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Les studios d’effets visuels et d’animation en difficulté interpellent Québec

La Presse Canadienne|Publié le 26 septembre 2024

Les studios d’effets visuels et d’animation en difficulté interpellent Québec

Le changement fiscal est entré en vigueur le 31 mai et, par conséquent, les studios d’effets visuels et d’animation affirment que les grandes sociétés cinématographiques sont moins incitées à faire appel à l’expertise du Québec. (Photo: Vianney Le Caer La Presse Canadienne)

Des entreprises d’effets visuels et d’animation s’unissent pour conclure une meilleure entente avec le gouvernement du Québec après que celui-ci a mis en œuvre des changements fiscaux qui, selon certaines entreprises, leur coûteront près des deux tiers de leurs revenus l’an prochain.

Le printemps dernier, le gouvernement a ajouté dans le budget un plafond de 65% de dépenses admissibles que les studios de cinéma internationaux peuvent réclamer avec les crédits d’impôt lorsqu’ils sous-traitent du travail à des entreprises d’effets visuels et d’animation opérant au Québec. La subvention initiale, qui n’avait pas de plafond, a été introduite en 1998, et le gouvernement affirme qu’elle est devenue trop coûteuse.

Le changement fiscal est entré en vigueur le 31 mai et, par conséquent, les studios d’effets visuels et d’animation affirment que les grandes sociétés cinématographiques sont moins incitées à faire appel à l’expertise du Québec.

Véronique Tassart, directrice des fusions et acquisitions chez Cinesite, a déclaré que son entreprise et d’autres studios d’effets visuels et d’animation soumettront une série de propositions communes au gouvernement du Québec dans les prochains mois, avant le dépôt du prochain budget.

«Nous voulons proposer différentes solutions qui permettraient au gouvernement de réaliser les économies qu’il recherche sans détruire l’industrie ici au Québec», a-t-elle affirmé lors d’une récente entrevue. 

Mme Tassart a évoqué l’idée de mettre en œuvre une règle pour que les contrats entre les studios internationaux et les sociétés d’effets visuels et d’animation exigent un minimum de 40 à 45% de travailleurs basés au Québec. De cette façon, a-t-elle relevé, le gouvernement obtient des investissements pour son argent. 

De nombreuses entreprises s’assurent déjà qu’environ 65 % de la main-d’œuvre d’un contrat provient du Québec ; mais pour certains contrats, a-t-elle dit, le pourcentage de main-d’œuvre locale est «beaucoup plus faible». 

Une autre proposition qu’ils mettront de l’avant est que le Québec augmente le plafond afin que la province reste compétitive avec l’Australie et la France, où l’environnement fiscal est plus favorable, a-t-elle dit.


«L’effet d’une bombe»


Déjà durement touchée par les grèves des scénaristes et des acteurs d’Hollywood en 2023, Mme Tassart dit que Cinesite cherchait un rebond — puis le changement du crédit d’impôt a eu «l’effet d’une bombe». Au printemps dernier, quelques semaines après l’annonce du plan du gouvernement, Cinesite a perdu trois contrats représentant un tiers de son budget annuel, a-t-elle soutenu. Cinesite, qui comptait 600 employés au Québec en effets visuels et animation en 2022, en compte maintenant 400. D’autres licenciements sont à prévoir, a-t-elle affirmé. 

La décision du gouvernement de revoir le crédit d’impôt était légitime, mais celui-ci est allé trop loin et de manière précipitée, selon Mme Tassart.  

Après avoir sondé 28 studios d’effets visuels et d’animation différents travaillant dans la province, le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) a constaté qu’ils s’attendaient à perdre environ 25 % de leurs revenus en 2024 et 63 % d’ici 2025. Le BCTQ indique que l’industrie a généré des revenus de 1,3 milliard $ au Québec l’année dernière, mais en mai, avant l’entrée en vigueur du changement fiscal, il disait s’attendre à ce que ce chiffre tombe à 393 millions $ d’ici 2025.

Le BCTQ indique que Digital Dimension, établie à Montréal, a fermé ses portes en mai et que deux autres studios devraient fermer dans les six à douze prochains mois. Il s’attend à ce que quatre studios internationaux opérant dans la province délocalisent leur travail ailleurs. En 2022, le Québec employait 8000 personnes dans l’industrie des effets visuels et de l’animation. Aujourd’hui, le BCTQ indique que le nombre de personnes du Québec employées est tombé à 3100, et que d’autres pertes d’emplois sont à venir.

Framestore, qui a produit tous les effets visuels de «Barbie» dans ses bureaux de Montréal, tente également d’obtenir des concessions du gouvernement. Chloé Grysole, directrice générale des activités canadiennes de Framestore Canada, soutient que les changements fiscaux augmentent de 10 % la facture des studios de cinéma pour produire des effets visuels au Québec. 

«Nous sommes des leaders mondiaux à l’heure actuelle et les mesures incitatives ont toujours fait en sorte qu’il allait de soi de faire travailler le Québec. Maintenant, avec les mesures incitatives qui se multiplient en France, au Royaume-Uni et en Australie, c’est plus un point d’interrogation qu’auparavant, et c’est problématique pour nous à long terme», a-t-elle déclaré. 

Le cinéaste québécois Denis Villeneuve, l’homme derrière des superproductions hollywoodiennes comme «Dune» et «Blade Runner 2049», qualifie la décision du gouvernement du Québec d’«énorme erreur». Dans une récente entrevue avec La Presse Canadienne, Denis Villeneuve a déclaré que les studios de cinéma veulent employer des talents québécois pour faire des films, mais que tout cela est maintenant menacé. 

L’ancienne structure de crédit d’impôt, a-t-il dit, était compétitive par rapport à d’autres pays. Sans cela, «nous perdrons des milliers et des milliers d’emplois, et c’était beaucoup d’argent qui revenait à la province».

Par Joe Bongiorno