Productivité: les Sud-Coréens ont-ils trouvé le secret de la potion magique?
François Normand|Mis à jour le 29 septembre 2024Vue aérienne du centre-ville de Séoul et du pont Seongsan sur la rivière Han. (Photo: 123RF)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. La statistique donne le vertige: 5,19%. Entre 1981 et 2022, la productivité du travail horaire en Corée du Sud a connu une croissance moyenne de 5,19% par année. C’est trois fois le rythme de progression de grands pays industrialisés (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni) et pratiquement cinq fois celui du Québec et de l’ensemble du Canada. Les Sud-Coréens ont-ils trouvé le secret de la potion magique?
La question se pose à la lumière d’un petit graphique que publie chaque année le Centre sur la productivité et la prospérité — Fondation Walter-J. Somers à HEC Montréal (CPP), dans son bilan annuel sur la productivité et prospérité au Québec 2023.
Or, ce graphique passe souvent sous l’écran radar de nos décideurs économiques et politiques.
(La croissance de la productivité de la Corée du Sud a progressé beaucoup plus vite que dans les principaux pays industrialisés depuis 40 ans/Source: Productivité et prospérité au Québec, bilan 2023)
En matière de productivité (la valeur PIB produit dans une heure travaillée), il faut dire qu’ils cherchent souvent des sources d’inspiration aux États-Unis, en Allemagne ou en France.
Et on peut comprendre pourquoi.
Dans ces trois pays, les entreprises sont très productives, comme le montrent ces chiffres fournis à Les Affaires par le CPP.
PIB en $CA, par heure travaillée, calculé selon la parité du pouvoir d’achat, en 2022:
États-Unis : 106,55$
Allemagne : 105,86$
France : 101,02$
Le niveau de productivité horaire des Américains, des Allemands et des Français est donc beaucoup plus élevé qu’au Canada (83,68$), sans parler de l’Ontario (79,27$) et du Québec (75,88$).
En revanche, les Québécois produisent plus de valeur de PIB dans une heure travaillée que les Japonais (62,54$) et les Sud-Coréens (58,33$).
Les Québécois sont plus productifs… pour l’instant
Dans ce cas, pourquoi donc parler des Sud-Coréens, si nous sommes plus productifs qu’eux?
Tout simplement parce que la progression de la productivité du travail dans ce pays asiatique est tout simplement phénoménale depuis 40 ans.
À un rythme de 5% par année, c’est mathématique: ce n’est qu’une question de temps avant que les Sud-Coréens nous dépassent, estime Jonathan Deslauriers, directeur exécutif du CPP.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
En 1981, la productivité horaire du travail en Corée du Sud s’élevait à 7,33$. À 58,83$ en 2022, elle a été multipliée par huit en 40 ans – même si la progression a tendance à décélérer chaque décennie, selon notre analyse des données annuelles.
En 1981, au Québec, notre productivité était 50,24$. En 2022, elle avait seulement progressé de 51% en quatre décennies pour s’établir à 75,88$.
Certes, il y a beaucoup de rattrapage dans le cas de la Corée du Sud. Cela dit, en 40 ans, cette économie asiatique a progressé de manière fulgurante.
Aujourd’hui, ce pays de 52 millions d’habitants figure parmi les leaders mondiaux dans les technologies de pointe telles que les semi-conducteurs et les batteries pour véhicules électriques, sans parler du secteur de l’automobile, des télécommunications et des industries lourdes.
L’origine de la croissance rapide de la productivité sud-coréenne?
Selon la littératie économique, il y a essentiellement trois manières d’accroître la productivité:
- Investir dans les nouvelles technologies (logiciels de gestion, systèmes d’analyse de données, intelligence artificielle, etc.)
- Former adéquatement les employés, incluant les cadres, pour bien utiliser les technologies (programmes de formation, développement continu, etc.)
- Avoir une organisation du travail optimale (flexibilité, meilleure coordination, valorisation des compétences, etc.)
On pourrait aussi ajouter la valeur des biens et des services commercialisés, car elle peut exercer une influence importante sur la valeur de PIB produit dans une heure de travail.
Par exemple, les Norvégiens produisent en moyenne pour 188,47$ de PIB. Or, cette performance tient essentiellement à la production importante d’hydrocarbures de ce petit pays scandinave de 5,5 millions d’habitants.
En Corée du Sud, il n’y a pas d’industries ou de secteurs qui amplifient la performance du pays en matière de progression de la productivité, selon Jonathan Deslauriers.
C’est donc de l’amélioration pure depuis 40 ans, qui s’appuie en grande partie sur les nouvelles technologies – que le pays développe et commercialise souvent lui-même.
Bien que la productivité du travail s’améliore au Québec, nous figurons (incluant le Canada) parmi les derniers de la classe en termes de la valeur de PIB produit par heure travaillée et de sa progression annuelle à long terme.
Aussi, la prochaine fois que nos décideurs politiques et économiques chercheront des sources d’inspiration, ils auraient intérêt à regarder ce qui se passe en Corée du Sud.
Pas seulement aux États-Unis, en Allemagne ou en France.