Une mise en garde contre le «capitalisme de surveillance»
La Presse Canadienne|Publié le 09 Décembre 2021Daniel Therrien affirme que les risques du capitalisme de surveillance étaient bien visibles dans le scandale Cambridge Analytica. (Photo: La Presse Canadienne)
Ottawa — Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée met en garde les Canadiens contre la menace croissante du capitalisme de surveillance et l’utilisation de renseignements personnels par les grandes entreprises.
Dans son rapport annuel déposé jeudi, Daniel Therrien affirme que la surveillance de l’État, une préoccupation majeure après les attentats terroristes du 11 septembre, a été quelque peu freinée ces dernières années.
Pendant ce temps, estime-t-il, les données personnelles sont devenues un atout de grande valeur et personne ne les a mieux exploitées que les géants de la technologie derrière la recherche en ligne et les comptes de réseaux sociaux.
«Aujourd’hui, c’est la puissance croissante des géants de la technologie comme Facebook et Google qui occupe les pensées. Ces derniers semblent en savoir davantage à notre sujet que nous en savons nous-mêmes», indique le rapport. « Des expressions comme “capitalisme de surveillance” et “économie de surveillance” sont désormais couramment utilisées.»
M. Therrien affirme que les risques du capitalisme de surveillance étaient bien visibles dans le scandale Cambridge Analytica, qui fait maintenant l’objet de poursuites devant la Cour fédérale parce que son bureau n’avait pas le pouvoir d’ordonner à Facebook de se conformer à ses recommandations.
De plus, la loi ne permettait pas au commissaire Therrien d’imposer des amendes pour dissuader ce genre de comportement d’entreprise.
M. Therrien, dans sa dernière année en tant que commissaire à la protection de la vie privée, encourage le gouvernement fédéral à apporter plusieurs améliorations à son projet de loi prévu sur les pratiques de traitement des données du secteur privé, lorsqu’il sera déposé à nouveau dans les prochaines semaines.
L’intelligence artificielle (IA), la dernière frontière du capitalisme de surveillance, est très prometteuse pour résoudre certains des problèmes les plus urgents d’aujourd’hui, mais doit être mise en œuvre de manière à respecter la vie privée, l’égalité et d’autres droits de la personne, a prévenu M. Therrien.
« Notre enquête sur le recours à la technologie de reconnaissance faciale de Clearview AI illustre bien comment le déploiement commercial de l’IA peut contrevenir à bien des égards aux lois sur la protection des renseignements personnels », a-t-il écrit.
Le commissaire a découvert que Clearview AI avait violé la loi sur la confidentialité du secteur privé en créant une banque de données de milliards d’images extraites d’Internet sans consentement pour alimenter son logiciel commercial de reconnaissance faciale.
Les technologies numériques comme l’IA, qui reposent sur la collecte et l’analyse de données personnelles, sont au cœur de la quatrième révolution industrielle et sont essentielles au développement socioéconomique, selon le rapport. «Par contre, des risques majeurs guettent nos valeurs et nos droits.»
Pour tirer une valeur des données, la loi devrait autoriser des utilisations nouvelles et imprévues, mais responsables, des renseignements qui servent le bien commun, ajoute le rapport. Mais cette souplesse supplémentaire devrait s’inscrire dans un cadre fondé sur les droits, étant données les fréquentes violations des droits de la personne.
M. Therrien a souligné une autre tendance : une tendance à la hausse des partenariats public-privé et du recours au savoir-faire d’entreprises pour contribuer au fonctionnement de l’État, par exemple l’association de la GRC avec Clearview AI.
Les problèmes de confidentialité découlant des partenariats public-privé étaient également évidents dans un certain nombre d’initiatives pandémiques dirigées par le gouvernement impliquant des technologies numériques au cours de la dernière année, a ajouté le rapport. «Cela a mis en évidence la nécessité d’avoir une plus grande uniformité dans les lois applicables aux secteurs public et privé.»
«Si l’on veut instaurer une économie durable après la pandémie, une économie qui profite à tous, ce qui est l’objectif principal du gouvernement, selon le discours du Trône, il faudra faire une utilisation responsable des données personnelles», a indiqué M. Therrien en conférence de presse.