pour la région administrative du Bas-Saint-Laurent. Toute proportion gardée, c'est comme si une entreprise investissait environ 500 M$ dans la région de Montréal.

Retombées économiques majeures

Denise Verreault croit dur comme fer à ce projet, et elle est prête à se battre envers et contre tous pour le mener à bon port. «Ce projet aura des retombées majeures dans notre région, au Québec, voire même au Canada !»

Actuellement, le chantier emploie de 150 à 200 personnes. L'entreprise devra en embaucher des dizaines d'autres d'ici trois ans, des soudeurs aux peintres en passant par des mécaniciens. Une bouffée d'oxygène pour une économie locale mal en point.

«Pour nous, ce qui se passe sur le chantier est positif, comparativement aux pertes d'emplois qu'on observe par exemple dans le secteur des pâtes et papiers», dit Stéphane Côté, coordonnateur des services à la Fédération de l'industrie manufacturière de la CSN, qui représente les travailleurs du chantier. Et signe que le climat de travail est serein : les travailleurs du Groupe Verreault ont approuvé en 2015 à plus de 90 % la nouvelle convention collective.

L'entreprise a parachevé la première phase de 14 M$ à l'automne. La Banque de développement du Canada (BDC) a octroyé en décembre 2014 un prêt à terme au Groupe Verreault pour cette partie des travaux (le montant n'est pas rendu public).

Investissement Québec (IQ) voulait aussi participer au projet. Le bras financier du gouvernement québécois était disposé à lui accorder un prêt «aux conditions du marché», nous a indiqué IQ. Mais c'est le Groupe Verreault qui a rejeté son offre. Selon Mme Verreault, IQ exigeait de prendre une hypothèque universelle de premier rang sur l'entreprise, une demande qu'elle a jugée inacceptable. La société d'État refuse de commenter ce point.

Même si la première phase a permis de doubler la largeur de la cale sèche, ce projet est avant tout défensif, confie la femme d'affaires de 57 ans. «Cette étape était importante. Nous perdions certains contrats, et il y avait des temps morts sur le chantier.»

Toutefois, l'investissement a rapidement donné des résultats. Depuis quelques mois, la cale sèche peut accueillir deux navires de taille moyenne en même temps, avec la capacité de réaliser de 15 à 20 contrats d'entretien ou de réparation par année.

Après la défense, l'attaque

En revanche, les phases 2 et 3 sont nettement offensives, insiste Denise Verreault. Sa stratégie ? Recevoir sur son chantier de grands navires Panamax, dont la largeur correspond à celle de l'actuel canal de Panama, soit 32 mètres. «Nous pourrons prendre de plus gros navires et plusieurs navires en même temps, comme on le fait présentement, précise Denise Verreault. Cela apportera plus de travaux à réaliser et doublera notre chiffre d'affaires et notre bassin de main-d'oeuvre.»

Le nouveau canal de Panama devrait rouvrir cette année. Il permettra à des navires bien plus larges et longs - les fameux Post-Panamax - de franchir l'isthme de Panama. Le chantier du Groupe maritime Verreault ne pourra jamais accueillir ces mastodontes des mers.

À titre de comparaison, le chantier Davie peut déjà recevoir des Panamax, et même des Post-Panamax.

Qu'à cela ne tienne, quand les phases 2 et 3 seront terminées, sa cale sèche pourra recevoir en théorie presque tous les bateaux naviguant sur les mers du monde - mais en pratique, le marché se limite essentiellement à l'Atlantique Nord, car les navires en Asie ou en Amérique du Sud n'iront pas à Les Méchins.«Actuellement, nous pouvons accueillir environ 50 % des bateaux de la flotte mondiale. Quand les phases 2 et 3 seront terminées, notre capacité grimpera à près de 90 %», affirme Denise Verreault.

À ce moment-là, la cale sèche mesurera 950 pieds de longueur sur 184 pieds de largeur, soit 174 800 pieds carrés ou l'équivalent de trois terrains de football américain. L'agrandissement de la cale sèche permettra au Groupe Verreault de décrocher plus de contrats au Canada et en Europe - qui représente actuellement moins de 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Selon elle, des armateurs canadiens pourraient faire des gains substantiels quand le chantier de Les Méchins pourra recevoir des Panamax. «Ça leur coûte très cher actuellement pour faire réparer ou entretenir leurs bateaux», dit l'entrepreneure. Par exemple, explique-t-elle, des armateurs de Terre-Neuve-et-Labrador exploitant des Panamax doivent parfois les envoyer en Europe pour faire la maintenance ou les réparations. Il faut alors compter trois semaines pour faire l'aller-retour, selon Denise Verreault. Ce délai passerait à quatre jours à Les Méchins.

«En venant dans notre chantier, ces armateurs de Terre-Neuve diminueraient leur facture de carburant ainsi que les coûts de la main-d'oeuvre, et leur manque à gagner serait moindre.»

Des armateurs européens, dont les Panamax circulent déjà sur le fleuve Saint-Laurent, seraient déjà intéressés par le projet du Groupe Verreault. «On est déjà en contact avec les armateurs qui ont de grands navires, et ils souhaitent venir chez nous», affirme la femme d'affaires. Signe tangible de cet intérêt, Denise Verreault a été invitée à donner en juin une conférence pour présenter son entreprise à Amsterdam, lors d'un salon maritime, le Marine Maintenance World Expo, qui regroupera environ 150 armateurs. «J'ai souvent donné ce type de conférences au Canada. Mais à l'étranger, c'est la première fois», dit-elle.

De l'aide de Québec ?

En fait, Denise Verreault a besoin de deux éléments pour donner le signal de la première pelletée de terre à la fin de 2016 : un contrat majeur à long terme pour l'entretien d'un navire et l'aide des gouvernements.

Comme durant la phase 1, les travaux d'agrandissement de la cale sèche peuvent se faire sans que le chantier cesse ses activités. Toutefois, pendant ces travaux, aucun bateau ne peut entrer ni sortir de la cale sèche.

«Pendant la phase 2, la porte devra rester barrée en tout temps durant six mois. C'est pourquoi il nous faut un contrat à long terme. Et on s'attend à en avoir un bientôt», dit Denise Verreault, sans donner plus de détails.

Quant aux gouvernements, l'entreprise affirme discuter avec Québec afin de l'aider à financer les deux dernières phases, qui nécessitent un investissement de 36 M$. «On travaille avec eux, mais il n'y a pas grand-chose qui se passe !» déplore l'entrepreneure, reconnue pour son franc-parler.

Et si le Groupe Verreault n'arrive pas à s'entendre encore une fois avec Québec, il devra se refinancer auprès de la BDC, indique Mme Verreault. Malgré tout, elle garde confiance, en raison de l'impact structurant du projet.

En novembre 2002, le gouvernement péquiste de Bernard Landry avait autorisé Investissement Québec à consentir au Groupe maritime Verreault un prêt de 5 M$ pour financer son fonds de roulement.

Appelé à commenter la stratégie d'affaires du Groupe Verreault, Jacques Roy, spécialiste en transport à HEC Montréal, se dit «impressionné» de voir un chantier naval investir ainsi pour s'attaquer à un marché mondial très concurrentiel : «L'entreprise doit considérer qu'elle est assez productive et compétitive dans ce marché où les principaux acteurs sont agressifs.»

Jacques Roy ne voit que des aspects positifs au projet d'agrandissement de la cale sèche du chantier naval de Les Méchins. «Les navires sont de plus en plus gros. [Bâtir afin] de pouvoir aller dans ce marché-là est sûrement une bonne stratégie.»

Le Groupe Verreault a des concurrents en Europe. Selon Denise Verreault toutefois, la concurrence vient surtout de 19 autres chantiers maritimes de l'est du Canada, à l'Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve-et-Labrador, en Nouvelle-Écosse et au Québec.

Un destin inhabituel

La plupart des observateurs saluent le sens aigu des affaires et la vision stratégique de Denise Verreault.

«Elle travaille très fort pour faire collaborer ensemble des gens intelligents et créatifs au chantier. Elle est passionnée par cette industrie et elle n'a jamais peur de prendre de nouvelles initiatives», affirme Tom Paterson, vice-président principal chez Fednav, une entreprise canadienne de transport maritime international de vrac.

«Je n'ai pas la chance de la connaître personnellement, mais c'est une femme d'affaires aguerrie, qui a commencé sa carrière très jeune», dit Martine Hébert, vice-présidente principale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Pourtant, Denise Verrealt ne semblait pas prédestinée aux affaires lorsqu'à 24 ans, en 1982, elle a pris la tête de l'entreprise familiale. Son père, Borromée Verreault, fondateur de l'entreprise en 1956, venait de décéder.

Denise Verreault n'a pas étudié en administration, mais plutôt en enseignement - elle est titulaire d'un baccalauréat de l'Université du Québec à Rimouski. Cependant, elle connaît l'entreprise familiale comme le fond de sa poche. Durant les étés et pendant ses études, elle occupe tous les postes, dans les bureaux et sur le chantier.

Sous sa gouverne, le chantier s'élargit progressivement. «Depuis 25 ans, on a agrandi cinq fois notre cale sèche. Quand j'ai pris la barre de l'entreprise, cette cale n'avait que le quart de sa superficie actuelle», dit-elle.

Deux tentatives d'acheter le chantier Davie

Toujours sur le mode de la croissance, la femme d'affaires songe même à acheter en 1995 le chantier Davie, à Lévis. À l'époque, le gouvernement du Québec est propriétaire du chantier.

«J'ai travaillé avec le gouvernement [péquiste] sur ce dossier. Or, après avoir fait faire une diligence appropriée, Québec a conclu une entente avec une autre entreprise. J'ai jeté de l'argent par les fenêtres !»

Le gouvernement lui préfère l'offre de la société canadienne Dominion Bridge, qui a depuis fait faillite. En 2006, le Groupe Verreault dépose une autre offre d'achat du chantier maritime de Lévis, mais encore sans succès. Denise Verreault n'a pas voulu nous préciser si son entreprise s'intéressait encore à Davie.

Les affaires ne sont pas non plus faciles au sein de sa propre famille. Dans les années 2000, l'entrepreneure a un différend majeur avec sa soeur, Claudette Verreault, qui avait acheté Dragage Verreault, une ancienne division du Groupe maritime Verreault.

En entretien avec Les Affaires, Denise Verreault n'a pas voulu s'étendre sur le sujet, mais cette dispute a fait du bruit à l'époque dans les médias.

En 2005, sa soeur intente une poursuite de 10 M$ contre le Groupe Verreault, rapportait le quotidien Le Soleil. Selon Claudette Verreault, l'entreprise lui aurait vendu un dragueur en piteux état. Un an plutôt, Transports Canada l'avait avisée que ce navire n'était plus en mesure de naviguer et de draguer.

Denise Verreault et le Groupe Verreault contre-attaquent : ils intentent alors une poursuite de 1,9 M$ contre Claudette Verreault, pour diffamation et abus de procédures. Dragage Verreault fait finalement faillite en 2012. Et le différend se règle par l'abandon des poursuites.

Un caractère fort

La présidente du Groupe Verreault n'est pas nécessairement aimée de tout le monde dans l'industrie maritime. «Elle est un peu cavalière, et elle n'est pas toujours commode», confie une source sous le couvert de l'anonymat.

Au total, Les Affaires a joint une vingtaine de personnes dans le cadre de ce reportage. Seulement cinq d'entre elles nous ont accordé une entrevue officielle. Les autres personnes avaient un horaire trop chargé pour nous parler.

Il faut dire que la femme d'affaires n'hésite pas à prendre position sur des grands enjeux de société, ce qui a pu en irriter plusieurs. En octobre 2005, elle fait par exemple partie de la douzaine de personnalités, dont l'ancien premier ministre Lucien Bouchard, à signer le fameux manifeste «Pour un Québec lucide».

C'est aussi une femme persévérante, souligne Françoise Bertrand, pdg de la Fédération des chambres de commerce du Québec. «Denise Verreault est déterminée. Elle veut que son entreprise soit prise en considération. Elle veut sa place.»

Les réalisations de l'entrepreneure gaspésienne ont d'ailleurs été reconnues à maintes reprises au fil des ans. Elle est notamment membre de l'Ordre du Canada et chevalier de l'Ordre national du Québec, sans parler de nombreux prix d'affaires, dont le Mercure leadership Germaine-Gibara.

Denise Verreault est aussi une femme d'affaires qui a très à coeur le développement économique du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie.

En marge des activités du chantier naval, la famille Verreault investit dans le secteur de l'agriculture biologique et sans gluten dans la région de Sainte-Anne-des-Monts. Elle a créé deux entreprises : La Terre des Anciens et La Minoterie des Anciens. Denise Verreault juge que l'agroalimentaire est très structurant pour les économies locales. «Selon des économistes, l'agriculture est à la base de l'économie, car elle permet de faire de la première, de la deuxième et de la troisième transformation.»

La famille Verreault verse des capitaux dans une région qui en a bien besoin, et des dizaines de fournisseurs (pour les activités maritimes et agricoles) en profitent.

Denise Verreault injecte aussi un autre type de capital : celui de l'inspiration. «Elle a inspiré et elle inspire toujours plusieurs jeunes entrepreneurs», dit Cassandra Lévesque, directrice de la Chambre de commerce de La Haute-Gaspésie.

Suivez François Normand sur Twitter @francoisnormand

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